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Guerre au Proche-Orient : la répression israélienne à Jérusalem suscite la peur chez les Palestiniens

Les Palestiniens de Jérusalem indiquent que leurs quartiers sont devenus des zones militaires où la plupart n’osent pas sortir par crainte d’être passés à tabac et harcelés
Les forces de sécurité israéliennes à un check-point près de la vieille ville de Jérusalem, le 13 octobre 2023 (AFP)
Par Lubna Masarwa à JÉRUSALEM

Les rues de Jérusalem-Est sont calmes mais loin d’être tranquilles.

Pour les Palestiniens de la ville, une nouvelle réalité existe depuis le 7 octobre, même chez ceux dont le quotidien est fait de check-points, de soldats, de suspicion, d’humiliations et de discrimination depuis longtemps.

Sortir de chez soi, que ce soit à pied ou en voiture, c’est désormais courir le risque d’être arrêté, interrogé et éventuellement agressé par les forces de sécurité israéliennes ou par des patrouilles de volontaires armés par le ministre de la Sécurité Itamar Ben-Gvir.

« Jérusalem est au bord du gouffre », rapporte Amer Aruri, habitant du quartier de Beit Hanina, à Middle East Eye.

« Il y a eu de nombreuses agressions. Les rues sont désertes. La plupart des gens hésitent à s’aventurer dehors. J’ai vraiment peur. »

Au moins cinq personnes ont été tuées à Jérusalem-Est la semaine dernière, selon le ministère palestinien de la Santé.

À Issawiya, trois personnes (dont deux adolescents de 15 et 16 ans) ont été abattues par les forces de sécurité lors d’une manifestation pour Gaza vendredi. Le mardi précédent, deux personnes avaient été abattues par les forces de sécurité à Silwan pour avoir tiré des feux d’artifice.

Nouveaux check-points 

De nouveaux check-points ont soudainement fait leur apparition autour des quartiers palestiniens et le long des routes empruntées par les Palestiniens qui se rendent à Jérusalem-Ouest pour travailler.

Les forces de sécurité, encore plus lourdement armées que d’habitude, sont stationnées à chaque coin. Les quartiers ressemblent davantage à des bases militaires.

« Beaucoup de jeunes hésitent à aller travailler en raison du climat hostile et des agressions qui se multiplient », commente Aruri.

« Je prends généralement le bus israélien pour aller travailler, mais je n’ose pas. S’ils découvrent que je suis Arabe, je serai certainement agressé »

- Mohammed, habitant de la vieille ville

Certaines personnes qui travaillent à Jérusalem-Ouest disent avoir trop peur pour prendre les transports publics israéliens, craignant d’être identifiés comme Palestiniens.

« Je prends généralement le bus israélien pour aller travailler, mais je n’ose pas », confie Mohammed, habitant de la vieille ville qui n’a pas souhaité donner son nom de famille. « S’ils découvrent que je suis Arabe, je serai certainement agressé. »

Pour beaucoup, il est inutile d’essayer d’aller travailler de toute façon. Certaines entreprises qui emploient des Palestiniens ont fermé leurs portes ou ont dit à leurs employés de ne pas venir, par crainte d’être visées par les groupes d’extrême droite sur les réseaux sociaux qui ont appelé à attaquer des Palestiniens.

La semaine dernière, MEE signalait qu’un canal Telegram d’extrême droite appelait à éliminer des personnalités palestiniennes à Jérusalem-Est – dont l’imam de la mosquée al-Aqsa.

La crainte des agressions alimentées par l’incitation à la haine sur les réseaux sociaux est profonde. Une publication consultée par MEE appelle à incendier les entreprises qui ont donné des emplois à des Palestiniens.

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Omar, originaire de Silwan, au sud-est de la vieille ville, raconte à MEE qu’il a souffert d’une rage de dent la semaine dernière, mais a estimé que la situation était trop dangereuse pour aller chez le dentiste.

« J’ai peur si je sors de ne pas revenir vivant. Nous sommes tous visés en ce moment », ajoute-t-il.

