Shakespeare au Yémen : le retour du théâtre face à la tragédie de la guerre
« Être ou ne pas être »: soldats en armes et costumes d’époque sur la scène d’une bâtisse datant de l’ère coloniale britannique, le célèbre monologue d’Hamlet résonne en arabe dans une adaptation inédite au Yémen, événement rarissime dans ce pays ravagé par la guerre.
Entre dilemmes moraux et lutte de pouvoir tragique, l’emblématique pièce de William Shakespeare a un écho puissant aux portes de la mer Rouge, dans le pays le plus pauvre de la péninsule arabique, dévasté depuis plus de huit ans par un conflit sanglant opposant les combattants pro-gouvernement aux Houthis.
Les premiers sont appuyés par l’Arabie saoudite voisine, les seconds par l’Iran, les deux grands rivaux du Golfe arabo-persique.
Organisées en partenariat avec le British Council, les dix représentations d’Hamlet ont fait salle comble début janvier à Aden, ville du sud contrôlée par le gouvernement et devenue sa capitale temporaire après la prise de Sanaa par les Houthis en 2014.
« La plupart des réactions sont bonnes et prometteuses », se réjouit le metteur en scène de la pièce Amr Gamal, par ailleurs réalisateur de Dix jours avant le mariage, l’un des rares longs métrages yéménites réalisés ces dernières années.
« Les gens ne quittent pas la salle avant la fin de la pièce alors même qu’elle est longue », dit-il.
Pourtant, le metteur en scène s’attendait à une audience « limitée », le grand public étant rarement friand d’œuvres étrangères. Mais le succès de la pièce permettra d’autres représentations cette année, assure-t-il.
La troupe se produit dans l’enceinte du Parlement, un bâtiment historique qui date de la forte présence coloniale britannique dans une ville stratégique située sur le golfe d’Aden, près du détroit de Bab al-Mandeb.
« Notre peuple est épuisé et a besoin de se divertir »
Marwan Mafraq, assistant du metteur en scène, évoque « un vieux rêve » enfin réalisé. « Ce n’est pas seulement une pièce de Shakespeare, c’est aussi la restauration d’un monument historique », dit-il à l’AFP.
Mais, au-delà de cette pièce, l’environnement artistique est devenu très restreint au Yémen en raison du conflit, regrette Marwan Mafraq, alors que le pays était connu pour son histoire et sa culture très riches.
La guerre a dévasté ce pays de 30 millions d’habitants, confrontés à l’une des pires crises humanitaires au monde, avec une menace permanente de famine à grande échelle. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées et des millions d’autres déplacées, selon l’ONU.
La troupe a été formée à distance via l’application Zoom pendant deux ans par le théâtre du Globe de Londres et le Volcano Theatre au Pays de Galles.
Le British Council, qui a chapeauté cette coopération, affirme à l’AFP son « engagement » pour permettre aux « jeunes Yéménites de s’exprimer de manière créative ».
« La pièce a été adaptée de l’anglais de Shakespeare vers l’arabe classique puis vers le dialecte spécifique d’Aden », explique à l’AFP Omar Majalad, qui joue plusieurs rôles dont celui de Guildenstern, ami d’Hamlet.
« En tant qu’artistes, nous avons toujours l’espoir qu’il y ait de grandes productions culturelles, théâtrales ou cinématographiques, qui mettent en valeur la culture yéménite », confie l’acteur.
Si, comme nombre d’artistes à travers le monde, l’actrice Nour Zaker qualifie Hamlet de pièce « pas facile, qu’on ne peut pas prendre à légère », elle a dû particulièrement, en tant que femme, faire face à de « très grandes difficultés », dans un pays très conservateur.
« Ma famille ne s’y est pas opposée, mais c’est difficile parce que la société, elle, ne l’accepte pas », confie-t-elle à l’AFP.
Mais les spectateurs, eux, se disent « avides » de ces événements culturels, à l’instar de Heba Al-Bakri, venue à l’une des représentations d’Hamlet. « Notre peuple est épuisé et a besoin de se divertir », dit-elle à l’AFP après l’une des représentations.
Fadi Abdelmalik « espère » lui aussi voir bien d’autres œuvres artistiques à l’avenir. Le Yémen devrait, dit-il à l’AFP, « accorder plus d’importance à l’art et à la musique pour cultiver l’amour et la paix ».
Par les correspondants de l’AFP à Aden, avec Shatha Yaish à Dubaï.
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