Comment les Émirats arabes unis alimentent le conflit au Soudan
Le 6 août dernier, en milieu de journée, un avion transportant une cargaison inconnue a été aperçu sur la piste d’atterrissage de Hamrat al-Cheikh, dans l’État soudanais du Kordofan-Nord. Une poignée d’habitants se sont rassemblés autour de l’appareil. L’un d’entre eux a filmé la scène.
Hamrat al-Cheikh est une localité isolée, mais d’une importance stratégique. Elle se trouve à 250 km d’El-Obeid, la capitale du Nord-Kordofan, qui est assiégée depuis plusieurs mois par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) dans le cadre de la guerre qui les oppose depuis neuf mois à l’armée soudanaise.
La ville, qui recense plus de 400 000 habitants en temps de paix, se trouve également à un carrefour stratégique de plusieurs routes reliant le centre du pouvoir des FSR au Darfour, dans l’ouest du Soudan, à Khartoum.
Des informations provenant de la vidéo filmée de la piste d’atterrissage et vérifiées par Middle East Eye, ainsi que des renseignements fournis par Flightradar24 et JetPhotos, indiquent que l’avion en apparence ordinaire qui a atterri à Hamrat al-Cheikh était un Beechcraft 1900D blanc avec un empennage bleu, appartenant à Bar Aviation, une société basée en Ouganda. La société n’avait pas répondu aux questions de MEE au moment de la publication.
La nouvelle de l’atterrissage de l’appareil s’est répandue à El-Obeid, ont indiqué deux sources locales à Middle East Eye. La raison était évidente, a déclaré l’une des sources : la cargaison de l’avion contenait des armes — probablement des roquettes russes Katyusha — destinées aux FSR, qui utilisent cette artillerie dans la région, ainsi qu’à travers tout le pays.
Ces munitions permettraient de renforcer la mainmise du groupe sur El-Obeid et de contrôler les lignes de ravitaillement reliant le Darfour à Khartoum.
Selon une autre source, les roquettes ont été lancées sur le Centre d’études pour la paix et le développement du Nord-Kordofan (une photo consultée par MEE montre le bâtiment à moitié détruit).
Selon de multiples sources, tant locales qu’internationales, l’avion provenait des Émirats arabes unis (EAU). Ces derniers ont précédemment nié « avoir fourni des armes ou des munitions à l’une ou l’autre des factions en guerre au Soudan ».
La fourniture d’armes aux FSR a toutefois permis aux paramilitaires de marquer des points face à l’armée, dans un réseau complexe de lignes d’approvisionnement et d’alliances qui englobe non seulement le Soudan, mais aussi la Libye, le Tchad et l’Ouganda.
La résurgence des FSR
La guerre au Soudan dure depuis plus de neuf mois. Selon l’ONU, le conflit a fait 7,3 millions de déplacés et plus de 12 000 morts. Le bilan s’alourdit de jour en jour. Le nombre de morts au Darfour est rarement enregistré : le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé. Les deux belligérants ont commis des atrocités.
L’armée a ravivé les perspectives des groupes ultraconservateurs et des personnalités liées à l’administration autocratique de l’ancien président Omar el-Bechir, qui a été chassé après trois décennies au pouvoir à la suite d’un soulèvement populaire en 2019.
Au Darfour, en proie à un conflit quasi permanent depuis le début du XXIesiècle, des témoins oculaires ont raconté à Middle East Eye les exécutions sommaires, les viols et les meurtres à caractère ethnique perpétrés par les FSR et les milices arabes qui leur sont alliées, ciblant les Masalit, minorité noire africaine. Ces crimes, niés par les paramilitaires, ont été rapportés par des organisations de défense des droits de l’homme.
En décembre, les FSR ont pris le contrôle de la deuxième ville soudanaise, Wad Madani, jusqu’alors épargnée par la violence, et qui accueillait des centaines de milliers de civils déplacés.
« Ce qui est fourni par les Émirats arabes unis est très substantiel. Cela a permis aux FSR de rester actives dans la lutte »
- Cameron Hudson, ancien analyste de la CIA
L’armée a battu en retraite précipitamment, n’offrant que peu ou pas de résistance et laissant ces civils à la merci du groupe paramilitaire. En proie à des dissensions internes, l’armée déclare désormais qu’elle va enquêter sur sa décision de s’être retirée, après les accusations de trahisons portées par des soldats du rang à l’encontre de dirigeants.
