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Guerre Israël-Palestine : les ennemis de l’Amérique se multiplient de jour en jour

Même si une guerre régionale est évitée, le soutien des États-Unis à Israël suscite une énorme vague de colère et ternit considérablement leur réputation. Ce n’est qu’en appelant à un cessez-le-feu permanent qu’ils pourront regagner un peu de crédibilité
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le 8 novembre 2023 (Reuters)
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le 8 novembre 2023 (Reuters)

Alors que le secrétaire d’État américain Antony Blinken parcourt frénétiquement le Moyen-Orient pour tenter d’empêcher que le conflit israélien à Gaza dégénère en une guerre régionale, les États-Unis ont également envoyé deux groupes d’intervention de porte-avions, une unité expéditionnaire de Marines et 1 200 soldats supplémentaires au Moyen-Orient à des fins de « dissuasion ».

En clair, les États-Unis menacent d’attaquer toute force issue d’autres pays de la région qui viendrait défendre les Palestiniens, rassurant ainsi Israël quant au fait qu’il peut continuer de tuer en toute impunité à Gaza.

Les menaces américaines risquent d’être insuffisantes pour empêcher d’autres pays d’intervenir. Du Liban à la Syrie, en passant par le Yémen, l’Irak et l’Iran, les possibilités d’extension du conflit sont énormes

Mais si Israël persiste dans cette guerre génocidaire, les menaces américaines risquent d’être insuffisantes pour empêcher d’autres pays d’intervenir. Du Liban à la Syrie, en passant par le Yémen, l’Irak et l’Iran, les possibilités d’extension du conflit sont énormes.

Même l’Algérie se dit prête à lutter pour une Palestine libre, sur la base d’un vote unanime de son Parlement le 1er novembre. 

Les gouvernements du Moyen-Orient et leurs populations considèrent déjà les États-Unis comme partie prenante au massacre perpétré par Israël à Gaza. Toute action militaire directe des États-Unis sera donc perçue comme une escalade du côté d’Israël et risque davantage de provoquer une nouvelle escalade que d’en prévenir.

Nouvelle escalade en Irak

Les États-Unis sont déjà confrontés à cette situation délicate en Irak. Malgré des années d’exigences irakiennes quant au retrait des forces américaines, au moins 2 500 soldats américains se trouvent toujours sur la base aérienne d’al-Assad dans la province occidentale d’al-Anbar, sur la base aérienne d’al-Harir au nord d’Erbil, dans le Kurdistan irakien, et sur une autre petite base située à l’aéroport d’Erbil.

« Plusieurs centaines » de soldats de l’OTAN, dont des Américains, conseillent également les forces irakiennes dans le cadre de la mission de l’OTAN en Irak, basée près de Bagdad.

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Depuis de nombreuses années, les forces américaines en Irak sont embourbées dans une guerre de basse intensité contre les Unités de mobilisation populaire (UMP) que l’Irak a formées pour lutter contre le groupe État islamique (EI), principalement à partir de milices chiites.

Malgré leurs liens avec l’Iran, les groupes armés Kataeb Hezbollah, Asaïb Ahl al-Haq et les autres UMP ont souvent ignoré les appels iraniens à la désescalade des attaques contre les forces américaines.

Ces groupes irakiens ne respectent pas autant le général Ismael Qaani, chef de la force al-Qods de l’Iran, que le général Qasem Soleimani. Son assassinat par les États-Unis en 2020 a donc encore réduit la capacité de l’Iran à contenir les milices en Irak.

Après une trêve d’un an entre les forces américaines et irakiennes, la guerre israélienne contre Gaza a déclenché une nouvelle escalade de ce conflit en Irak comme en Syrie.

Certaines milices se sont rebaptisées « Résistance islamique en Irak » et ont commencé à attaquer des bases américaines le 17 octobre.

Après 32 attaques contre des bases américaines en Irak, 34 en Syrie et trois frappes aériennes américaines en Syrie, les forces américaines ont procédé le 21 novembre à des frappes aériennes contre deux bases des Kataeb Hezbollah en Irak, l’une dans la province d’al-Anbar et l’autre à Jourf al-Nasr, au sud de Bagdad, tuant au moins neuf miliciens.

Depuis de nombreuses années, les forces américaines en Irak sont embourbées dans une guerre de basse intensité contre les Unités de mobilisation populaire (UMP) que l’Irak a formées pour lutter contre l’EI

Les frappes aériennes ont suscité une réaction furieuse du porte-parole du gouvernement irakien, Bassem al-Awadi.

« Nous condamnons avec véhémence l’attaque contre Jourf al-Nasr, exécutée à l’insu des agences gouvernementales », a-t-il déclaré.

