Des violences policières aux hijabeuses : la France est devenue un contre-modèle d’égalité et de fraternité
Bien que l’histoire ne se répète jamais, même telle une farce, c’est souvent ce qu’elle semble faire, comme c’est actuellement le cas en France.
Le meurtre par un policier d’un adolescent français d’origine maghrébine dans la banlieue de Nanterre, après son présumé refus d’obtempérer à un ordre d’arrêter sa voiture, a mis le feu aux poudres, suscitant des émeutes qui se sont propagées à travers le pays pendant plusieurs jours.
Selon des preuves vidéo et des témoignages, un policier a menacé de tirer sur le jeune homme « dans la tête » avant de tirer avec son arme lorsque la voiture a démarré.
Cela ressemble à une répétition de la mort en 2005 de deux jeunes adolescents pourchassés par la police dans une autre banlieue parisienne, qui avait conduit à des semaines d’émeutes nationales et à l’État d’urgence imposé par le gouvernement.
L’incident de Nanterre, dans lequel le policier a été inculpé pour homicide volontaire, rappelle également la mort en garde à vue en 2016 d’Adama Traoré, un Français d’origine africaine de 24 ans, qui est devenu par la suite un symbole de la violence et du racisme de la police française – et plus largement de l’État français – vis-à-vis des minorités ethniques. Sa mort avait déclenché une vague de protestations et d’activisme pour la justice raciale.
Ces derniers jours, les citoyens français ont de nouveau été soumis à un problème dont les racines se trouvent dans son histoire coloniale : une fixation obsessionnelle sur la visibilité non pas de la « religion dans l’espace public », comme on l’appelle parfois, mais d’une seule religion, l’islam, dont les adeptes sont soumis à une différence et à une inégalité de traitement de plus en plus grandes, à des politiques de sécuritisation et à la persécution de l’État, en violation totale des valeurs professées par la France et ses garanties constitutionnelles.
Parmi ces garanties figurent l’égalité devant la loi, la liberté de religion et le principe de laïcité, qui oblige l’État à traiter toutes les religions sur un pied d’égalité. Mais qui pourrait prétendre sans détour que l’État français traite l’islam et ses adeptes de la même manière que les chrétiens ou les juifs ?
Après avoir précédemment interdit les « symboles religieux » (lire : islamiques) dans les écoles publiques et les burqas dans les lieux publics, la France est maintenant au milieu d’une nouvelle chasse aux sorcières contre les élèves portant des abayas dans les écoles, au motif qu’ils sont des « symboles religieux » et tombent donc sous le coup de la loi de 2004.
Cela a conduit aux accusations hystériques habituelles de l’extrême droite selon lesquelles ces jeunes filles sont, sinon des « agents de l’islamisme » cherchant à renverser la république, du moins « manipulées » par de tels groupes, et que le gouvernement Macron est trop indulgent envers « l’islamisme ».
Les musulmans pris pour cible
Rivalisant pour attirer l’attention et les gros titres de la presse française, un nouveau débat national autour de (et contre) la tenue islamique des femmes vise à nouveau les « musulmans visibles », vilipendés comme des menaces, des « islamistes » ou des « radicaux ». Le récit médiatique utilise la même vieille rhétorique (comme la nécessité de « protéger la laïcité française » et de lutter contre « l’islam politique »), et cela continue d’avoir des effets délétères sur les musulmans.
La République française est-elle vraiment si faible que quelques centaines de jeunes filles portant des robes longues, parmi des millions d’autres élèves français, représentent en quelque sorte une menace existentielle pour la nation – et que si nous ne nous attaquons pas à cette question, « les islamistes gagneront » et nous vivrons bientôt dans un califat de style État islamique ?
Cette nouvelle campagne est d’autant plus scandaleuse que l’abaya n’a pas de signification religieuse spécifique et est souvent un simple choix de mode permettant aux filles de se distinguer de leurs pairs, peut-être par rébellion contre la culture occidentale dominante.
D’éminents imams français, des théologiens très respectés et le Conseil français du culte musulman (l’institution semi-officielle représentative des musulmans en France) ont clairement indiqué que l’abaya n’était pas un signe religieux mais un choix culturel.
