Le nouveau restaurant du chef Fadi Kattan à Londres célèbre la cuisine palestinienne
Ma rencontre avec le chef Fadi Kattan a lieu dans le quartier londonien de Notting Hill quelques semaines avant l’ouverture de son nouveau restaurant.
Le restaurant, Akub, se trouve au milieu d’une rangée de maisons colorées et de cafés pittoresques, devenus la marque de fabrique du quartier immortalisé dans la comédie romantique éponyme avec Julia Roberts et Hugh Grant.
Traduction : « Le moment est enfin venu de réserver votre table chez akub. À partir du 24 novembre, Fadi Kattan, Mathilde Papazian et l’équipe d’akub rendront hommage à la riche histoire culinaire et au terroir diversifié de la Palestine d’une manière actualisée et réinventée. Pour réserver votre table, cliquez sur le lien ci-dessous. Nous avons hâte de vous accueillir. »
Kattan me guide à travers le restaurant, encore en chantier – des fils pendent au-dessus de ma tête – et il règne une forte odeur de sciure.
« On a beaucoup de travail à faire », rit-il. « Mais je suis impatient. »
L’installation de la cuisine n’est pas encore terminée et le carrelage doit être posé, mais Kattan m’assure que le restaurant affiche déjà complet pour le jour de l’ouverture.
Produits locaux
Le chef franco-palestinien est connu pour son restaurant de Bethléem, nommé Fawda, qui signifie « chaos » en arabe.
« Il s’appelle comme ça parce qu’il repose sur le chaos », explique-t-il. « Nous n’avons pas de menu. Les gens pré-réservent et je cuisine ce que je trouve chez les agriculteurs », ajoute-t-il.
En Palestine, la philosophie de Kattan se fonde sur le nombre de personnes qui mangeront dans son restaurant chaque jour, il se rend alors sur les marchés locaux pour mettre la main sur tous les ingrédients qu’il peut trouver.
Les clients mangent ce qu’il décide de faire avec les ingrédients, ce qui, selon lui, l’a forcé à penser de manière créative.
« Mais imaginez essayer cela à Londres, ça ne pourrait absolument pas fonctionner », souligne-t-il.
Étant donné que les obstacles dans la capitale anglaise sont différents de ceux auxquels il est confronté en Cisjordanie occupée, il explique qu’Akub prendra une direction légèrement différente.
Akub aura un menu plus fixe, qui comprendra des plats inspirés des différentes régions de la Palestine.
« J’ai senti qu’il y avait un écart énorme entre ce qui est cuisiné dans les restaurants en Palestine et ce qui est fait à la maison », explique-t-il. « J’ai eu l’idée de transformer la cuisine maison en quelque chose que nous pourrions servir dans un restaurant. »
Une chose néanmoins ne change pas : son travail avec les agriculteurs et les producteurs locaux.
« Je ne pense pas que nous puissions travailler avec des produits de grandes sociétés inconnues, dont nous ne connaissons pas les origines », dit-il. « Le poisson que nous allons utiliser à Akub vient du Royaume-Uni, et nous connaissons le pêcheur qui l’apporte. »
Mais les épices et autres condiments viendront de Palestine, via de petites entreprises et des fournisseurs avec lesquels il travaille en étroite collaboration. « Même Nasser Abu Farha qui fait de l’huile d’olive, je le connais depuis dix ans », explique-t-il.
Pour Kattan, le chef ne se résume pas à la nourriture qu’il cuisine. Il croit qu’une grande partie de son succès vient des agriculteurs, qui, selon lui, sont passionnés, qui se réveillent avant les chefs et travaillent dur pendant de longues heures.
« Nous, les chefs, n’existons pas sans les agriculteurs. »
L’impact de l’occupation
Kattan a rencontré le succès sur la scène culinaire palestinienne malgré les difficultés imposées à son travail par l’occupation israélienne.
« Vous ne pouvez pas vous déplacer librement. Vous ne pouvez pas accéder librement à l’eau. L’occupation n’est pas une chose ponctuelle, c’est un système qui y vit depuis plusieurs années », explique-t-il, décrivant par ailleurs comment les agriculteurs avec lesquels il travaille ne peuvent souvent pas accéder à leurs propres terres.
« Je travaille avec un gars qui me fournit des courges vers Noël. Ses terres sont encerclées par quatre colonies. Est-ce qu’il livre ou ne livre pas ? »
En raison de ces obstacles, son approche consistant à travailler avec n’importe quel ingrédient disponible n’est pas seulement une nouveauté, mais une nécessité.
Le restaurant de Notting Hill n’est évidemment pas soumis à ces incertitudes, Kattan peut donc se concentrer davantage sur l’apport de l’expérience palestinienne à Londres.
« Nous ne faisons pas de trucs kitsch », assure-t-il, quand je l’interroge sur le décor. Il souligne qu’il ne sera pas non plus orientaliste, ni ne transmettra aucune religion, car il est destiné à célébrer la Palestine.
