Au Liban, les riverains d’une centrale électrique l’accusent de les tuer à petit feu
Zeina Matar a perdu deux oncles d’un cancer du poumon. Sa sœur et un cousin ont succombé à une fibrose pulmonaire. Dans la petite ville de Zouk, au nord de Beyrouth, les habitants accusent la centrale électrique vétuste de les tuer à petit feu.
« Il se peut qu’on meure demain », affirme à l’AFP Zeina Matar, une brunette énergique de 40 ans, qui dit « ne pas oser consulter » un médecin de crainte des résultats.
Comme de nombreux habitants du quartier jouxtant les centrales de Zouk Mikaël, Zeina vit un calvaire. Elle se réfugie désormais la plupart du temps chez son mari, dans le sud du Liban.
« On doit tout subir, même le bruit », sans électricité en retour, regrette sa cousine Rita, 50 ans, en sirotant son café sur sa terrasse, avec vue sur la centrale, qui dégage parfois une épaisse fumée noire.
Car du fait de l’effondrement de l’économie libanaise en 2019 après des décennies de corruption et de mauvaise gestion, l’État est incapable de fournir de l’électricité plus d’une heure par jour.
Zouk, une ancienne bourgade agricole à majorité chrétienne, à une vingtaine de kilomètres au nord de Beyrouth, a été défigurée par l’urbanisation galopante des dernières décennies.
En 2018, une étude de l’ONG Greenpeace, basée sur des images satellite et les niveaux de dioxyde d’azote (NO2) dans l’atmosphère, a désigné l’agglomération de Jounieh, dont Zouk fait partie, comme la cinquième ville la plus polluée du monde arabe et la 23e mondialement.
« J’ai déménagé d’ici, j’ai fui »
La centrale de Zouk, construite dans les années 1940, avait notamment été pointée du doigt par Greenpeace. Également mis en cause, les embouteillages monstres et les générateurs privés sur lesquels se rabattent les Libanais pour pallier les déficiences de l’État.
Pour ne rien aider, les montagnes environnantes retiennent les émissions, faisant de la baie une cuve.
« Les cheminées de la centrale étant trop basses, leurs émissions se heurtent aux montagnes », explique Paul Makhlouf, pneumologue de l’hôpital Notre-Dame du Liban de Jounieh.
Depuis 1994, il a fait plusieurs études sur le phénomène et fait part de sa « détresse » face à l’inaction des autorités.
« Quand j’ai vu les résultats, j’ai déménagé d’ici, j’ai fui », affirme à l’AFP le médecin originaire de Zouk.
Dans sa clinique en 2014, les problèmes pulmonaires des habitants vivant autour de la centrale augmentaient anormalement de 2,5 à 3 % par an.
Aujourd’hui, d’après les estimations, l’augmentation annuelle est « de 5 voire 6 % », s’alarme-t-il.
Il évoque notamment une hausse annuelle des cancers et maladies de la peau chez les adultes et des maladies respiratoires chez les enfants.
« Quand le fioul est déversé, on ferme les fenêtres, car l’odeur est insupportable »
- Zeina Matar, habitante de Zouk Mikaël
Le fioul utilisé est « riche en sulfure et en monoxyde d’azote, tous deux cancérigènes, affectant surtout l’appareil respiratoire et la peau », explique le docteur Makhlouf.
Comme Rita, Zeina étend son linge désormais à l’intérieur, les murs de sa terrasse étant noircis par les émissions de la centrale.
« Après quelques lessives, nos vêtements sont troués [par le sulfure], bons à jeter », affirme-t-elle.
Une deuxième centrale censée fonctionner au gaz a été construite en 2014, « sans autorisation de la municipalité », affirme le maire de Zouk, Elie Beaino, déplorant « l’absence d’étude sur l’impact environnemental ».
En dépit de ses nombreux avertissements aux différents ministères concernés, « rien n’a été fait ».
Aujourd’hui, l’ancienne centrale ne fonctionne plus qu’une heure par jour, uniquement pour alimenter les institutions vitales du pays. Mais face à l’urgence, l’État libanais a recours à du fioul de mauvaise qualité.
Une épaisse fumée noire
« On est parfois réveillés par une lourde explosion en pleine nuit », due au nettoyage du fioul lourd, déplore la mère de Rita, Samia Matar, 80 ans.
« Quand le fioul est déversé, on ferme les fenêtres, car l’odeur est insupportable », explique Zeina.
« La plupart des habitants réclament la fermeture des centrales », affirme Elie Beaino.
« Nos résultats en 2018 ont montré qu’il y avait sept fois plus de cancers », à Jounieh qu’autour du campus de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), affirme la députée écologiste Najat Saliba, qui a participé à la dernière étude en date de l’AUB.
Selon la députée, issue du mouvement de contestation d’octobre 2019, la combustion incomplète de ce fioul lourd toxique n’est pas appropriée en ville.
En attendant de fermer la centrale, « la solution, c’est d’importer du fioul de qualité et du gaz », explique-t-elle.
Début septembre, une épaisse fumée noire s’était dégagée de la centrale après l’utilisation de fioul lourd, provoquant un tollé sur les réseaux sociaux.
Le ministère de l’Énergie avait alors expliqué avoir été forcé d’utiliser ce fioul de manière « exceptionnelle » pour « continuer d’alimenter l’aéroport, les hôpitaux et autres institutions vitales ».
Depuis, les ingénieurs activent surtout la centrale la nuit, loin des caméras.
Par Jonathan Sawaya.
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