Guerre Israël-Palestine : à bord du cargo saisi par les Houthis au Yémen
Zaid Hussein, 45 ans, a parcouru 230 km depuis son domicile à Sanaa pour rejoindre la région portuaire yéménite de Hodeida.
De la capitale animée, il arrive à al-Salif, un petit village côtier situé dans une crique à l’un des points les plus à l’ouest du Yémen.
Hussein n’est pas là pour profiter du bruit des vagues qui s’écrasent sur le rivage, ni de la sérénité de la plage, aussi pittoresque soit-elle.
Il est venu à al-Salif, tout comme de nombreux Yéménites de tout le pays, pour visiter le Galaxy Leader, un navire saisi par les forces houthies du Yémen le 19 novembre en mer Rouge, au large des côtes de Hodeida. Vingt-cinq membres de l’équipage du navire sont détenus à bord depuis lors.
Les Houthis ont décrit cette saisie, ainsi que les attaques consécutives visant des navires qui, selon eux, sont liés à Israël, comme un acte de résistance en soutien aux Palestiniens de Gaza qui subissent les bombardements israéliens.
Israël a qualifié la capture du navire d’« acte de terrorisme », tandis que les États-Unis et neuf de leurs alliés ont lancé une force navale pour lutter contre les attaques des Houthis.
Mais au Yémen, al-Salif grouille de touristes locaux en liesse qui espèrent pouvoir monter à bord du cargo saisi. Hussein et neuf autres personnes sont assis à bord d’un petit bateau, attendant d’être transportés vers le plus grand navire.
« Israël n’a pas anticipé la réaction du Yémen »
- Yasser Mohammed, touriste yéménite
« Allons voir le navire israélien et soyons fiers de l’exploit de nos forces armées », déclare-t-il à Middle East Eye.
Les visiteurs viennent de provinces yéménites très diverses, dont Sanaa, Dhamar et Raima.
Un sentiment d’excitation s’empare du groupe, alors que la petite embarcation s’arrête près du navire et que les touristes montent enfin à l’aide d’une échelle.
Yasser Mohammed, qui a fait le déplacement depuis la province de Dhamar, dans le nord du pays, est convaincu que les acteurs internationaux ont été pris de court par les actions du Yémen.
« Lorsqu’Israël a commencé sa guerre contre Gaza, il s’est peut-être méfié des réactions du Liban, de l’Égypte, de la Jordanie, de l’Arabie saoudite ou d’autres pays. Je pense qu’il n’a jamais anticipé la réaction du Yémen », commente l’homme de 43 ans à MEE tout en mâchant du khat, assis en tailleur sur le pont supérieur du bateau.
La restitution du navire conditionnée à la reconstruction de Gaza par Israël
Yasser Mohammed discute du sort du navire avec plusieurs autres personnes sur le pont supérieur.
Les autorités israéliennes ont déclaré que le Galaxy Leader était un navire britannique exploité par des Japonais. Mais selon les bases de données publiques sur le transport maritime, la propriété du navire est liée à Ray Car Carriers, fondée par le magnat israélien Abraham « Rami » Ungar.
« Les Israéliens ont rasé de nombreux quartiers de Gaza et tué des milliers de personnes. Si Israël peut redonner vie à ceux qu’il a assassinés et reconstruire Gaza, alors ce navire devra être autorisé à retourner à ses propriétaires israéliens », lance Yasser Mohammed.
Ces derniers jours, les membres d’équipage détenus – originaires de Bulgarie, d’Ukraine, des Philippines, du Mexique et de Roumanie – ont été autorisés à avoir des contacts limités avec leurs familles, selon certaines sources.
Dans une vidéo rendue publique par les Houthis après l’accostage du navire à Hodeida, on peut voir des responsables expliquer aux membres de l’équipage qu’ils doivent se sentir comme s’ils étaient dans leur propre pays et demander tout ce dont ils ont besoin.
Les Yéménites qui visitent le navire discutent souvent avec les membres de l’équipage et prennent des photos avec eux.
Les États-Unis, l’Union européenne et l’OTAN ont publié le 19 décembre une déclaration conjointe qualifiant d’« épouvantables » la saisie du navire et la détention de ses 25 membres d’équipage.
La veille, dix pays ont mis en place un groupe de travail pour contrer les attaques des Houthis. Un seul État arabe, Bahreïn, figure parmi les participants.
Des analystes ont déclaré à MEE que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ne voulaient probablement pas compromettre les efforts de rapprochement dans la région, ni être perçus comme s’opposant à un acte de solidarité avec les Palestiniens.
Selon un dernier bilan, les opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza ont fait 22 185 morts depuis le début de la guerre le 7 octobre, dont 70 % de femmes et d’enfants.
Les Houthis, renforcés depuis leur saisie
Tous les acteurs au Yémen ne soutiennent pas la saisie du navire : le gouvernement internationalement reconnu a remis en question son efficacité.
Le ministre de l’Information du Yémen, Muammar al-Eryani, a déclaré dans un communiqué que la saisie du Galaxy Leader était « sans effet direct ou indirect sur la brutale occupation israélienne ».
« La saisie du Galaxy Leader a mobilisé les gens et nous a aidés à attirer davantage de combattants »
- Abu Ali, soldat houthi
Au contraire, il estime qu’il s’agit d’une tentative des Houthis visant à légitimer la présence de forces étrangères dans les eaux de la région.
Les Houthis se sont emparés de Sanaa en 2014 et ont forcé le gouvernement internationalement reconnu à fuir en Arabie saoudite.
En mars 2015, une coalition dirigée par Riyad, composée notamment des Émirats arabes unis, est intervenue pour repousser les Houthis. Cette guerre dévastatrice a été décrite comme la pire crise humanitaire au monde.
Pour certains dans les rangs des Houthis, la prise du Galaxy Leader a montré aux Yéménites qu’ils étaient sérieux dans leur lutte contre leurs ennemis.
« Ces dernières années, nous avons scandé "Mort à Israël". Beaucoup de Yéménites se moquaient de notre devise. Aujourd’hui, de plus en plus de gens la scandent parce qu’ils ont fini par y croire », explique à Middle East Eye un soldat houthi qui se présente sous le nom d’Abu Ali.
« La prise du Galaxy Leader a mobilisé les gens et nous a aidés à attirer davantage de combattants qui ne peuvent être retenus par des récompenses financières, mais qui peuvent l’être par des valeurs morales. Se ranger du côté des Palestiniens lésés de Gaza est l’une des valeurs morales les plus nobles », affirme-t-il, son fusil sur l’épaule droite, debout sur la plage d’al-Salif.
Abu Ali estime que la saisie du navire est la preuve de l’indépendance des dirigeants houthis.
« Nos dirigeants n’ont consulté aucun pays lorsqu’ils ont décidé de s’emparer du navire israélien et, aujourd’hui, aucun pays ne peut nous obliger à le libérer immédiatement », développe-t-il.
Aucune annonce n’a encore été faite par les Houthis quant à la date de libération du navire et de son équipage.
En attendant, les touristes yéménites continuent à s’y rendre en masse.
L’Université de Hodeida a même organisé une visite du navire pour ses étudiants fin décembre, afin de les informer sur la guerre à Gaza. Au début du mois de décembre, une cérémonie de remise des diplômes a eu lieu à bord.
« C’est agréable d’être dans un tel endroit et d’être entouré par la mer de tous les côtés », confie Zaid Hussein. « La seule chose qui gâche notre joie ici, c’est se rappeler les massacres israéliens à Gaza. »
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
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