Sur le champ de bataille et dans l’arène diplomatique, les FSR, qui avaient été intégrées à l’État soudanais sous l’égide des services de renseignement en 2013, à la suite d’une série de manifestations qui menaçaient el-Béchir, ont désormais le vent en poupe.
Lorsque les combats ont éclaté à Khartoum en avril dernier, nombreux étaient ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur du Soudan, pensaient que les Forces armées soudanaises, de par leur nombre, leur puissance aérienne, leur statut d’armée nationale et le contrôle qu’elles exerçaient sur les institutions du pays, finiraient par vaincre leur allié devenu ennemi.
Si les FSR ne comptent qu’environ 100 000 hommes, contre environ 200 000 pour l’armée, elles ont été aguerries par l’écrasement de la dissidence dans tout le Soudan et par les combats qu’elles ont menés pour les forces soutenues par les Émirats arabes unis au Yémen, en Libye et dans d’autres régions du Sahel, ce qui fait d’elles le belligérant le plus efficace. Cependant, alors que les Forces paramilitaires de soutien rapide ont été en mesure de récupérer des armes et des équipements de l’armée, cela n’a pu suffire à assurer leur approvisionnement.
Cameron Hudson, ancien analyste de la CIA et associé principal du programme Afrique du Center for Strategic and International Studies (CSIS), explique à MEE : « Au début du conflit, j’ai dit, comme d’autres, qu’il serait difficile pour les FSR de se maintenir. Or, nous nous sommes tous trompés et je pense que ce qui a fait la différence, c’est le soutien extérieur. »
« Je pense que ce qui est fourni par les Émirats arabes unis est très substantiel. Cela leur a permis de poursuivre la lutte sans fin en vue. »
Des représentants soudanais et occidentaux, des diplomates, des militants locaux et des juristes spécialisés dans les droits de l’homme font tous écho à l’opinion de Cameron Hudson.
Le soutien est venu principalement d’un seul endroit, un allié clé des États-Unis : les Émirats arabes unis.
Selon le gouvernement américain, cette capacité des FSR a également été renforcée par le groupe militaire privé russe Wagner, qui « a fourni aux Forces de soutien rapide des missiles sol-air pour combattre l’armée soudanaise, contribuant ainsi à un conflit armé prolongé qui ne fait qu’aggraver le chaos dans la région ».
Mohamed Hamdan Dagalo, le leader des FSR plus connu sous le nom de Hemetti, a établi son empire commercial à Dubaï, l’un des émirats des EAU. Il serait proche du vice-président émirati Mansour ben Zayed al-Nahyane et a effectué un long voyage à Abou Dabi en février et mars derniers, avant le début de la guerre, où il a rencontré le cheikh Mansour et le président et dirigeant des EAU, Mohammed ben Zayed.
L’or extrait des mines contrôlées par les FSR au Darfour est commercialisé aux Émirats arabes unis, où est établi le plus jeune frère de Hemetti, Algoni Dagalo.
Dagalo dirige également certaines des entreprises régionales des FSR, dont Tradive, désormais sanctionnée, que le Trésor américain définit comme « une entreprise d’approvisionnement qui a acheté des véhicules pour les FSR par le passé ».
Interrogé par MEE, Youssef Ezzat, principal conseiller politique des forces paramilitaires, a assuré : « J’ai répété à maintes reprises qu’ils accusent les Émirats arabes unis, mais qu’ils oublient que les FSR contrôlent tous les entrepôts et toutes les bases militaires. Les FSR n’ont pas besoin de lignes de ravitaillement pour notre part ».
Le ministère des Affaires étrangères des Émirats arabes unis n’a pas répondu aux demandes de commentaires de MEE sur les allégations de fourniture de matériel aux FSR.
Au-delà de leur relation avec la famille Dagalo et de leur recours aux combattants des FSR au Yémen et en Libye, les Émirats arabes unis ont d’autres intérêts de longue date au Soudan. Il s’agit notamment de l’achat de terres agricoles pour répondre aux problèmes de sécurité alimentaire du pays, de l’importation de bétail en provenance du Soudan et d’une série de projets portuaires le long de la côte de la mer Rouge, dont un projet de 6 milliards de dollars finalisé l’année dernière pour un port situé au nord de Port-Soudan.
À cela s’ajoute une dimension politique. La révolution soudanaise qui a mis fin aux trois décennies de pouvoir du président el-Béchir avait pour ambition de rétablir la démocratie dans l’un des plus grands pays du monde arabe et musulman.
