Wagner n’a aucun plan de contingence pour gérer la mort de ses dirigeants
Le groupe Wagner n’a aucun plan de contingence pour poursuivre normalement ses opérations après le décès d’Evgueni Prigojine et du reste de sa direction, expliquent des sources impliquées directement au sein de l’organisation russe à Middle East Eye.
Un jet privé transportant Prigojine et d’autres dirigeants de Wagner s’est écrasé en Russie mercredi, deux mois jour pour jour après une brève mutinerie contre Vladimir Poutine et les dirigeants de l’armée russe.
Les autorités russes ont ouvert une enquête officielle sur ce crash, mais il ne fait aucun doute parmi les sources de MEE que Prigojine a été tué sur ordre de Poutine, d’autant que le président l’a accusé de trahison en juin.
La Russie a officiellement confirmé dimanche « à l’issue d’expertises génétiques », la mort du patron du groupe paramilitaire russe. À l’issue des « expertises génétiques moléculaires » qui ont pris plusieurs jours, il a été établi que les identités des dix victimes « correspondent à la liste » des passagers et des membres d’équipage de l’avion, a annoncé dimanche le comité d’enquête russe dans un communiqué.
Ces dix dernières années, Prigojine s’est bâti un réseau de relations militaires, commerciales et politiques au Moyen-Orient et en Afrique, notamment en Libye, en Syrie, au Soudan et aux Émirats arabes unis.
« Désintégré »
Récemment encore, les forces de Wagner étaient une ressource cruciale pour soutenir l’armée russe sur le champ de bataille en Ukraine. Cette force a fourni à la Russie sa première victoire visible, lorsqu’elle a pris la ville symbolique de Bakhmout au mois de mai.
Donc lorsque des images ont fait surface mercredi montrant des combattants de Wagner jurant de venger la mort de Prigojine, on s’attendait à ce qu’il existe des projets de réaction.
« Il n’y a plus de conseil dirigeant Wagner. Tous les principaux décideurs sont morts. Les autres tentent juste de survivre »
- Une source à MEE
Parmi les quelque 25 000 membres de Wagner figurent de nombreux fervents partisans de Prigojine, des ultranationalistes d’extrême droite qui critiquent de la façon dont le ministère russe de la Défense gère la guerre en Ukraine. Beaucoup accusent le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et le commandant Valeri Gherassimov de trahison et de mauvaise gestion de l’invasion.
« Il serait stupide de dire que Wagner ne s’est pas désintégré », confie une source directement impliquée au sein de la société à MEE. « La mort de Prigojine et de son bras droit Dimitri Outkine a totalement choqué la population. Même s’il y a le moindre plan de contingence, je suis sûr qu’ils n’ont pas imaginé la possibilité de leur mort à tous les deux. »
Cette source explique que les membres restants de la direction de l’entreprise ne vont pas oser s’en prendre aux renseignements russes, lesquels auraient planifié le crash de l’avion selon certains, car ils avaient déjà peur lorsque l’État a réagi à leur mutinerie par des menaces.
« Il n’y a plus de conseil dirigeant Wagner. Tous les principaux décideurs sont morts. Les autres tentent juste de survivre », ajoute la source.
Le média russe Fontanka a rapporté jeudi que le bureau de recrutement de Wagner ne répondait pas aux appels et les redirigeait vers une boîte vocale. Et les appels passés au siège de Wagner à Saint-Pétersbourg n’aboutissaient pas ou délivraient un message automatique indiquant que ce numéro est temporairement indisponible.
Une seconde source, directement impliquée dans les opérations internationales de Wagner, insiste sur le fait que de nombreux membres du conseil de direction se sont éloignés de Prigojine et de son cercle intime à la suite de la mutinerie. Elle précise qu’ils ont tenté d’approcher des oligarques puissants ayant des relations amicales avec le Kremlin.
Fait notable, au début du mois, Poutine a limogé le général Sergueï Sourovikine, qui depuis des mois avait la charge de l’invasion russe de l’Ukraine en tant que chef des forces aériennes. Il était considéré comme proche de Prigojine et n’a pas été vu depuis la rébellion.
« Poutine a détruit les éléments de droite au sein des renseignements militaires », poursuit cette deuxième source. « Tout le monde a parlé de la façon dont Poutine avait renvoyé le général Sergueï Sourovikine, mais ce n’était que la partie émergée de l’iceberg. Il a éliminé toute la chaîne. »
Elle ajoute que Prigojine était diminué avant même la rébellion car les renseignements militaires russes œuvraient contre lui.
« Prigojine n’a pas réussi à obtenir le soutien qu’il espérait du Conseil militaire lors de la rébellion. Il n’a pu qu’avancer avec quelques milliers de personnes, c’était comme une marche matinale en Sibérie. »
Des comptes télégrammes considérés proches de Wagner confirment que l’organisation ne dispose actuellement d’aucune direction fonctionnelle.