Liberté, égalité et fraternité… deviennent des mots de plus en plus vides de sens pour les musulmans et les autres minorités
Dans le même temps, une autre « controverse » récente s’est concentrée sur les joueuses de football, qui protestent contre l’interdiction du voile par la Fédération française de football. Elles aussi sont régulièrement accusées par les grands médias d’être des « islamistes » dangereuses et subversives en guerre contre la République.
Tous ces événements interdépendants – la tuerie de Nanterre, les émeutes des banlieues et la quête continue de diabolisation de l’islam – sont des symptômes des problèmes structurels profonds que le gouvernement français, les médias grand public et la culture dominante ont développés avec les minorités « postcoloniales » en général, et en particulier avec les populations largement privées de leurs droits et ségréguées dans les banlieues françaises.
Au lieu de développer des politiques inclusives et d’encourager une culture ouverte plus conforme aux radicales transformations sociétales de la France dans l’après-guerre, le pays fait le contraire : exclure, stigmatiser, vilipender, réprimer et discriminer les personnes et les groupes qui veulent seulement être traités sur un pied d’égalité. Cela inclut le droit de ne pas être tué de manière injustifiée par la police et de ne pas être convoqué pour choisir entre le sport ou l’éducation et la liberté de religion et de conscience.
En particulier, la réponse du gouvernement à la tuerie de Nanterre et aux émeutes qui ont suivi – dont les médias grand public se sont fait l’écho avec zèle dans leur « analyse » de ces événements – a été essentiellement répressive, visant uniquement à « rétablir l’ordre ». Aucune des causes profondes des manifestations n’est abordée.
Violences policières
Plus choquant encore, le gouvernement Macron continue de refuser de reconnaître le profond problème de violence policière en France, le racisme systémique qui afflige ses forces de « l’ordre » et l’islamophobie institutionnelle, même si ces phénomènes ont été bien documentés par des universitaires, des militants, des associations locales, des groupes de défense des droits de l’homme et des habitants de quartiers marginalisés.
La semaine dernière, la France a été officiellement condamnée deux fois en l’espace d’une journée à cause du racisme, de la violence et de l’usage excessif de la force par sa police. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a exhorté la France à s’attaquer aux « problèmes profonds de racisme et de discrimination dans les forces de l’ordre ». Le même jour, la Confédération syndicale internationale a sévèrement condamné la France pour « violences policières », « arrestations aveugles » et atteintes répétées aux droits des travailleurs.
Pourtant, contre toute évidence – y compris les déclarations choquantes de la police française elle-même, dont les éléments fascistes ont ouvertement menacé de se retourner violemment contre le gouvernement –, Macron et son gouvernement continuent d’ignorer et de nier.
Au sujet de la condamnation de l’ONU, Paris a simplement déclaré que « toute accusation de racisme ou de discrimination systémique dans la police en France est totalement infondée », comme il en va toujours dans de tels cas, qui sont devenus monnaie courante. Cela suggère que le gouvernement Macron est maintenant si faible et impuissant que ses propres forces de police peuvent le menacer ouvertement et publiquement d’insurrection et de violence, et s’en tirer impunément.
Ce que nous avons ici, dans un aveuglement, un déni et une impuissance aussi systématiques, n’est pas un bégaiement de l’histoire, mais un pays à la fois réticent et incapable de reconnaître, et encore moins de s’attaquer, aux causes profondes des événements récents afin qu’un jour il puisse être à la hauteur de ses grands idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.
En attendant, ces mots ont perdu tout sens pour les musulmans et les autres minorités – et c’est pourquoi les rues françaises se sont à nouveau enflammées.
- Alain Gabon est professeur des universités américaines et maître de conférence en « French Studies » à l’université Wesleyenne de Virginie (Virginia Beach, États-Unis). Spécialiste du XXe siècle, il a écrit de nombreux articles sur, entre autres sujets, l’islam et les musulmans en France et dans le monde. Ses écrits ont été publiés dans plusieurs pays dans des publications académiques, des think tanks, ainsi que des médias grand public et spécialisés tels que SaphirNews, Milestones: Commentaries on the Islamic World, et Les Cahiers de l’Islam. Son récent essai intitulé « Les mythes de la “menace djihadiste” et de la “radicalisation islamiste” en Occident » est disponible en français et en anglais sur le site de l’organisation britannique The Cordoba Foundation.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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