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En Israël, les pèlerins indiens « disparaissent » des circuits religieux pour chercher du travail

À la recherche de meilleures conditions économiques, certains visiteurs en provenance du Kerala ont quitté les séjours organisés auxquels il participaient en Terre Sainte pour obtenir des permis de travail, généralement en demandant l’asile
Sur cette photo prise en 2007, deux Indiennes musulmanes regardent Jérusalem (AFP)
Sur cette photo prise en 2007, deux Indiennes musulmanes regardent Jérusalem (AFP)

Les pèlerinages organisés pour les Indiens en Israël et en Palestine occupée ont été utilisés ces dernières années comme voie pour s’implanter et rechercher un emploi en Israël, selon des informations recueillies par Middle East Eye.

Depuis mars, au moins une douzaine de personnes de l’État du Kerala (sud-ouest de l’Inde) auraient disparu alors qu’elles participaient à ces pèlerinages.

Les informations fournies par les voyagistes indiquent une tendance récurrente : ces personnes disparues demanderaient l’asile ou des opportunités d’emploi en Israël.

« Ce qui est le plus préoccupant, c’est lorsque des organisations criminelles qui gagnent d’énormes sommes d’argent sur le dos des travailleurs sont impliquées à la fois dans les pays d’origine des travailleurs et en Israël »

- Miriam Anati, membre de Kav LaOved, ONG israélienne de défense des droits des travailleurs

Selon les estimations de l’ambassade d’Inde à Tel Aviv, communiquées en février 2023, environ 18 000 citoyens indiens résident et travaillent en Israël, dont une partie importante est employée comme aides-soignants pour des Israéliens âgés.

Miriam Anati, membre de Kav LaOved, ONG israélienne de défense des droits des travailleurs, affirme que son association n’est pas au courant du phénomène de la disparition des pèlerins en quête d’asile.

« Je n’ai pas entendu parler de ce phénomène en tant que tel, mais à Kav LaOved, nous rencontrons parfois des travailleurs de pays en développement dans des situations similaires », explique-t-elle.

« Ce qui est le plus préoccupant, c’est lorsque des organisations criminelles qui gagnent d’énormes sommes d’argent sur le dos des travailleurs sont impliquées à la fois dans les pays d’origine des travailleurs et en Israël. Le risque est que des travailleurs lourdement endettés se retrouvent dans des situations horribles. Nous rencontrons des travailleurs, réguliers et irréguliers, victimes d’abus et/ou de traite, et les aidons à sortir de ces situations. »

Marina Polinovsky, qui travaille au département des soignants de Kav LaOved, ajoute : « Certaines personnes peuvent venir en Israël en tant que touristes ou pèlerins et rester et travailler illégalement, ce n’est pas spécifique aux Indiens.

« Certains avocats spécialisés en droit de l’immigration soumettent des demandes d’asile, et pendant que la demande est traitée, les demandeurs d’asile peuvent travailler. Mais généralement, ces demandes sont refusées après quelques mois, car elles sont sans fondement. »

« La migration nécessite un réseau solide »

Selon Borgian Solomon, un soignant du Kerala arrivé en Israël en 2008, les pèlerins se rendent en Israël avec un visa B2 à entrée unique valable trois mois, puis laissent leur visa expirer tout en cherchant des opportunités de travail.

Israël devient de plus en plus une destination de migration pour de multiples raisons, selon V J Varghese, professeur agrégé d’histoire à l’université d’Hyderabad (État du Télangana, au sud de l’Inde) qui étudie les migrations transnationales du Kerala, notant qu’Israël ne figure pas sur la liste des pays concernés par le « Emigration Clearance Required » (ECR), un cachet appliqué sur les passeports indiens nécessitant une autorisation d’émigration pour les personnes ayant l’intention de travailler à l’étranger.

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« Contrairement à dix-sept autres destinations, les Indiens n’ont pas besoin d’une autorisation du Protector General of Emigrants [autorité relevant du ministère des Affaires étrangères chargée de protéger les intérêts des travailleurs indiens partant à l’étranger] s’ils veulent partir travailler en Israël », précise-t-il à MEE. « Israël offre également de meilleurs taux de rémunération et des conditions de travail relativement meilleures. »

Interrogé sur les motivations de son émigration du Kerala, un État relativement prospère et alphabétisé sans histoire de calamités majeures et de guerres civiles, V J Varghese explique : « La migration n’est pas uniquement déterminée par la pauvreté. Des États comme le Kerala, le Pendjab et le Gujarat, concernés par une émigration massive, ne sont pas les États indiens les plus pauvres. La migration nécessite un réseau solide, une capacité à payer [le voyage] et des aspirations conditionnées par une longue culture migratoire. »

Suraj Rajan Kadanthodu, chercheur en études israéliennes à l’université de Haïfa, spécialisé dans les communautés juives indiennes, précise que ceux qui demandent l’asile au Kerala sont généralement des chrétiens.

