Une société immobilière émiratie accusée de causer des dommages irrémédiables au littoral égyptien
Une société immobilière émiratie fait scandale en Égypte après que ses projets de construction sur un site de premier choix du littoral septentrional ont causé des dommages potentiellement irrémédiables à l’une des plages les plus intactes du pays.
Selon des ingénieurs et des experts en urbanisme, Emaar, une multinationale établie aux Émirats arabes unis et active dans l’immobilier, mène des projets qui menacent la composition géologique de Sidi Abdel Rahman, un village situé à un peu plus de 130 km à l’ouest d’Alexandrie.
La zone touchée fait partie d’un projet de nouvelle capitale estivale chiffré à plusieurs milliards de dollars, New Alamein, dont la construction a été commandée par le gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi.
Emaar a lancé la construction de sa station balnéaire de Marassi sur une superficie de 6,5 millions de mètres carrés à Sidi Abdel Rahman, avec un mélange de 23 communautés résidentielles appartenant à certaines des plus grandes fortunes du pays.
« Ces activités ouvrent la voie à la destruction du littoral septentrional »
– Elham Mahmud, professeur de sciences maritimes
La société construit également un autre complexe où les propriétés se vendent rapidement pour plus de 100 millions de livres égyptiennes (environ 5 millions d’euros) chacune.
Emaar a commencé à livrer une partie des villas, appartements et chalets de la station balnéaire de Marassi en 2010.
La dernière controverse en date a débuté il y a quelques mois, lorsqu’Emaar a engagé un projet de construction d’une marina pour yachts à Marassi.
Compte tenu des opérations de creusement de grande envergure et de l’enlèvement d’énormes quantités de sable sur la plage, la construction de la marina a eu des conséquences environnementales désastreuses, notamment en modifiant la course des vagues le long du rivage et en accélérant l’érosion du littoral.
Le dragage effectué par Emaar a non seulement considérablement rongé la plage de Marassi, mais aussi directement exposé les bâtiments voisins à la menace des vagues.
Néanmoins, le problème ne se limite pas à Marassi.
Le projet d’Emaar a également soulevé la possibilité réelle d’une érosion totale du littoral méditerranéen de l’Égypte, alors que les défenseurs de l’environnement avertissent que les activités d’investissement accélèrent la menace posée par le changement climatique dans la région.
« Ces activités ouvrent la voie à la destruction du littoral septentrional », indique à Middle East Eye Elham Mahmud, professeur de sciences environnementales et maritimes à l’université de Suez, dans l’Est de l’Égypte.
« La construction de complexes résidentiels dans la région côtière fait disparaître les dunes de sable dont le rôle est de protéger le littoral. »
En réponse au tollé populaire, le ministère égyptien de l’Environnement a déclaré le 24 juillet qu’il avait suspendu toutes les activités de dragage le long de la côte de Marassi et formé un groupe chargé d’examiner les raisons de l’érosion du littoral et les mesures à prendre pour le protéger.
Un haut dirigeant d’Emaar n’a pas répondu aux demandes de commentaires formulées par MEE au sujet des accusations portées contre sa société.
Une situation embarrassante en amont de la COP27
Ce scandale intervient à un moment délicat pour l’Égypte, qui se prépare à accueillir la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, la COP27, à Charm el-Cheikh en novembre.
L’Égypte s’est lancée dans des préparatifs considérables en vue de la conférence, notamment en cherchant à transformer Charm el-Cheikh en une ville « verte ».
Le Caire espère profiter de la conférence pour attirer l’attention de la communauté internationale sur l’importance d’apporter le soutien financier nécessaire aux pays africains afin qu’ils puissent s’adapter aux effets du changement climatique et les maîtriser.
L’Égypte souhaite également mettre en avant ses propres efforts passés et actuels pour faire face au changement climatique.
Néanmoins, l’érosion côtière dans le Nord du pays met le gouvernement dans l’embarras, car elle souligne les difficultés rencontrées pour concilier satisfaction des investisseurs et protection de l’environnement.
« Certains investissements sur le littoral septentrional présentent des dangers pour l’environnement, comme dans le cas d’Emaar », affirme à MEE Ali Nour, membre de la commission de l’environnement de la Chambre des représentants, la chambre basse du Parlement.
« Cela me désole de dire que ce problème n’est pas limité au littoral septentrional. »
Certains accusent d’ores et déjà le gouvernement de ne pas contrôler les activités destructrices d’Emaar le long du littoral, notamment un présentateur de télévision pro-gouvernement qui a fustigé le manque de supervision des travaux de la société émiratie de la part des autorités.