Autour de Sheikh Jarrah, les voitures de police surveillent les allées et venues. Des blocs de béton (généralement installés pour protéger contre les attaques à la voiture-bélier, mais servant également de barrière éventuelle pour bloquer les routes) ont été installés le long des routes dans des zones telles qu’Issawiya, Sur Baher et Shuafat.

Un chemin très fréquenté au sud de la vieille ville, le long de la voie de l’ancienne ligne de chemin de fer ottomane vers Jaffa, l’un des rares endroits où les habitants de Jérusalem-Est et de Jérusalem-Ouest se mélangent communément, fait désormais l’objet de patrouilles de motos de la police. Tous les Palestiniens sont arrêtés et contraints de montrer leurs papiers d’identité.

Dans la vieille ville, les magasins ont les volets baissés et les rares personnes qui s’aventurent dans les allées étroites sont arrêtées et fouillées.

« Les gens ont vraiment, vraiment peur. C’est très tendu », insiste Mohammed.

Être palestinien est une raison suffisante pour être passé à tabac.

« De jeunes garçons, âgés de 14 à 17 ans, sont arrêtés et leurs téléphones sont fouillés. Si du contenu relatif à Gaza ou aux événements actuels est découvert, ils sont passés à tabac et leurs téléphones sont confisqués », relate Amer Aruri.

Middle East Eye a consulté une vidéo qui montre des policiers entrer dans un magasin de Sur Baher et demander à voir le téléphone du commerçant. Ce dernier est ensuite emmené, sans être autorisé à fermer son magasin.

Des membres des forces de sécurité israéliennes fouillent un jeune palestinien à l’entrée de la porte des Lions vers la vieille ville de Jérusalem, le 13 octobre 2023 (AFP)
Des membres des forces de sécurité israéliennes fouillent un jeune palestinien à l’entrée de la porte des Lions vers la vieille ville de Jérusalem, le 13 octobre 2023 (AFP)

Dans une autre vidéo elle aussi consultée par MEE et filmée dans le même quartier, cinq policiers arrêtent une voiture, contraignent le conducteur et deux passagers à descendre tandis que le véhicule est fouillé. Les trois hommes sont ensuite frappés (à coups d’armes et à coups de pied) sur le bas-côté.

La situation est particulièrement tendue et imprévisible une fois la nuit tombée et autour de la vieille ville, où des check-points autrefois gardés par des soldats de l’armée régulière désormais déployés dans le sud sont gérés par les volontaires de Ben-Gvir, ou des unités tactiques lourdement armées de la police.

« Ce ne sont pas les forces que l’on voit habituellement. Ils sont plus agressifs. Ils harcèlent les gens », observe Mohammed.

Fakhri Abu Diab, un quinquagénaire de Silwan, raconte à MEE que la situation est pire que tout ce qu’il a connu lors de la Première et de la Seconde Intifada.

« J’ai peur si je sors de ne pas revenir vivant. Nous sommes tous visés en ce moment »

- Omar, habitant de Silwan

Des jeunes hommes ont été arrêtés, leurs téléphones confisqués, puis placés en garde à vue même lors de visites dans des magasins locaux, signale-t-il. Toutes les voitures palestiniennes qui passent aux check-points dans le quartier sont susceptible d’être arrêtées.

« Seuls ceux qui n’ont pas d’autre choix, à la recherche de produits de première nécessité comme de la nourriture ou du pain, osent s’aventurer dehors.

« Même si on a le courage de sortir, l’incertitude plane : pourrai-je rentrer par le même chemin ? »

L’accès à la vieille ville et à la mosquée al-Aqsa est devenu un « calvaire », estime Fakhri Abu Diab. Vendredi, les forces israéliennes ont autorisé les hommes de 70 ans et plus à assister aux prières.

« De toute ma vie, je n’ai jamais rien connu d’aussi dur que cela. Tout a changé du jour au lendemain [le 7 octobre] », assure-t-il.

« Et le pire dans tout ça, c’est que ce n’est que le début j’ai l’impression. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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