Et bien que ce phénomène soit relativement rare chez les musulmans, la tendance connaît un changement depuis mars.

Un caution pour les voyageurs

Selon des rapports, quatre touristes musulmans du Kerala, dont une femme, tous âgés de plus de 50 ans, ont disparu lors d’une tournée en Israël.

Jaleel Mankarathodi, le propriétaire de Green Oasis Tours and Travel Services, basé dans la ville de Malappuram, dans l’État du Kerala, assure à MEE que cette famille, composée d’un père, d’une mère, d’un fils et du beau-père du fils, était insoupçonnable.

Un incident similaire en juillet a conduit une DMC israélienne (agence présente sur le lieu de destination, chargée d’organiser sur place tous les aspects du séjour) à arrêter l’ensemble du groupe de sept touristes et à facturer à l’agence de Jaleel Mankarathodi 20 000 dollars pour chacune des personnes.

Le professionnel du tourisme pense que sa réputation et ses services, ainsi que ceux de ses collègues hommes d’affaires, ont été exploités pour le trafic d’êtres humains.

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Selon lui, la DMC israélienne est légalement tenue de verser une importante caution au ministère de l’Intérieur en guise de garantie en cas de départ éventuel de certains touristes des voyages organisés lorsqu’ils veulent éviter de retourner dans leur pays d’origine.

En février, un agriculteur participant à une tournée parrainée par le gouvernement de l’État du Kerala dans des fermes israéliennes a disparu pendant plusieurs semaines. Finalement, il est réapparu chez lui à la suite des pressions exercées par les autorités de l’État sur sa famille.

Bien avant cet incident, en 2010, 50 pêcheurs du Kerala ont participé à un pèlerinage dans l’espoir de trouver du travail en Israël, mais ils se sont retrouvés incarcérés dans les prisons israéliennes avant d’être expulsés car ils n’étaient pas en mesure de fournir des visas valides.

Cela a marqué le début d’une tendance qui s’est accentuée au fil du temps, loin de toute médiatisation.

Suraj Rajan Kadanthodu, le chercheur, a pris conscience de ce phénomène en 2018.

« Je rentrais au Kerala après une université d’été en Israël. À l’aéroport Ben Gourion [Tel Aviv], j’ai rencontré deux travailleurs du Kerala. Ils racontaient qu’ils avaient infiltré un groupe de pèlerins et avaient ensuite acquis le statut de réfugié de l’ONU, avec lequel ils peuvent travailler et gagner de l’argent en Israël. Ils ont affirmé qu’ils gagnaient entre 4 000 et 5 000 shekels [entre 970 et 1 200 euros] par mois.

MEE n’a pas pu vérifier de manière indépendante la plausibilité du récit des deux travailleurs.

Pourtant, beaucoup au Kerala suggèrent l’existence d’un « réseau » à Tel Aviv capable d’aider les touristes indiens à légaliser leur statut de résident.

Plusieurs groupes de voyageurs ont déclaré aux médias du Kerala qu’ils avaient perdu des personnes en Israël près de restaurants où il n’y avait pas de caméras de sécurité.

« Les gens rapportent qu’en moyenne, un pèlerinage voit disparaître une à quatre personnes en Israël. La pratique s’est épanouie, aidée par une culture de l’omerta, les agences ayant une réputation à protéger »

- Jaleel Mankarathodi, organisateur de voyages

Selon Jaleel Mankarathodi, sa propre enquête a révélé des réseaux de contrebande dans les deux districts les plus au sud du Kerala, en collusion avec un réseau à Tel Aviv.

Il se dit « stupéfait par l’audace des gens qui ont disparu » de ses séjours. « Des familles entières ont fui les circuits et laissé leurs passeports derrière elles. Personne ne s’amuserait à cela sans suffisamment d’assurances et de témoignages de réussite. Ces escroqueries coûtent entre 5 435 et 6 038 dollars par personne. Après nous avoir payé un forfait voyage de 1 570 dollars, ils empochent illégalement un énorme profit. »

Jaleel Mankarathodi a pris connaissance de cette pratique après deux incidents impliquant son agence en trois mois.

« Les gens rapportent qu’en moyenne, un pèlerinage voit disparaître une à quatre personnes en Israël. La pratique s’est épanouie, aidée par une culture de l’omerta, les agences ayant une réputation à protéger. »

Il souligne que les passeurs profitent de la réputation du caractère religieux de ces voyages.

Le prêtre catholique, le père George Joshua, raconte qu’il organise des séjours depuis 2006, et qu’aucun incident de ce type ne s’est produit avant février, lorsque six membres de son groupe de 25 membres ont disparu.

« Je suis toujours passé sans tracas aux points de contact israéliens en raison de l’intégrité et de la crédibilité construites au fil des ans. J’ai tout perdu », a-t-il déclaré dans un entretien vidéo plus tôt cette année.

Traduit de l’anglais (original).

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