Abdullahi Halakhe, avocat principal pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe auprès de l’organisation humanitaire Refugees International, explique à Middle East Eye que « les Émirats arabes unis ont œuvré plus que tout autre pays pour étouffer l’émergence de la démocratie dans la région ».
« Ils ont financé des régimes en Tunisie, en Algérie, en Égypte, en Libye et soutiennent maintenant les FSR au Soudan. La diplomatie du chéquier fonctionne pour eux. »
Les discours étaient différents. D’après des diplomates européens basés en Afrique du Nord, dans les mois qui ont précédé le début de la guerre, des responsables émiratis déclaraient que si les pays européens voulaient soutenir la démocratie au Soudan, ils devaient soutenir les FSR, qui, à la fin de l’année dernière, ont commencé à adopter une campagne de relations publiques promouvant la démocratie.
Depuis, les forces paramilitaires ont été soutenues par certains dirigeants de la coalition pro-démocratique des Forces de la liberté et du changement (FLC).
En ce début d’année, Hemetti a rencontré l’ancien Premier ministre soudanais Abdallah Hamdok, qu’il avait évincé avec le général Abdel Fattah al-Burhan lors du coup d’État militaire d’octobre 2021. Abdallah Hamdok vit aujourd’hui aux Émirats arabes unis, où son groupe de réflexion, le Centre pour le développement et l’investissement en Afrique (CADI), est établi. Lors de leur rencontre à Addis-Abeba, Hamdok et Hemetti se sont donné l’accolade.
Comment acheminer des armes au Soudan ?
L’armée contrôle l’espace aérien du Soudan. Dès le début de la guerre, le défi pour les FSR et leurs soutiens a été de sécuriser les lignes d’approvisionnement.
Au cours des premiers mois du conflit, des responsables du sud de la Libye et des sources proches des forces du commandant de l’armée de l’est de la Libye Khalifa Haftar ont indiqué à MEE que les Émirats arabes unis utilisaient ce dernier, qu’ils soutiennent, pour envoyer des fournitures militaires aux forces de sécurité soudanaises.
Ces sources ont également identifié une série de bases aériennes libyennes d’où les cargaisons seraient acheminées par avion vers la République centrafricaine (RCA), puis conduites par voie terrestre jusqu’au Darfour.
Peu avant le début de la guerre, l’un des fils de Haftar, Sadeeq, était à Khartoum pour rencontrer Hemetti et faire une donation de 2 millions de dollars à un club de football dans lequel le chef paramilitaire est impliqué. C’était durant le mois du Ramadan et le fils de Haftar est retourné à la résidence de Hemetti à Khartoum, où les deux hommes ont rompu le jeûne ensemble.
Jalel Harchaoui, analyste politique et chercheur associé au Royal United Services Institute (Rusi), explique à MEE que la famille Haftar était soucieuse de maintenir les « réseaux de commerce illicite qui existent entre le Soudan et l’est de la Libye », notamment pour le carburant, le captagon, le haschich, l’or, les voitures volées et le trafic d’êtres humains, et avait commencé à « envoyer de l’aide » aux FSR.
« Hemetti était leur belligérant préféré », affirme Jalel Harchaoui au sujet des Émirats arabes unis et de la Russie. « Ils le soutenaient depuis plusieurs années avant que la guerre n’éclate. Les deux nations savaient qu’il y avait un moyen de le soutenir sans être dénoncé par la communauté internationale et elles ont emprunté cette voie. »
Alors que la guerre faisait rage, les voies d’approvisionnement à partir de la Libye se sont modifiées en raison de la surveillance internationale : le Conseil de sécurité des Nations unies a imposé un embargo sur les armes à destination de l’ouest du Soudan, qui a été renouvelé en mars.
Moussa Tehoussay, membre du Parti du changement libyen et chercheur sur l’Afrique, indique à MEE que le soutien militaire apporté au Soudan depuis l’est et le sud de la Libye s’est principalement fait par l’intermédiaire du groupe Wagner, qui a acheminé des armes et des équipements militaires de pointe, tels que des missiles SAM-7 et des systèmes antiaériens, par fret aérien depuis la ville d’al-Koufra.
« Le mode opératoire n’a cessé de changer », souligne Jalel Harchaoui. « Le volume a également varié. Mais il y a toujours eu un certain flux d’aide. Il ne s’est jamais vraiment arrêté. Les Émirats arabes unis et la Russie ont toujours eu l’intention de garantir la victoire d’Hemetti. Dès le début. »
Tirer parti du voisinage du Soudan
Le Darfour, vaste région de l’ouest du Soudan qui a vu naître les FSR à partir des milices janjawids autrefois utilisées par l’État pour écraser la rébellion, est également limitrophe du Tchad et de la République centrafricaine (RCA).
