Nabil Ennasri : « Il y a un manque d’implication du monde musulman dans les questions environnementales »
5 000 kilomètres à vélo. Tel est le défi que s’est fixé Nabil Ennasri lorsqu’il a quitté Paris le 22 avril dernier en direction de l’Arabie saoudite. Après trois années de préparation physique, il a entrepris ce voyage dans une double quête, spirituelle et écologique.
Depuis de nombreuses années, le diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et de l’IESH (Institut européen de sciences humaines) milite pour une meilleure prise de conscience des enjeux environnementaux. Dans un livre paru en 2014, Les Sept défis capitaux, il exhorte la population musulmane de France à se joindre à la lutte contre le changement climatique.
En parcourant une dizaine de pays (Allemagne, Autriche, Slovénie, Croatie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Turquie, Égypte, Jordanie) pendant presque deux mois, le cycliste a souhaité également restituer les conditions spartiates (à pied ou à dos de monture) dans lesquelles les pèlerins se rendaient jusqu’aux lieux saints de l’islam avant la démocratisation du transport motorisé, nottament aérien.
Pour lui, ce type de périples, bien que long et périlleux, est propice à la contemplation et à la méditation… ainsi qu’à la découverte de lieux historiques prodigieux, comme la mosquée Sainte-Sophie à Istanbul.
Sur les réseaux sociaux, où Nabil Ennasri poste des vidéos très régulièrement, des dizaines de milliers de personnes suivent ses pérégrinations. Lorsque Middle East Eye l’a interviewé le 12 juin dernier, il venait de traverser la frontière jordano-saoudienne, très ému et déterminé à aller jusqu’au bout : la Grande Mosquée de La Mecque, avec une arrivée prévue le 22 juin.
Middle East Eye : Pourquoi avoir choisi le voyage à La Mecque pour initier une campagne de sensibilisation sur la défense du climat ?
NE : Mon voyage, certes, comporte une dimension spirituelle évidente. Le but étant d’aller vers Dieu et de répondre à son appel en accomplissant le cinquième pilier de l’islam.
Mais au-delà de cette quête purement religieuse, faire la route à vélo jusqu’à La Mecque répond aussi à la volonté de mettre l’accent sur les problèmes liés à l’environnement et à la préservation de la planète qui me paraissent, personnellement, essentiels pour l’avenir des futures générations.
Cette question [la préservation de l’environnement] est globalement éclipsée de la pensée musulmane contemporaine et des préoccupations de la communauté musulmane
Cette question est globalement éclipsée de la pensée musulmane contemporaine et des préoccupations de la communauté musulmane. Je travaille sur le sujet depuis environ une quinzaine d’années. En 2011, j’avais tenu une première conférence sur le croisement entre l’écologie et l’islam.
Depuis, peu de choses ont changé. Il existe toujours dans le monde musulman un manque de compréhension et d’implication dans les questions environnementales.
Or nous savons aujourd’hui que l’humanité est à la croisée des chemins. Soit nous freinons le modèle de développement actuel qui est destructeur de l’environnement, soit nous nous exposons à un réchauffement climatique extrêmement pénible pour les hommes, pour la biodiversité et notre écosystème.
Donc oui, avec ce voyage, je veux susciter une prise de conscience sur un enjeu environnemental décisif pour préserver les possibilités de vie sur Terre.
MEE : Le circuit à vélo vous permet aussi, n’est-ce pas, de mettre en évidence l’impact climatique du transport aérien, surtout que ce mode de locomotion est très utilisé pour le hadj.
NE : Mon objectif avec ce voyage, c’est vrai, est de faire revivre aussi la tradition de nos aïeux qui se rendaient à La Mecque à pied ou à dos de monture. Cette mobilité douce qui s’étale sur plusieurs jours, voire des semaines, est non seulement bénéfique pour l’environnement mais répond aussi à l’esprit du hadj en renforçant la contemplation et la méditation.
Elle favorise l’introspection et le retour vers Dieu. Ce qui est rarement possible avec la fulgurance d’un trajet de quelques heures en avion jusqu’à La Mecque.
