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Wagner, cache-misère de l’échec des Occidentaux en Afrique

En Afrique, le groupe Wagner, dont le chef Evgueni Prigojine a été annoncé mort le 23 août, s’est implanté dans des pays en ruines, héritage de la colonisation et de la Françafrique
Un membre du groupe Wagner sur un véhicule militaire, le 24 juin 2023 à Rostov-sur-le-Don, dans l’ouest de la Russie (AFP/Roman Romokhov)
Un membre du groupe Wagner sur un véhicule militaire, le 24 juin 2023 à Rostov-sur-le-Don, dans l’ouest de la Russie (AFP/Roman Romokhov)

Le groupe Wagner en Afrique ? C’est le diable. Le mal absolu.

À lire les produits de la communication occidentale sur les luttes d’influence en Afrique, on est tentés de croire que la principale menace qui pèse désormais sur le continent est constituée par le groupe de mercenaires cofondé par le Russe Evgueni Prigojine, dont les médias russes ont annoncé la mort le 23 août dans le crash d’un avion au nord de Moscou. 

Oubliés, le sous-développement, la pauvreté, le chômage endémique. Oubliés, la faiblesse, voire l’absence d’institutions, l’analphabétisme, l’héritage de la colonisation. Oubliés, la Françafrique, la dépendance économique, le pillage des richesses par les anciennes puissances coloniales. Oubliés, l’absence de perspectives pour la jeunesse du continent, les drames des migrants, le racisme.

Ne subsistent désormais que les « affreux mercenaires russes », voués « au service du maître du Kremlin », avec leur volonté de « piller les richesses de l’Afrique », qu’il s’agisse des diamants de Centrafrique, de l’or du Mali ou de l’uranium du Niger, pour satisfaire les visées expansionnistes, ou impériales, de Vladimir Poutine.

Ce discours manichéen sur la menace que représente le groupe Wagner, désormais très répandu, s’est accentué depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.

Des journaux aussi réputés que le Financial Times ou Le Monde reprennent abondamment ces clichés, désormais relayés par une partie des élites africaines, pro-occidentales, ainsi que par des médias politiquement très marqués (idéologiquement pro-occidentaux), comme l’hebdomadaire Jeune Afrique. Celui-ci écrit, par exemple, que « le groupe Wagner a pris le contrôle du secteur diamantaire centrafricain », en ayant recours notamment à « l’intimidation des exploitants locaux ».

Pauvreté et insécurité

La présence de mercenaires étrangers dans un pays en difficulté est toujours un mauvais signe. Aucune autorité politique n’est en mesure de leur imposer des sanctions en cas d’exactions ou de violation de la loi. Cela débouche sur un engrenage classique : sentiment d’impunité, exactions, silence des autorités, etc. Du reste, le groupe Wagner a fait l’objet de nombreuses accusations, mais aucune enquête indépendante n’a été menée.

Mais braquer les projecteurs sur le groupe Wagner permet d’occulter aussi bien la responsabilité des Occidentaux dans la situation de l’Afrique que l’héritage colonial et celui de la Françafrique, qui ont laissé des pays exsangues, des sociétés délabrées et des institutions en ruines.

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Les pays du Sahel, récemment secoués par des coups d’État qui ont porté des militaires au pouvoir – le Mali en 2020, le Burkina Faso en 2022, puis la Guinée en 2021 et le Niger cet été –, en offrent un exemple édifiant.

Au Burkina-Faso, le PIB par habitant dépasse à peine les 800 dollars, alors qu’au Mali, il n’atteint même pas ce seuil.

Au Niger, où un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, dirigé par le général Abdourahmane Tchiani, a déposé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet, c’est encore pire. Le PIB par habitant est inférieur à 600 dollars.