En RCA, le gouvernement du président Faustin-Archange Touadéra dépend du soutien militaire des forces Wagner dans sa lutte contre les rebelles. Le groupe russe a également aidé Touadéra à remporter un référendum qui lui permet de se présenter aux élections autant de fois qu’il le souhaite.
Des sources de l’opposition en RCA ont indiqué à MEE que les mercenaires de Wagner étaient impliqués dans le transit d’armes à travers la frontière vers les FSR au Darfour. Le matériel arrive parfois, mais pas toujours, par avion depuis la Libye.
Abdu Buda, le porte-parole de l’Unité pour la paix en République centrafricaine (UPC), a déclaré : « Wagner et le gouvernement centrafricain cherchent à sécuriser la situation de leur allié au Soudan, à savoir les FSR, et ont donc livré d’énormes quantités d’armes aux FSR à travers les frontières entre le Soudan et la République centrafricaine ».
Parallèlement, les Émiratis ont cherché à changer la position du gouvernement tchadien, qui craint la déstabilisation que pourrait provoquer une guerre à ses frontières et considère les FSR comme un groupe susceptible de favoriser un changement de régime au Tchad.
Mahamat Idriss Deby, chef militaire et président de transition du Tchad, a rencontré un conseiller de Mohammed ben Zayed et Abdelrahim Dagalo, frère et bras droit de Hemetti, à N’Djamena au début du mois de juillet, selon Cameron Hudson et l’analyste militaire occidental.
Les Émirats arabes unis ont offert à Deby « plus d’un milliard de dollars » pour « faire pencher le Tchad en faveur du soutien aux FSR », selon Cameron Hudson. Au cours de l’été 2023, la ville tchadienne reculée d’Amdjarass, dont est originaire la famille Deby, s’est transformée en « ville-champignon », selon une source proche des autorités locales, qui a également confirmé les observations de Cameron Hudson.
Jusqu’au 30 septembre, Gerjon, un passionné du suivi du trafic aérien, a recensé 109 vols de fret en provenance des Émirats arabes unis, effectuant une courte escale à Entebbe en Ouganda avant de poursuivre leurs vols jusqu’à Amdjarass.
Gerjon a depuis désactivé son compte à la suite de ce qu’il a décrit comme « un incident récent » qui, selon lui, fait qu’il « ne se sent plus en sécurité ».
D’après le New York Times, Amdjarass est devenue le centre d’une « opération secrète élaborée » menée par les Émirats arabes unis pour soutenir les FSR, « en leur fournissant des armes puissantes et des drones, en soignant les combattants blessés et en évacuant par avion les blessés les plus graves vers l’un de leurs hôpitaux militaires ».
Les vols en provenance de l’Ouganda en direction du Tchad peuvent cependant être suivis. C’est pourquoi les FSR et leurs soutiens s’efforcent d’acheminer les cargaisons dans l’espace aérien soudanais, où elles ne peuvent pas être suivies.
Ouganda, transports aériens et présidence
Le vol du 6 août vers le Kordofan-Nord, que MEE a suivi de bout en bout à l’aide de la vidéo fournie par des sources locales, semble s’inscrire dans cet effort d’acheminement des approvisionnements directement vers le Soudan.
Si ce vol a bien atterri, les frappes aériennes de l’armée quelques jours plus tard ont brusquement interrompu cette route jusqu’à la mi-novembre, lorsque l’armée a recommencé à bombarder Hamrat al-Cheikh, pensant que les FSR étaient à nouveau approvisionnés par les airs.
Bar Aviation, la société propriétaire de l’avion dans la vidéo, est dirigée par son PDG Barak Orland, un homme d’affaires israélien qui vit en Ouganda depuis près de vingt ans. C’est un proche de la famille du président ougandais Yoweri Museveni.
Sur son site internet, la compagnie, qui est basée à l’aéroport international d’Entebbe et à l’aérodrome de Kajjansi, duquel le vol vers le Soudan aurait décollé, se décrit comme la « première compagnie aérienne ougandaise axée sur le service ».
Certains articles de presse locaux et sectoriels décrivent Orland comme un « visionnaire » ou l’interrogent pour vanter lui-même le transport aérien réussi de dix-huit rhinocéros d’Afrique du Sud à destination du Congo.