Plusieurs personnalités égyptiennes ont déjà appelé le gouvernement à prendre des mesures fermes contre Emaar.
« Comme nous demandons au gouvernement de créer un environnement favorable aux investissements, nous lui demandons de défendre sa dignité en prenant des mesures dissuasives contre les investisseurs étrangers qui ne respectent pas la loi », a tweeté l’ancien ministre de l’Industrie Mounir Fakhri Abdel Nour au début du mois.
L’érosion côtière était déjà un sujet sensible en Égypte bien avant les événements récents.
L’avancée de la mer le long du littoral méditerranéen inquiète en effet les Égyptiens et le gouvernement a déjà pris certaines mesures pour protéger ses côtes de ce phénomène.
Il y a plusieurs années, il a lancé des projets chiffrés à plusieurs centaines de millions de dollars, dont certains en coopération avec l’ONU, afin de contrer l’impact du changement climatique.
Le gouvernement construit également des barrages dans certaines villes côtières d’Égypte et met en place un système d’alerte précoce pour surveiller la course des vagues et les pluies, entre autres mesures.
Un besoin désespéré d’investissements
Il y a près d’une décennie, des promoteurs immobiliers locaux et internationaux, ainsi que des sociétés d’investissement actives dans le tourisme, ont commencé à réorienter leurs investissements auparavant concentrés sur les stations balnéaires égyptiennes de Charm el-Cheikh et Hurghada, au bord de la mer Rouge, qui sont devenues des marchés saturés, pour se tourner vers la côte méditerranéenne.
La Côte Nord, communément appelée El-Sahel, est une zone s’étendant sur des centaines de kilomètres le long de la mer Méditerranée à gauche du delta du Nil, entre la ville portuaire d’Alexandrie à l’est et la frontière entre l’Égypte et la Libye à l’ouest.
Elle abrite certaines des plages les plus belles et les plus touristiques de la Méditerranée.
« L’érosion du littoral est une menace directe pour tous les projets dans la région qui ouvre la porte à des pertes économiques incalculables »
- Hossam Muharam, ancien conseiller du ministre de l’Environnement
La côte captive les visiteurs et les amoureux de la nature depuis des décennies grâce à ses eaux pures, son sable blanc et son environnement naturel préservé. Fait notable, la région échappe encore – jusqu’à présent – à la surpopulation dont souffrent les destinations estivales plus accessibles financièrement telles qu’Alexandrie.
Des dizaines de complexes résidentiels et touristiques luxuriants ont vu le jour dans la région. Ils portent des noms extravagants qui tirent parti de leur environnement unique et de la distance qui les sépare des zones densément peuplées autour de la capitale Le Caire et d’Alexandrie, la plus ancienne station balnéaire d’Égypte.
Ces complexes attirent les plus grandes fortunes d’Égypte : ses villas, appartements et chalets se vendent pour des dizaines de millions de livres égyptiennes.
Certains de ces nouveaux projets s’inscrivent dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement pour attirer les investissements et relancer l’économie, durement touchée par la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine. Par ailleurs, le pays cherche désespérément à créer des emplois attrayants pour les centaines de milliers de jeunes qui sortent chaque année de ses universités.
Pour séduire les investisseurs, les autorités ont révolutionné la réglementation en la matière en proposant des avantages tels que des exonérations fiscales et des parcelles de terrain dans tout le pays.
Elles ont également facilité l’octroi de licences pour les projets d’investissement, créant un point de vente unique qui permet aux investisseurs de finaliser rapidement les procédures d’investissement.
Comme le secteur privé, le gouvernement a également compris le potentiel d’investissement de la côte septentrionale de l’Égypte et a commencé à construire une nouvelle ville dans une zone qui était autrefois le site d’une importante bataille de la Seconde Guerre mondiale.
New Alamein, en cours de construction à quelques kilomètres seulement du site de la bataille d’El Alamein qui a opposé les forces britanniques et allemandes en 1942, devrait comprendre des gratte-ciels, des quartiers résidentiels et de divertissement, un quartier d’affaires, un centre culturel et des installations agricoles.
Cependant, les experts estiment que l’érosion côtière met en péril les dizaines de milliards de livres égyptiennes que le gouvernement a investies dans la nouvelle ville ainsi que les énormes investissements du secteur privé dans des projets le long du littoral.
« L’érosion du littoral est une menace directe pour tous les projets dans la région qui ouvre la porte à des pertes économiques incalculables », affirme à MEE Hossam Muharam, ancien conseiller du ministre de l’Environnement.
« Le gouvernement doit absolument prendre des mesures pour protéger le littoral. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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