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Entre répression et peur, le quotidien des musulmanes portant le hijab dans l’Inde de Modi

Le climat politique actuel relègue encore un peu plus la communauté musulmane à la marge de la société
Une femme prend une photo avec son téléphone en visitant la mosquée Jama Masjid, dans la ville fortifiée de New Delhi, le 26 novembre 2022 (AFP)
Une femme prend une photo avec son téléphone en visitant la mosquée Jama Masjid, dans la ville fortifiée de New Delhi, le 26 novembre 2022 (AFP)

En 2018, alors que j’étais enseignante stagiaire dans une école de New Delhi, la directrice a interrompu mon cours devant plus d’une quarantaine d’enfants pour me demander si je pensais que « ceci » devait être autorisé à l’école, répétant le principe éculé selon lequel « la religion ne [devait] pas interférer avec la vie professionnelle ». On m’a demandé de ne plus porter mon foulard à l’école. 

En 2018, les musulmans avaient déjà commencé à être marginalisés en Inde, cet incident n’était donc pas particulièrement surprenant. Mais en 2023, être harcelée pour un hijab est devenu une réalité quotidienne pour de nombreuses femmes musulmanes sous le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi.

En 2023, être harcelée pour un hijab est devenu une réalité quotidienne pour de nombreuses femmes musulmanes sous le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi

Selon un rapport récent de l’Union populaire pour les libertés civiles (PUCL), plus d’un millier de jeunes musulmanes du Karnataka (État du sud-ouest de l’Inde) ont quitté l’université dans le contexte d’une campagne systématique visant à chasser les femmes portant le hijab des établissements d’enseignement. 

Les organisations défendant l’hindutva (hindouinité ou indianité) ont engagé une campagne brutale contre les étudiantes portant le hijab, alimentée par l’inaction du gouvernement et de la police.

L’interdiction du hijab dans les établissements d’enseignement du Karnataka a été confirmée l’an dernier par la cour suprême de l’État, privant ainsi ces femmes de leur droit à l’éducation. 

Les tensions autour du port du hijab s’inscrivent dans le cadre d’un projet plus vaste initié par le BJP (parti indien du peuple, au pouvoir), qui vise à reléguer encore un peu plus la communauté musulmane à la marge de la société et à instaurer une suprématie hindoue où les musulmans sont censés se voir indiquer « leur place ».

Une opinion publique hostile

Il s’agit d’une attaque systématique contre le droit à l’éducation des femmes musulmanes, qui exacerbe notre altérité et entrave nos chances de mobilité ascendante.

On nous rappelle régulièrement les défis inhérents au fait de porter le hijab dans l’Inde de Modi. Il faut naviguer dans un paysage accidenté, composé de préjugés, de discriminations et de tensions religieuses croissantes, dans une société où la diversité est célébrée comme une caractéristique déterminante de son patrimoine.

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Les femmes qui, comme moi, portent le hijab, doivent jongler avec une culture qui les considère souvent comme des citoyennes de seconde zone qui méritent moins de respect et de dignité, entre la montée du nationalisme hindou et l’atmosphère politique actuelle.

Qu’elles soient privées d’opportunités d’emploi ou confrontées à des violences verbales et physiques dans la rue, la réalité des femmes qui portent le hijab dans l’Inde d’aujourd’hui est à des années-lumière de la société inclusive et tolérante promise par le gouvernement.

Avec la montée du nationalisme hindou, représenter leur foi constitue de plus en plus un fardeau pour ces femmes, qui doivent souvent défendre leur droit de porter le hijab face à une opinion publique hostile et à des politiques gouvernementales qui portent atteinte à la liberté de religion. 

L’une des formes de discrimination les plus courantes auxquelles sont confrontées les femmes portant le hijab en Inde se produit sur le lieu de travail.

Une étude récente de la fondation Led By met en lumière les préjugés intrinsèques dont sont victimes les femmes musulmanes en ce qui concerne les opportunités d’emploi : l’étude constate notamment que pour deux rappels reçus par une candidate hindoue, une musulmane ayant un CV équivalent n’en reçoit qu’un seul. 

De plus, nombreuses sont celles qui se voient refuser des opportunités d’emploi ou subissent des inégalités de traitement au travail en raison de leur hijab. Le cas de Ghazala Ahmad, une jeune journaliste portant le hijab qui s’est vu refuser un poste au sein d’une chaîne de télévision, en est un exemple récent. Malgré ses qualifications et son expérience, les recruteurs lui auraient signifié qu’elle ne décrocherait pas le poste si elle ne retirait pas son foulard.

Des femmes voilées passent devant des policiers postés devant une école à Bangalore (Inde), le 15 mars 2022, après qu’un tribunal indien a confirmé l’interdiction locale du hijab dans les salles de classe (AFP)
Des femmes voilées passent devant des policiers postés devant une école à Bangalore, le 15 mars 2022, après qu’un tribunal indien a confirmé l’interdiction locale du hijab dans les salles de classe (AFP)

En Inde, les femmes portant le hijab sont également victimes de violences verbales et physiques dans l’espace public. Nombre d’entre elles témoignent d’insultes, de railleries et de violences psychologiques reçues simplement parce qu’elles portent le hijab.