Lors de mon voyage, j’ai eu l’occasion de contempler des paysages magnifiques propices à la méditation. En me coupant du monde moderne et de ses vicissitudes, j’ai pu ainsi avoir des moments de calme et de tranquillité de l’âme. C’est d’ailleurs pour cela que je me sens bien physiquement, même après 70 jours et 4 000 kilomètres de trajet.
MEE : Des aléas climatiques ont pourtant gêné votre progression au fil des jours…
NE : Absolument. J’ai essuyé de nombreuses tempêtes de grêle, notamment en Turquie. Mais cela ne m’a pas empêché de continuer ma route. Le voyage vers le sacré implique aussi des obstacles qu’il faut contourner. C’est au gré de ces difficultés qu’on doit trouver des ressources pour se dépasser et qu’on acquiert de l’humilité, de la satisfaction de voir que nous avons atteint notre objectif.
En arrivant en Arabie saoudite, plus précisément à Tabouk, un territoire que le prophète de l’islam avait foulé avec ses compagnons, un sentiment de plénitude m’a envahi au point de pleurer. Malgré les difficultés, mes efforts ont fini par payer.
MEE : Quel accueil vous a-t-il été réservé tout au long de votre parcours ?
NE : Les gens que j’ai rencontrés ont été impressionnés par le parcours que j’ai réalisé depuis Paris. Ils ont aussi fait preuve d’une grande générosité qui m’a mis du baume au cœur.
[Ce mode de locomotion lent] favorise l’introspection et le retour vers Dieu. Ce qui est rarement possible avec la fulgurance d’un trajet de quelques heures en avion jusqu’à La Mecque
Par ailleurs, sur les réseaux sociaux, des milliers de personnes me suivent. Leurs messages sont pleins d’encouragement et révèlent quelques fois des prises de conscience.
Certains, par émulation, envisagent de faire le même voyage, alors que d’autres pensent déjà à changer de moyen de locomotion pour préserver l’environnement et leur santé. Pour ma part, même après des milliers de kilomètres, je ne ressens aucune fatigue ni la moindre courbature.
MEE : Vous avez dû longtemps vous entraîner pour supporter le voyage. Comment se sont déroulés les préparatifs ?
NE : J’ai préparé ce voyage pendant trois ans physiquement et moralement. Je réalisais une quarantaine d’étirements pas jour avec un kinésithérapeute. J’ai pris le soin d’aller voir un chirurgien orthopédique pour savoir si mes genoux allaient supporter la conduite à vélo pendant des semaines pratiquement non-stop.
Je me suis également rendu dans des magasins spécialisés pour acquérir du matériel de très bonne qualité qui permet d’éviter les douleurs musculaires. J’ai réalisé une étude posturale pour voir à quel niveau devaient être la selle et le guidon. Bref, je me suis donné tous les moyens pour rendre le voyage tenable.
MEE : Une équipe technique vous accompagne lors de votre voyage. Quel est son rôle ?
NE : Trois personnes sont avec moi, dont une spécialisée dans la communication, qui retrace mon parcours à travers des vidéos, et deux autres qui s’occupent de la logistique, de l’organisation des itinéraires, du transport des affaires...
Nous avions un van que nous avons dû abandonner à Antalya, en Turquie, parce qu’il n’y a pas de liaison maritime avec l’Égypte [itinéraire choisi par défaut à cause de la guerre en Syrie]. Depuis, nous sommes en mode plus spartiate. Nous devons à chaque étape trouver des voitures pour nous accompagner.
MEE : Au cours de vos escales, vous avez pris le temps de visiter des sites emblématiques de l’islam comme la mosquée Sainte-Sophie à Istanbul, mais pas uniquement puisque vous avez également fait une halte dans d’autres lieux historiques comme le Monument des évadés et passeurs du Col du Donon, dans les Vosges.
NE : Ce mémorial est d’ailleurs le premier site que j’ai visité après mon départ de Paris. Je m’y suis arrêté car je suis un passionné d’histoire. Mais aussi parce que ce lieu est le symbole d’un combat pour la paix et la justice qui concerne toute la population de la planète, qu’elle soit musulmane ou pas. C’est vrai, ensuite, que l’histoire des empires musulmans m’intéresse aussi énormément. Istanbul est un musée à ciel ouvert que j’ai eu plaisir à visiter.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].
