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En Iran, la mort d’un bébé guépard menacé d’extinction provoque tristesse et colère contre les autorités

La mort de Pirouz, que les experts ont attribuée aux mauvaises conditions de vie et à l’absence de moyens nécessaires pour le soigner, a suscité des commentaires sur l’échec du gouvernement à investir dans la protection de l’environnement
Pirouz et son soigneur Alireza Shahrdari (Twitter/@SomayehFars)
Pirouz et son soigneur Alireza Shahrdari (Twitter/@SomayehFars)

La mort d’un guépard asiatique (aussi appelé guépard iranien), espèce rare en Iran, a provoqué un tollé dans l’opinion publique et a mis en lumière l’incapacité du gouvernement à préserver la faune et la biodiversité du pays.

Pirouz était le seul survivant de trois bébés guépards asiatiques, une sous-espèce classée en danger critique d’extinction, nés en mai 2022 et décédés le 28 février 2023 dans un hôpital vétérinaire de Téhéran des suites d’une insuffisance rénale.

Les trois guépards étaient nés en captivité via une césarienne, mais le frère et la sœur de Pirouz n’ont pas survécu, leur mère nommée Iran les ayant rejetés.

Traduction : « Tu vas nous manquer à tous. Merci pour votre travail acharné… pour les heures que vous avez passées avec Pirouz. »

Les autorités avaient placé leurs espoirs dans la protection de Pirouz afin que cette sous-espèce se reproduise.

En 2010, environ 100 guépards asiatiques vivaient en Iran à l’état sauvage. Aujourd’hui, ils ne seraient qu’une douzaine. 

Selon l’International Society for Endangered Cats (ISEC), les guépards asiatiques qui habitaient autrefois les prairies de l’Iran, de l’Inde, du Pakistan, de la Russie et de certaines parties du Moyen-Orient et de l’Afrique ont été éliminés en raison de plusieurs facteurs, « notamment la chasse excessive, la dégradation de l’habitat et la rareté des proies ».

Pirouz, qui signifie « victorieux » en persan, était devenu une icône d’espoir et une fierté nationale parmi les Iraniens qui se délectaient de la vitesse et de l’intelligence exceptionnelles de l’animal, considéré comme le mammifère le plus rapide du monde.

Un écho auprès des soutiens de Mahsa Amini

Par ailleurs, son nom avait trouvé un écho auprès de nombreuses personnes impliquées dans les manifestations antigouvernementales qui ont éclaté après la mort en détention d’une jeune femme, Mahsa Amini, arrêtée par la « police des mœurs » iranienne, qui appliquait alors la réglementation stricte du pays en matière de port du hijab.

La chanson « Baraye » du chanteur Shervin Hajipou, qui est devenue l’hymne non officiel des manifestations, fait référence au sort de Pirouz.

Pour de nombreux Iraniens, le guépard était emblématique des richesses environnementales du pays et de la faune autrefois florissante.

Mais sa mort, que les experts ont attribuée aux mauvaises conditions de vie et à l’absence de moyens nécessaires pour le soigner, a redirigé l’attention sur l’échec du gouvernement à investir dans la protection de l’environnement.

Pirouz souffrait de problèmes digestifs depuis sa naissance. À la suite de complications, il a refusé de manger et de boire pendant plusieurs jours consécutifs.

Il a été hospitalisé dans une clinique vétérinaire de Téhéran le 23 février, où il a été décidé qu’il avait besoin d’une dialyse. Il est finalement décédé cinq jours plus tard.

Traduction : « La dernière vidéo de Pirouz dans les bras de Alireza Shahrdari. »

Sa mort a suscité une vague de chagrin sur les réseaux sociaux par les internautes qui suivaient de près sa santé.

Des journalistes locaux ont pointé le fait qu’il n’existait pas en Iran d’appareil d’hémodialyse spécial nécessaire au traitement des animaux et que le gouvernement avait refusé les offres de membres aisés de la diaspora ayant manifesté leur volonté d’envoyer l’équipement et les médicaments associés en Iran.