L’an dernier, une maître de conférences dans une université du district de Tumkur (sud) a démissionné après que les autorités de l’établissement lui ont demandé d’enlever son hijab. Cette tendance risque de se traduire par un taux de chômage élevé chez les femmes portant le hijab et de les marginaliser ainsi encore davantage.

Dans un pays où le sectarisme et la violence règnent en maîtres, le hijab est devenu un phare pour les forces haineuses de l’hindutva et celles qui le portent sont identifiées comme des cibles faciles.

Pourtant, cette discrimination flagrante ne peut être dissociée de la question plus large des crimes de haine visant l’ensemble des musulmans en Inde. Le hijab sert de marqueur visuel des dangers auxquels la communauté est confrontée chaque jour.

Une police complice

Cet environnement nourrit des problèmes de santé mentale chez certaines femmes portant le hijab, dans un contexte de crainte d’une éventuelle interdiction totale du hijab à l’échelle du pays. Beaucoup se sentent isolées, souffrent d’anxiété ou de paranoïa, une situation que vient aggraver l’absence de protection gouvernementale.

Bien que l’Inde soit un pays laïc, le gouvernement n’a pas pris de position ferme contre la discrimination dont sont victimes les femmes portant le hijab. Dans certains cas, la police se rend complice des abus et de la discrimination en fermant les yeux ou en y participant activement. Par conséquent, beaucoup de ces femmes se sentent vulnérables et ont peur de s’exprimer.

Le hijab est devenu le point de mire de ce moment culturel, un symbole visible d’altérité dans un pays de plus en plus hostile à ceux et celles qui ne correspondent pas aux valeurs de la majorité hindoue

Dans l’Inde de Modi, porter le hijab est une expérience difficile et aliénante. Nous voulons nous accrocher à notre foi, mais aussi recevoir le même respect que les autres citoyens – mais je sais que nous n’aurons pas les deux.

Pourtant, en dépit de ces difficultés, de nombreuses femmes restent déterminées à faire respecter leur droit à la liberté de religion et portent fièrement le hijab.

Le harcèlement et la discrimination que nous subissons renforcent la conviction que Modi n’est pas un défenseur de la liberté et de la diversité religieuses, mais plutôt un homme politique qui emploie le prétexte de la « protection des femmes » pour justifier des actions oppressives.

La rhétorique de Modi sur les droits des femmes musulmanes vise à détourner l’attention des politiques de son gouvernement, qui portent atteinte aux droits de tous les musulmans indiens.

Le hijab est devenu le point de mire de ce moment culturel, un symbole visible d’altérité dans un pays de plus en plus hostile à ceux et celles qui ne correspondent pas aux valeurs de la majorité hindoue. La réalité vécue par les femmes portant le hijab dans l’Inde de Modi est faite d’une surveillance et d’un climat de peur constants, mais aussi de résilience, de détermination et d’une foi inébranlable.

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Le fait de voir des jeunes femmes telles que Muskan Khan endurer et combattre le harcèlement pratiqué par les extrémistes de l’hindutva est une triste réalité.

Il est honteux que ces femmes soient contraintes de défendre leur droit à recevoir une éducation simplement parce qu’elles ont choisi de porter le hijab, un symbole de foi et d’identité culturelle. Ce traitement injuste témoigne du mépris de l’État indien pour les droits et libertés des femmes musulmanes.

On nous demande de participer à des débats télévisés nationaux aux heures de grande écoute pour nous poser ces mêmes vieilles questions répugnantes et condescendantes auxquelles nous devons répondre par des explications détaillées et convaincantes pour justifier notre choix de porter le hijab.

Les femmes musulmanes sont constamment interrogées sur les raisons pour lesquelles elles portent le hijab et leurs réponses doivent se conformer à une check-list préexistante. 

Les femmes musulmanes à travers le monde portent le hijab pour différentes raisons. Certaines s’y accrochent fermement parce qu’il est lié à leur foi, mandaté par Dieu. L’intelligentsia, cependant, recule devant l’idée de Dieu et rejette ainsi immédiatement une notion jugée régressive.

Pourquoi certaines personnes dans cette société doivent-elles nous demander des comptes sur notre tenue vestimentaire et exiger une réponse censée leur convenir plutôt qu’à nous-mêmes ? Pourquoi les musulmanes portant le hijab ne peuvent-elles pas vivre comme elles l’entendent en toute sécurité dans la « plus grande démocratie du monde » ?

- Nabiya Khan est une éducatrice, activiste des droits sociaux, organisatrice communautaire et poète contestataire, établie à New Delhi (Inde). Ses poèmes ont été publiés par HarperCollins ainsi que par « Feminist Dissent », revue publiée par le département d’anglais et de littérature comparée de l’université de Warwick.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Nabiya Khan is an educator, a social rights activist, community organiser, and a protest poet based in New Delhi, India. Her poems have been published with Harper Collins and Feminist Dissent Journal published by the Department of English and Comparative Literature, University of Warwick.
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