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Israël étend une loi sur la déchéance de nationalité qui ouvre la voie à l’expulsion des citoyens et résidents palestiniens

La nouvelle loi implique que les citoyens palestiniens d’Israël et les résidents de Jérusalem-Est peuvent désormais être expulsés vers Gaza ou la Cisjordanie, ce qui, selon les experts en droit, équivaut à un crime de guerre
Une Palestinienne près d’un poste de contrôle de l’armée israélienne à proximité du village de Bait Awa, à la périphérie de la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée, le 13 octobre 2021 (AFP)

Le Parlement israélien a adopté mercredi une loi permettant de priver de leur nationalité des « personnes reconnues coupables de terrorisme », condamnées à des peines de prison pour des infractions portant atteinte à la « confiance envers l’État d’Israël » et qui recevraient des fonds de l’Autorité palestinienne (AP) « en récompense » pour les actes ayant conduit à leur condamnation.

Cette nouvelle loi, qui étend les possibilités de déchoir les citoyens palestiniens d’Israël de leur nationalité, permet au gouvernement israélien de révoquer pour les mêmes motifs les permis de résidence permanente accordés aux Palestiniens de Jérusalem-Est, partie orientale de la ville sainte occupée et annexée par Israël.

Le texte avait été introduit au Parlement en décembre par une trentaine de députés, membres aussi bien de la coalition au pouvoir autour du Premier ministre Benyamin Netanyahou (droite) que de partis du centre.

Expulser les résidents permanents palestiniens de Jérusalem, qui sont des personnes protégées par le droit international humanitaire conformément à la quatrième Convention de Genève, « équivaut à une violation grave de cette convention et donc à un crime de guerre »

- Saba Pipia, expert en droit

Netanyahou, qui détient le record de longévité pour un Premier ministre en exercice, est revenu au pouvoir fin décembre à la faveur d’un accord de coalition liant son parti, le Likoud, à des partis d’extrême droite et des formations ultra-orthodoxes juives.

Adopté par 94 voix contre 10, le texte autorise « la déchéance de la nationalité [israélienne] et la révocation du permis de résidence d’une personne condamnée pour activités terroristes et qui reçoit des indemnités pour ses actes de terrorisme [...] de l’Autorité palestinienne », indique un communiqué du Parlement.

L’Autorité palestinienne verse chaque mois des allocations aux familles de Palestiniens emprisonnés en Israël pour des attaques anti-israéliennes. Ces paiements sont selon l’AP une forme d’aide sociale pour ceux qui ont perdu leur soutien de famille et ne visent en aucun cas à encourager la violence.

En vertu des dispositions existantes en cas de déchéance de la nationalité israélienne, les personnes qui seraient frappées par ces mesures pourront être expulsées vers les territoires sous contrôle de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée ou vers la bande de Gaza, sous le contrôle du Hamas depuis 2007.

Une loi contraire au droit international

Cette loi pourrait concerner plusieurs dizaines de Palestiniens ayant la nationalité israélienne et des centaines de résidents palestiniens de Jérusalem-Est condamnés en Israël, selon l’ONG israélienne de défense des droits civiques HaMoked.

Selon des experts en droit contactés par Middle East Eye, cette politique équivaut à un crime de guerre et enfreint le droit international.

Expulser les résidents permanents palestiniens de Jérusalem, qui sont des personnes protégées par le droit international humanitaire conformément à la quatrième Convention de Genève, « équivaut à une violation grave de cette convention et donc à un crime de guerre », explique à MEE Saba Pipia, conseiller juridique au Diakonia International Humanitarian Law Center à Jérusalem.

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En outre, contraindre les Palestiniens de Jérusalem à faire preuve de loyauté envers Israël est également contraire au droit international humanitaire.

« L’article 45 du Règlement de La Haye interdit à la puissance occupante de contraindre les habitants du territoire occupé à lui prêter allégeance », ajoute l’expert. « Par conséquent, les résidents palestiniens de Jérusalem ne sont pas obligés d’être loyaux à l’État d’Israël, la puissance occupante. »

La loi viole également les droits fondamentaux des citoyens palestiniens d’Israël en vertu du droit international.

Elle sape la Convention sur l’apatridie et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entre autres, selon des experts interrogés par MEE.

Israël a déjà une législation existante lui permettant de révoquer la citoyenneté ou la résidence. Ce nouveau projet de loi, cependant, marque la première fois que le pays cherche à expulser des personnes vers un territoire occupé.

« Citoyen sous conditions »

La nouvelle loi est critiquée par des organisations de défense des droits de l’homme qui la considèrent discriminatoire dans la mesure où elle crée des voies juridiques distinctes pour la citoyenneté fondées sur l’identité raciale.

L’ONG israélienne de défense des droits de la minorité palestinienne Adalah a dénoncé une loi « qui vise exclusivement les Palestiniens, ajoutant un niveau supplémentaire aux violations de leurs droits [...] sur la base de deux systèmes légaux [...] renforçant la division raciale et la suprématie juive ».

« Quand un Arabe commet un crime, il est citoyen sous conditions alors que si un Juif commet un crime, même plus grave, on n’envisage pas de lui retirer sa nationalité », a déploré pendant le débat le député arabe israélien Ahmed Tibi, qui a dénoncé cette loi.

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Le Parlement a également voté en lecture préliminaire un projet de loi visant à autoriser l’expulsion de membres de la famille d’un « terroriste » dans le cas où ces membres auraient soutenu ses actes ou s’ils avaient été tenus au courant avant et n’avaient pas dénoncé leur proche aux autorités.

En 2017, un tribunal a révoqué la nationalité d’un Palestiniens israélien auteur d’un attentat à la voiture bélier et d’attaques au couteau, dans une première application d’un amendement à la loi sur la nationalité voté en 2008.

Cet amendement fait en sorte que la demande de déchéance présentée par le ministère de l’Intérieur contre une personne impliquée dans des activités « terroristes » soit validée par une décision de justice.

À l’époque, l’organisation américaine de défense des droits humains Human Rights Watch avait indiqué qu’Israël avait privé de permis de résidence 15 000 Palestiniens de Jérusalem-Est depuis 1967 et prévenu que cette pratique pouvait relever du « crime de guerre ».

Israël avait aussi décidé en 2017 de déchoir de leur nationalité une vingtaine d’Israéliens ayant rejoint l’organisation État islamique (EI).

En décembre 2022, Israël a expulsé l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, soupçonné par Israël de liens avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation jugée « terroriste » par Israël et l’Union européenne – des accusations qu’il réfute – après que la justice israélienne eut révoqué son statut de résident de Jérusalem-Est.

Paris avait condamné cette décision d’expulsion, la déclarant « contraire au droit ». Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme avait qualifié de son côté le procédé de « crime de guerre ».

L’AFP a contribué à cet article.

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