L’invisible restauration de la Casbah d’Alger
Classée au patrimoine mondial de l’humanité en 1992 par l’UNESCO, la Casbah d’Alger voit ses habitations, construites pour la majorité durant la présence ottomane, tomber en ruine l’une après l’autre malgré les tentatives déployées par les autorités pour restaurer quelques édifices.
Debout face à une porte fermée, Mohamed regarde le temps passer. Employé d’une entreprise publique qui ne le paie plus depuis neuf mois, cet homme de 56 ans garde le palais Hassan-Pacha, l’un des plus prestigieux édifices historiques que compte la Casbah.
Entouré de sacs de détritus, d’amas de gravier et de déchets de chantier, il tue le temps en discutant avec des voisins. Il veille sur un chantier fantôme, car depuis plus de neuf mois, les travaux de restauration de ce monument, classé monument national protégé, sont tout simplement à l’arrêt.
L’entreprise de réalisation des travaux n’est plus en mesure d’honorer ses engagements, notamment vis-à-vis de ses employés, qui ne sont plus rémunérés depuis quatorze mois.
Aujourd’hui, les ouvriers et autres ingénieurs « pointent ici chaque matin et repartent », rapporte-t-il calmement à Middle East Eye, devant la porte d’entrée en bois massif ramené d’Alep, impeccablement sculptée, aux ornements en fer forgé et en marbre.
Pourtant, la restauration de ce palais de deux étages avec patio intérieur construit au XVIIIe siècle par Hassan Pacha, le dernier dey d’Alger avant la colonisation française, est achevée à hauteur de 65 %, selon un employé trouvé sur place. La façade extérieure est désormais totalement refaite à la chaux.
Pour réhabiliter les murs, exposés à l’usure du temps et aux éléments, les responsables n’ont pas lésiné sur les moyens : de la chaux et du sable ont été acheminés du Sahara pour reproduire le ravalement d’origine. Mais aujourd’hui, le chantier est à l’abandon.
Éviter l’effondrement
À quelques pas de là, quelques édifices ont été restaurés : c’est le cas de la mosquée Ketchaoua, construite au XVIe siècle et mitoyenne du palais. Elle a été totalement réhabilitée grâce à des financements turcs. En face, le palais Dar Aziza a également retrouvé sa belle allure, tout comme un autre édifice situé à proximité, sur la rue Mohamed-Akli-Mellah.
Des bâtiments faisant partie de la citadelle d’Alger, située sur les hauteurs de la vieille ville, sont également en pleine restauration, tout comme la mosquée Ali-Bitchin, bâtie à la lisière de la ville coloniale.
Mais à quelques encâblures de là, le décor est tout autre.
À trois bâtisses de cette mosquée, éclatante de peinture blanche, un bâtiment ne tient que grâce aux étais et madriers posés depuis plus de vingt ans pour éviter son effondrement.
Sous ces appuis de fortune, un groupe d’hommes fait la queue pour acheter des gâteaux traditionnels.
À quelques mètres, au 10 impasse Askri-Ali, le bruit des casseroles et des discussions de femmes préparant le repas sortent d’une maisonnette soutenue par de grosses poutres en bois posées par les autorités pour éviter davantage de dégâts sur des maisons construites en briques rouges, cimentées par de l’argile et portées par des poutres en bois massif pourri.
Sur le toit de cette maison, flotte le drapeau algérien qui orne la terrasse du Musée des arts et traditions populaires, dont la bâtisse est partiellement restaurée.
Quelques jours plus tôt, nous nous sommes rendus sur les hauteurs de la vieille ville. Rue Mokrane-Yacef, le musée Ali-la-Pointe, du nom d’un combattant tué en octobre 1957 dans ce même endroit, est désert. Debout face à une vieille maison bien entretenue, Abderrahmane, sexagénaire, fait partie d’une des familles les plus connues du quartier.
Il est le cousin de Yacef Saadi, le dirigeant du Front de libération nationale (FLN) dans la Casbah durant la « bataille d’Alger » en 1957.
La maison familiale a été restaurée par « nos moyens », affirme-t-il à MEE. Il en serait de même pour les quelques maisons encore habitables dans le quartier.
« Je ne vois pas de chantier dans les environs », répond-il spontanément lorsqu’on lui demande où se trouvent les maisonnettes typiques de la Casbah en reconstruction.
« Illusion »
En remontant les rues de la vieille ville, on croise de jeunes touristes en train de prendre des selfies dans la rue des Frères-Boudries.
Au-delà de ces ruelles qui ne captent les rayons du soleil que quelques heures par jour, c’est la désolation. La rue Mohamed-Amokrane est désormais fermée par l’amas de briques tombées après l’effondrement d’une maison.
C’est au n°10 qu’habite Amar. Ce sexagénaire, artiste décorateur avant de prendre sa retraite, se plaint de devoir monter de la basse ville jusqu’à ses hauteurs – ce qui représente beaucoup de marches – parce que contrairement à la majorité de ses anciens voisins, il n’a pu obtenir un nouveau logement.
« Il n’y a aucune restauration », affirme-t-il à MEE en esquissant un sourire moqueur.
En effet, la rue Saïd-Kadri, située à une dizaine de mètres de chez lui, offre un triste tableau de maisons en ruine. D’autres habitations sont réduites à de simples blocs en brique rouge, témoins d’une vie passée, tandis que les plus chanceuses sont soutenues par des madriers.
Mais contrairement à la Basse-Casbah, la majorité des habitants de ces maisons sont quasiment tous partis. Seules quelques familles et des squatteurs restent encore sous des toits souvent fragiles.
Face à cette situation, les militants et les scientifiques s’alarment. « La Casbah s’effrite sous nos yeux », se désole Nourreddine Louhal, journaliste spécialiste de la vieille ville. Pour lui, « il est impossible que la cité ottomane retrouve son lustre d’antan ».
« Restaurer la médina abîmée par les incivilités de l’homme et les affres du temps relève maintenant de l’illusion », dit-il, résigné, à MEE.
« Quand on déambule à l’intérieur du site de la Casbah, on est effarés par le nombre impressionnant de maisons dont les murs sont fissurés et qui menacent de tomber en ruine. On ne parle plus de travaux sur l’ensemble du site historique », se désole l’historien Abderrahmane Khelifa dans une récente interview au quotidien Liberté.
Pour lui, « le nombre de maisons diminue inexorablement » et « le site historique se dégrade à vue d’œil ».
Malgré ce constat, les officiels continuent d’affirmer que le projet de restauration de la Casbah se déroule normalement. Un responsable de la wilaya (préfecture) d’Alger, en charge de la restauration de la ville ottomane, s’est félicité d’avoir « atteint 65 % de taux de restauration » de ce secteur conservé qui s’étend sur 105 hectares.
Les responsables ont même énuméré les chantiers déjà achevés, le taux d’avancement d’autres travaux et des « études techniques » portant sur d’autres projets de restauration.
Le projet de restauration « permanente » de la Casbah a démarré initialement en 2008 avec un budget annuel de près de 40 millions de dinars (environs 300 000 dollars), entre études et travaux d’urgence. En 2012, un Plan permanent de sauvegarde et de valorisation (PPSMV) a été approuvé par le gouvernement, avec une enveloppe financière initiale de 26 milliards de dinars (environ 2 millions de dollars).
Depuis, des opérations ponctuelles sont ordonnées, notamment par la wilaya d’Alger.
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