« Cette action est une atteinte flagrante à la souveraineté et une tentative de déstabilisation de la situation sécuritaire [...]. L’incident récent représente une violation claire de la mission de la coalition visant à combattre Daech sur le sol irakien. Nous appelons toutes les parties à éviter toute action unilatérale et à respecter la souveraineté de l’Irak. »

Comme le craignait le gouvernement irakien, la Résistance islamique en Irak a répondu aux frappes aériennes américaines par deux attaques contre la base aérienne d’al-Harir le 22 novembre et plusieurs autres le 23 novembre.

Les forces ont attaqué la base aérienne d’al-Assad avec plusieurs drones et lancé une autre attaque de drones contre la base américaine de l’aéroport d’Erbil, tandis que leurs alliés en Syrie ont attaqué deux bases américaines de l’autre côté de la frontière, dans le nord-est de la Syrie.

Les drones et les missiles des Houthis

Hormis un cessez-le-feu à Gaza ou un retrait total américain d’Irak et de Syrie, les États-Unis ne peuvent prendre aucune mesure décisive susceptible de mettre un terme à ces attaques. Il est donc probable que le niveau de violence en Irak et en Syrie continue d’augmenter tant que la guerre à Gaza se poursuivra.

L’armée houthie au Yémen est une autre force militaire redoutable et expérimentée qui s’oppose à Israël et aux États-Unis. Le 14 novembre, Abdul-Malik al-Houthi, le chef du gouvernement d’Ansar Allah au Yémen, a demandé aux pays voisins d’ouvrir un couloir sur leur territoire pour permettre à son armée d’aller combattre Israël à Gaza.

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Nasreddin Amer, secrétaire adjoint à l’information des Houthis, a déclaré à Newsweek que s’ils avaient la possibilité d’entrer en Palestine, ils n’hésiteraient pas à se joindre à la lutte contre Israël.

« Nous avons des centaines de milliers de combattants qui sont courageux, tenaces, entraînés et expérimentés », a-t-il affirmé. « Ils ont des convictions très fortes et leur rêve est de combattre les sionistes et les Américains. »

Le transport de centaines de milliers de soldats yéménites pour combattre à Gaza serait pratiquement impossible, à moins que l’Arabie saoudite n’ouvre la voie. Si cela semble hautement improbable, l’Iran ou un autre allié pourrait aider à transporter un plus petit nombre de soldats par voie aérienne ou maritime pour qu’ils rejoignent les rangs des combattants. 

Les Houthis, qui mènent depuis de nombreuses années une guerre asymétrique contre les envahisseurs dirigés par l’Arabie saoudite, ont développé des armes et des tactiques qu’ils pourraient utiliser contre Israël.

Peu après la déclaration d’Abdul-Malik al-Houthi, les forces yéménites ont investi en mer Rouge un navire appartenant au milliardaire israélien Abraham Ungar via des sociétés écrans.

Alors que de nombreux membres du Congrès américain tentent de dépeindre les Houthis comme de simples marionnettes de l’Iran, les Houthis constituent en réalité une force indépendante et imprévisible que les autres acteurs de la région ne peuvent contrôler

Le navire, parti d’Istanbul pour rejoindre l’Inde, a été immobilisé dans un port yéménite. 

Les Houthis ont également lancé une série de drones et de missiles en direction d’Israël. Alors que de nombreux membres du Congrès américain tentent de dépeindre les Houthis comme de simples marionnettes de l’Iran, les Houthis constituent en réalité une force indépendante et imprévisible que les autres acteurs de la région ne peuvent contrôler. 

Même la Turquie, alliée au sein de l’OTAN, a du mal à rester spectatrice compte tenu du large soutien de l’opinion publique à la Palestine. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a été l’un des premiers dirigeants internationaux à dénoncer fermement la guerre israélienne contre Gaza, en la qualifiant explicitement de massacre et en affirmant qu’elle équivalait à un génocide.

Des groupes de la société civile turque mènent une campagne pour envoyer de l’aide humanitaire à Gaza à bord de cargos, malgré le risque d’une confrontation semblable à celle qui s’est produite en 2010, lorsque les Israéliens ont attaqué la Flottille de la Liberté, tuant dix personnes à bord du Mavi Marmara.

« Toutes les options sont sur la table »

À la frontière libanaise, Israël et le Hezbollah procèdent depuis le 7 octobre à des échanges de tirs quotidiens qui ont tué 97 combattants et 15 civils au Liban, ainsi que neuf soldats et trois civils en Israël. Quelque 46 000 civils libanais et 65 000 Israéliens ont été déplacés de la zone frontalière.