Les PIB du Mali et du Burkina Faso demeurent en dessous de 20 milliards de dollars, celui du Niger n’atteint même pas 15 milliards de dollars, pour des pays dont la population dépasse 20 millions d’habitants. À titre de comparaison, Taïwan, qui a sensiblement la même population, affiche un PIB de 850 milliards de dollars, 45 fois celui du Mali !

Autre indicateur significatif, le fameux Indice de développement humain (IDH, qui intègre l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et le revenu national brut par habitant) dépasse à peine 0,4 au Mali et au Burkina Faso, et reste inférieur au seuil de 4 au Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, systématiquement cité en queue de classement lorsqu’il s’agit de mesurer les performances économiques, sociales ou de développement.

Braquer les projecteurs sur le groupe Wagner permet d’occulter aussi bien la responsabilité des Occidentaux dans la situation de l’Afrique que l’héritage colonial et celui de la Françafrique, qui ont laissé des pays exsangues, des sociétés délabrées et des institutions en ruines

La République centrafricaine, pays qui compte le contingent le plus important du groupe Wagner, est l’un des rares pays au monde à avoir des statistiques plus faibles que celles du Niger, avec un PIB par habitant de 460 dollars, pour un PIB global de 2,5 milliards de dollars.

La pauvreté extrême de ces pays est aggravée par une forte présence de groupes islamistes armés, qui les contraint à consacrer une partie importante de leurs maigres ressources à la lutte antiterroriste.

Même si le terrorisme dans la région du Sahel est antérieur à la chute de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, force est de constater que cet événement, causé par une intervention de l’OTAN soutenue principalement par la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, a provoqué une forte déstabilisation de toute la région, fragilisant davantage des pays qui étaient au bord de la rupture.

Pallier le vide

Autre point de controverse, l’importance des troupes de Wagner en Afrique. Combien sont-elles ? Où sont-elles déployées ? Quelle est leur puissance de feu et leur véritable influence ?

En juin 2023, la chaîne de télévision publique française TV5 établissait un état des lieux, qui offrait une première surprise : le contingent Wagner en Afrique ne semblait pas dépasser les 5 000 hommes, dont 2 000 en Libye, auprès du maréchal Haftar, un millier au Mali et un peu moins en Centrafrique. Difficile d’imaginer comment des effectifs aussi modestes pourraient influer sur le sort de l’Afrique.

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Interrogé sur cette question par Middle East Eye, Akram Kharief, spécialiste algérien des questions de défense et animateur du site Menadefense, estime que les éléments du groupe Wagner ne dépasseraient pas 1 200 en Libye. Pour toute l’Afrique, ils seraient moins nombreux que les militaires français, que l’on estime autour de 6 000.

Différence de taille, l’armée française dispose de bases militaires, d’avions, de drones, de navires de guerre et d’une logistique sans commune mesure avec celle de Wagner.

Par ailleurs, les troupes du groupe Wagner sont essentiellement déployées dans deux pays, en Centrafrique et en Libye.

Le premier offre une caricature de ce qu’a été la Françafrique : pauvreté endémique, déchéance institutionnelle, scandales à répétition, émergence de potentats locaux et de groupes armés mélangeant luttes tribales, religieuses, sectaires, et banditisme.

Ce n’est pas un hasard si le groupe Wagner s’est invité sur ces décombres, dans des pays en lambeaux, palliant un vide qui menaçait d’être comblé par des groupes islamistes ou des réseaux criminels

Ce n’est pas un hasard si le groupe Wagner s’est invité sur ces décombres, dans des pays en lambeaux, palliant un vide qui menaçait d’être comblé par des groupes islamistes ou des réseaux criminels. En tout état de cause, peu d’armées régulières se montraient disposées à s’y déployer.

C’est sur ce terrain glauque, incertain, abandonné de tous, que prospère le groupe Wagner. Est-ce vraiment une surprise, quand on sait que Wagner n’est pas perçu en Afrique comme un regroupement de mercenaires, mais plutôt comme le bras armé de la diplomatie russe ?

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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