L’un des principaux objectifs de Kattan est de transmettre la diversité de la Palestine et d’aider les gens à reconnaître la richesse de la culture et du patrimoine palestiniens, des influences ottomanes aux influences grecques dans des villes telles que Haïfa et Jaffa.
Akub, dit-il, portera des éléments de ces diverses influences dans son apparence, des nuances roses rouillées qui ressemblent aux arrière-cours en Palestine, aux couleurs vertes qui rappellent les vastes oliveraies.
« La Palestine n’a pas commencé en 1948. Cela ne se limite pas à la Nakba », dit-il.
Comme on l’a vu, pour Kattan, l’un des aspects les plus importants du métier de chef est la provenance des ingrédients avec lesquels il cuisine.
« Je ne travaillerai pas avec le café si je ne sais pas d’où il vient, ni dans quelles conditions il a été récolté… Implique-t-il le travail d’enfants ? », dit-il.
Politique d’effacement
Kattan pense qu’il y a eu un effort pour effacer l’aspect palestinien de la cuisine palestinienne sous l’occupation.
« Si un chef israélien cuisine avec du labneh [yaourt égoutté], cela ne me pose aucun problème tant qu’il dit que c’est palestinien ou s’il cuisine du kebab qu’il précise que c’est d’Alep… Le problème, c’est quand l’histoire de la région est ignorée et que les aliments sont étiquetés comme israéliens. »
« Ce même chef défendra les truffes d’Alba et vous racontera l’histoire de l’agriculteur, alors pourquoi ne pas utiliser du freekeh et dire qu’il vient de Cisjordanie ? »
Pour Kattan, de tels comportements sont intrinsèquement liés à l’occupation israélienne.
« Cela devient une normalisation lorsque nous trouvons extrêmement cool d’avoir du sumac et du labneh sur un menu sans indication de sa provenance. »
Un autre problème mis en évidence par Kattan, c’est la désinformation qui a lieu parallèlement à l’effacement de l’origine des ingrédients et des plats.
Il utilise le couscous et le maftoul comme exemple, déclarant qu’il s’agit de deux grains très différents, souvent présentés comme « couscous israéliens ».
Néanmoins, Kattan ne veut pas que la politique devienne la toile de fond de son restaurant et de la nourriture qu’il prépare.
« Cela me frustre en tant que Palestinien de toujours justifier pourquoi nous ouvrons un restaurant palestinien », se plaint-il, « nous ouvrons juste un restaurant comme tout le monde, ce n’est pas un acte militant. »
Il dit simplement qu’il veut défendre les techniques culinaires palestiniennes traditionnelles, dont certaines ont plus de 2 000 ans.
Selon Kattan, la cuisine a le pouvoir de préserver l’identité palestinienne dans la diaspora.
Cuisiner avec des grands-mères palestiniennes
Ce qu’il apprécie particulièrement, c’est de voir les Palestiniens de la diaspora, qui ne parlent pas arabe ou qui ne sont pas allés en Palestine, déguster la nourriture traditionnelle de leur pays d’origine.
« La nourriture a préservé notre identité malgré tout, en particulier dans la diaspora », dit-il, soulignant comment les communautés palestiniennes dans des endroits comme Haïti et l’Amérique latine ont adapté leurs plats traditionnels aux influences locales.
Ce sentiment se reflète dans la série YouTube de Kattan, dans laquelle il cuisine avec des grands-mères palestiniennes. Selon le chef, la nourriture est la clé pour préserver les souvenirs, une chose que les femmes partagent le plus souvent et pour lesquelles, estime-t-il, elles ne sont pas assez reconnues.
Parmi les produits de base que Kattan apportera à Akub figure le sumac, une épice qu’il dit emporter dans son sac à dos partout où il va.
Il y a également la gomme arabique et la graine de cerise aigre, qui, selon lui, méritent plus de reconnaissance car elles ajoutent de la saveur et de la texture importante.
Kattan s’amuse aussi à expérimenter avec son menu.
« En ce moment, je joue avec l’idée d’un sandwich à la mouloukhiya », sourit-il. Il a déjà testé un prototype sur quelques personnes après s’être réveillé un matin en se demandant quoi faire avec des restes de mouloukhiya.
La mouloukhiya, ou mauve des juifs, est un plat traditionnel qui ressemble à une soupe aux épinards, variant en consistance selon l’endroit du Moyen-Orient où le prépare.
Akub, c’est aussi célébrer.
« Nous [les Palestiniens] ne sommes pas seulement des gens qui vivent dans la misère. Nous sommes des gens fiers », dit-il.
Exemple parfait : le ka’ak ou ma’moul, des biscuits farcis aux dattes que les musulmans mangent pour célébrer l’Aïd, que les chrétiens apprécient à Pâques et que les juifs préparent à Yom Kippour.
Quand je demande à Kattan un conseil ou le secret d’un bon repas, il répond simplement : « Nafas ».
Ce mot, difficile à traduire, signifie en gros âme, esprit ou souffle. Kattan le décrit comme « magique » et « désir d’hospitalité ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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