« L’objection que l’on peut adresser au ministère de l’Environnement est que Pirouz devait subir un contrôle à l’âge de 8 mois et que rien n’a été fait », a déclaré à Middle East Eye Zeinab Rahimi, journaliste iranienne spécialisée dans les questions d’environnement.

« Des responsables du département craignaient qu’en cas d’anesthésie, l’animal ne puisse pas être réanimé, et ils redoutaient peut-être un tollé dans l’opinion publique. Le contrôle nécessaire n’a pas été fait Pirouz n’a pas pu atteindre l’âge de 10 mois. »

Une série de crises environnementales

Selon Zeinab Rahimi, le ministère de l’Environnement avait fait l’objet de critiques bien avant la mort de Pirouz, pendant la grossesse de la mère et sa mise bas par une césarienne.

Selon elle, les autorités, qui ne connaissaient pas de vétérinaire connaissant la mise bas des guépards, auraient pu demander une aide extérieure, notamment en invitant des experts d’Afrique du Sud, où une telle expertise est disponible, et d’où un spécialiste a finalement été invité afin de réaliser l’échographie post-partum.

Un militant écologiste et un défenseur de l’environnement ont été désignés pour être les soignants de Pirouz peu de temps après sa naissance et après la mort prématurée de son frère et de sa sœur.

Alireza Shahrdari a passé beaucoup de temps avec Pirouz au parc Pardisan, où le petit guépard a été emmené après sa naissance dans le refuge faunique de Touran dans la province de Semnan, au nord de l’Iran.

Alireza Shahrdari dormait à côté de Pirouz la nuit et fournissait des informations régulièrement sur son compte Instagram sur la santé du petit guépard à un public enthousiaste. 

Son histoire sur Instagram annonçant la perte du petit guépard devenu populaire a suscité une tristesse générale qui s’est rapidement transformée en colère, les gens accusant le gouvernement de mauvaise gestion de l’environnement.

« La mort de Pirouz a montré à quel point la naïveté, l’impréparation et la gestion arrogante de l’environnement peuvent entraîner des événements catastrophiques et conduire à des tragédies », a commenté Ali Nazemi, expert en ressources en eau et professeur agrégé au Département du bâtiment, civil et génie de l’environnement à l’université Concordia à Montréal au Canada.

« Cela a montré une fois de plus qu’après de telles tragédies, personne n’est responsable et la reddition des comptes est un concept qui n’existe pas. »

« Pirouz a été traité par l’Iran de la même façon que la pays prend en charge d’autres éléments de notre environnement, l’eau, la terre, l’air et les autres espèces», a-t-il déclaré à MEE.

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L’Iran est confronté à une série de crises environnementales, notamment l’assèchement du lac d’Ourmia, le plus grand lac d’eau salée du Moyen-Orient, ainsi que la déforestation et la pollution endémiques sur les côtes de la mer Caspienne, les tempêtes de sable dans la province du Khouzistan (sud-ouest) et la diminution rapide des ressources en eau potable.

La perception dominante dans l’opinion publique est que le gouvernement ne n’accord aucune valeur à la protection de l’environnement et ni aux réponses à apporter à ces défis.

Les experts estiment que les fonds alloués au ministère de l’Environnement pour lutter contre ces cataclysmes sont loin d’être suffisants, et que le gouvernement investit plutôt de l’argent dans des institutions chargées de produire de la propagande idéologique, telles que les séminaires religieux et la télévision d’État.

Le président Ebrahim Raïssi a récemment soumis le projet de loi de finances 2023 à l’examen des législateurs iraniens.

La part accordée au ministère de l’Environnement, 72,8 millions de dollars, représente un infime 0,2 % du budget annuel total.

Le financement public est la seule source de revenus du ministère de l’Environnement.

Selon l’indice mondial de la biodiversité 2022, élaboré par l’analyse de données récoltées par The Swiftest, l’Iran se classe 48e sur 201 pays et territoires en matière de nombre d’espèces d’oiseaux, d’amphibiens, de poissons, de mammifères, de reptiles et de plantes.

On pense que le guépard asiatique se trouve aujourd’hui uniquement en Iran.

Traduit de l’anglais (original).

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