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, a adressé une mise en garde le 11 novembre : « Ce que nous faisons à Gaza, nous pouvons aussi le faire à Beyrouth. » Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a réitéré cette menace la semaine dernière.

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Comment le Hezbollah réagira-t-il maintenant qu’Israël a repris son massacre brutal à Gaza après la courte trêve ou si Israël vient à étendre le massacre à la Cisjordanie, où il a déjà tué au moins 264 autres Palestiniens depuis le 7 octobre ? 

Dans un discours prononcé le 3 novembre, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est abstenu de déclarer une nouvelle guerre contre Israël, mais a averti que « toutes les options [étaient] sur la table » si Israël ne mettait pas fin à sa guerre contre Gaza.  

Alors qu’Israël se préparait à interrompre ses bombardements le 23 novembre, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a organisé des rencontres au Qatar, d’abord avec Hassan Nasrallah et des responsables libanais, puis avec le chef du Hamas, Ismaël Haniyeh. 

Dans un communiqué public, Hossein Amir-Abdollahian a déclaré : « La poursuite du cessez-le-feu peut empêcher un élargissement de la guerre. Lors de la rencontre avec les dirigeants de la résistance, j’ai constaté que si les crimes de guerre et le génocide israéliens se poursuivent, la résistance mettra en œuvre un scénario plus rigoureux et plus complexe. »

Le 16 octobre, Hossein Amir-Abdollahian avait déjà prévenu que « les dirigeants de la résistance ne permettr[aient] pas au régime sioniste de faire ce qu’il veut à Gaza et de s’attaquer ensuite à d’autres fronts de la résistance ».

En d’autres termes, si l’Iran et ses alliés pensent qu’Israël a réellement l’intention de poursuivre sa guerre contre Gaza jusqu’à chasser le Hamas du pouvoir, puis de lâcher sa machine de guerre contre le Liban ou ses autres voisins, ils préféreraient mener une guerre à plus grande échelle dès maintenant et forcer Israël à combattre les Palestiniens, le Hezbollah et leurs alliés en même temps, plutôt que d’attendre qu’Israël les attaque un par un.

Le soutien inconditionnel de l’Amérique à Israël et son approvisionnement sans fin en armes n’ont fait que transformer Israël en une force incontrôlable, génocidaire et déstabilisatrice

Hélas, la Maison-Blanche n’écoute pas. Le lendemain, le président Joe Biden a continué de soutenir la volonté d’Israël de reprendre la destruction de Gaza en affirmant que tenter d’éliminer le Hamas était « un objectif légitime ».

Le soutien inconditionnel de l’Amérique à Israël et son approvisionnement sans fin en armes n’ont fait que transformer Israël en une force incontrôlable, génocidaire et déstabilisatrice au cœur d’une région fragile déjà brisée et traumatisée par des décennies de guerres américaines.

Il en résulte un pays qui refuse de reconnaître ses propres frontières ou celles de ses voisins, et qui ignore toute limite à ses ambitions territoriales et à ses crimes de guerre.

Si les agissements d’Israël débouchent sur une guerre à plus grande échelle, les États-Unis se retrouveront avec peu d’alliés prêts à s’engager dans la mêlée.

Même si un conflit régional est évité, le soutien des États-Unis à Israël a déjà considérablement terni leur réputation dans la région et au-delà, et une implication directe des États-Unis dans la guerre les placerait dans une situation d’isolement et d’impuissance encore plus grande que lors de leurs précédentes mésaventures au Vietnam, en Afghanistan et en Irak. 

Les États-Unis peuvent encore éviter ce sort en exigeant un cessez-le-feu immédiat et permanent et le retrait des forces israéliennes de Gaza.

Si Israël n’accepte pas cela, les États-Unis doivent soutenir cette position en suspendant immédiatement les livraisons d’armes, l’aide militaire, l’accès israélien aux stocks d’armes américaines en Israël et le soutien diplomatique à la guerre d’Israël contre la Palestine. 

La priorité des responsables américains doit être d’arrêter le massacre perpétré par Israël, d’éviter une guerre régionale et de libérer le passage afin que d’autres nations puissent aider à négocier une véritable solution à l’occupation de la Palestine.

- Nicolas J. S. Davies est journaliste indépendant et chercheur pour CODEPINK, un groupe anti-guerre international. Il est l’auteur de Blood on Our Hands: The American Invasion and Destruction of Iraq.

- Medea Benjamin est cofondatrice de CODEPINK: Women for Peace. Elle est l’auteure de plusieurs livres, dont Inside Iran: The Real History and Politics of the Islamic Republic of Iran.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Nicolas J S Davies is an independent journalist, a researcher for CODEPINK and the author of Blood on Our Hands: The American Invasion and Destruction of Iraq.
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