Un deuxième avion
Alex Parker Returns, l’un des plus fervents comptes pro-Wagner annonce que certains des commandants de Wagner ont été arrêtés par les autorités et que d’autres n’ont survécu que parce qu’ils étaient dans le deuxième avion de Prigojine, lui aussi en vol à ce moment-là.
Des données open source indiquent que le deuxième avion de Prigojine a atterri à Moscou mercredi, puis s’est rendu à Bakou (en Azerbaïdjan) jeudi.
« Grosso modo, il n’y a plus de conseil de commandants de PMC [Private Military Company] Wagner », résume le canal Telegram.
« Tuer les dirigeants de Wagner a transformé une organisation qu’il ne pouvait pas contrôler en ennemie »
- Une source à MEE
La deuxième source admet que poursuivre normalement les opérations de Wagner à travers le monde ne serait pas chose facile car tout était coordonné par Prigojine et son cercle intime.
Selon cette source, Wagner est très semblable à la structure fondée par Fethullah Gülen et ses partisans en Turquie, lesquels sont accusés d’être derrière la tentative de coup d’État de 2016.
« C’est un énorme réseau fondé sur la confiance et les relations personnelles, c’est vraiment complexe », commente la source. « Mais Poutine a décidé de détruire cette structure, même si cela aura probablement de graves conséquences. »
Les deux sources rapportent que certains combattants de Wagner sont furieux et cherchent à se venger, et que Choïgou pourrait être une cible, en particulier en Ukraine.
« Tous les cadres intermédiaires qui pourraient diriger les combattants de Wagner actuellement sont des nationalistes fanatiques et ils s’accordent sur le fait que ce qui a été fait était une trahison », indique la deuxième source.
« Wagner dispose d’un réseau de renseignements et travaille en quelque sorte avec de l’argent intraçable. En ce qui concerne Poutine, tuer les dirigeants de Wagner a transformé une organisation qu’il ne pouvait pas contrôler en ennemie. Au minimum, il s’est attiré l’hostilité d’un groupe radical au sein de l’organisation. Tuer les dirigeants d’une organisation comme Wagner dont vous donne l’air fort, mais cela provoque aussi de graves problèmes. »
Poutine, d’après ces trois sources, tente de contrôler les dommages en recrutant les forces de Wagner au ministère russe de la Défense ou dans des sociétés militaires privées qui lui sont affiliées. L’une de ces sociétés sous le feu des projecteurs est Redut, fondée en 2008 par des vétérans des services de sécurité russes.
Les sources indiquent que l’essentiel des prisonniers recrutés par Wagner avec la promesse d’une amnistie a été transféré directement au commandement du ministère de la Défense, et que d’autres combattants de Wagner ayant participé à la mutinerie ont été exilés en Biélorussie.
La seconde source précise que certains membres de Wagner sont passés à Redut après la rébellion.
« Redut, qui dispose de plusieurs contrats spéciaux avec le GRU [les renseignements militaires], a agi pour le compte du ministère de la Défense afin d’endiguer certains éléments de Wagner. Mais même après la révolte, les factions radicales de Wagner ont soit rejeté cette offre ou sont parties avant que le ministère ne les atteigne », affirme la source.
« Personne pour gérer les soldats »
Cette source observe que Redut et Wagner sont faites du même bois.
« Cependant, il y a une différence claire car Redut agit sous le contrôle du Kremlin via le GRU. Les équipes de Redut se comportent comme des employés du GRU au sein des unités spéciales qui lui sont attachées. À cet égard, Choïgou les contrôle », indique-t-elle.
« Mais le ministère ne peut pas placer l’ensemble de Wagner sous le contrôle de Redut. Ce n’est pas une organisation conçue pour une opération de cette échelle. »
La première source ajoute que l’objectif de Poutine n’était pas de prendre le contrôle de Wagner mais de tuer un rival.
« Pendant un moment, des éléments de Wagner pourraient se lancer dans des actions personnelles »
- Une source à MEE
« Sans Outkine, il n’y a personne pour gérer les soldats. Sans Prigojine, il n’y a personne pour passer des contrats, pour négocier avec le Kremlin ou pour persuader les oligarques. C’est suffisant pour détruire la société », développe notre interlocuteur.
« Pendant un moment, des éléments de Wagner pourraient se lancer dans des actions personnelles. Dans les prochains mois, on va évoquer les vulnérabilités en matière de renseignement pour le Kremlin, ce que les employés de Wagner font en Afrique. Poutine pourrait avoir à déclarer une amnistie sur certains sujets. »
Cheka-OGPU, un compte Telegram considéré comme proche des services de sécurité russes, indique que des membres de Wagner, de Patriot (la société médiatique de Prigojine) et d’autres structures qui lui sont liées sont passés dans les bureaux de Wagner à Saint-Pétersbourg jeudi soir et ont emmené des ordinateurs, des gadgets et des documents.
« Apparemment, ils ont agi sur l’ordre de quelqu’un, puisque chacun n’a emporté que son propre appareil. Beaucoup ont ensuite ‘’rompu la connexion’’ et sont injoignables pour leurs connaissances », a ajouté le canal.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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