Ce point de vue n’est toutefois pas partagé par tous. « J’ai parlé à plusieurs personnes qui connaissent Orland en tant que trafiquant d’armes », déclare Nicholas Opiyo, avocat ougandais spécialiste des droits de l’homme, à MEE.
Ni Bar Aviation ni Barak Orland n’ont répondu aux demandes de commentaires de Middle East Eye sur les allégations et les faits présentés dans cet article.
Ehud Yaari, un analyste israélien qui a servi son pays en tant que conseiller sur le Soudan, indique à MEE qu’Orland est « un petit entrepreneur qui s’est trouvé une niche en Ouganda... Il est une sorte de missile non guidé, il est proche [du président ougandais Yoweri] Museveni ».
Interrogé sur le fait que Barak Orland aurait été impliqué dans la vente d’armes israéliennes à l’Ouganda, Ehud Yaari répond : « Je ne pense pas qu’Israël ait besoin de lui pour cela. »
Marié à une Ougandaise, Orland est copropriétaire d’une série de sociétés de sécurité. Il a auparavant dirigé une entreprise de communication appelée Roke Telekom, qu’il a vendue par la suite.
L’Israélien est particulièrement proche de Muhoozi Kainerugaba, général ougandais et fils du président Museveni, au pouvoir à Kampala depuis 1986. Muhoozi Kainerugaba, qui se prépare à succéder à son père, est bien connu pour son comportement erratique. Il a déjà tweeté qu’il lui faudrait deux semaines pour conquérir le Kenya avec ses hommes, propos pour lesquels Yoweri Museveni a dû s’excuser.
Le général de l’armée a publié des photos de lui et d’Orland sur les réseaux sociaux et l’a remercié publiquement pour son travail en tant que vice-président de la Fédération ougandaise des clubs de sport automobile.
Ehud Yaari indique à MEE que Bar Aviation a également effectué des vols entre l’Ouganda et l’est du Tchad. « On soupçonne qu’ils acheminaient des fournitures en provenance des Émirats arabes unis », précise-t-il. L’analyste ajoute que « des transactions commerciales entre Hemetti et les Ougandais s’inscrivent dans le cadre de l’aide financière que les Émirats arabes unis ont apportée au Tchad ».
Yoweri Museveni, qui avec son épouse Janet a organisé une rencontre inédite en 2020 entre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le chef de l’armée soudanaise Abdel Fattah al-Burhan, rencontre considérée comme une amorce de normalisation des liens entre les deux pays, entretient des relations avec les deux parties à la guerre au Soudan.
« Je pense que [le président ougandais Yoweri] Museveni joue un rôle en coulisses dans ce conflit, comme il l’a toujours fait, principalement pour stimuler son économie militaire »
- Nicholas Opiyo, juriste ougandais
Le président ougandais s’est rendu à Abou Dabi au moins deux fois l’année dernière et a alloué de plus en plus de terres agricoles ougandaises aux Émirats arabes unis dans le cadre d’un « plan visant à tirer parti de la guerre civile au Soudan pour faire de ce pays une plaque tournante pour le commerce émirati dans la région ».
En mai, Yoweri Museveni a reçu Youssef Ezzat, le conseiller des FSR, qui a « fourni une explication complète » des causes de la guerre au Soudan et a « transmis un message » au président ougandais de la part de son chef Hemetti.
« En réalité, l’Ouganda n’est pas un allié », déclare Youssef Ezzat à MEE. « Lorsque j’ai rendu visite à Museveni, il était président du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Nous devions l’informer de ce qui se passait à Khartoum. »
Youssef Ezzat affirme que le président ougandais est un « important dirigeant africain » qui connait bien le conflit soudanais. « L’Ouganda est un pays africain et nous sommes africains. Nous avons besoin de solutions africaines à notre conflit », insiste le conseiller des FSR.
Nicholas Opiyo souligne que si les avions de Bar Aviation sont utilisés pour acheminer des armes au Soudan, cela ne peut se faire à l’insu de Yoweri Museveni.
« Je pense que Museveni joue un rôle en coulisses dans ce conflit, comme il l’a toujours fait, principalement pour stimuler son économie militaire. Je ne serais pas surpris que des hommes d’affaires comme Orland soient les intermédiaires de ces transactions, car il dispose de l’infrastructure nécessaire », affirme le juriste ougandais.
Le bureau du président ougandais Yoweri Museveni n’a pas répondu à la demande de commentaires de Middle East Eye sur ces allégations.
L’armée soudanaise dénonce les Émirats
Tout au long de la guerre, les officiers de l’armée soudanaise et les dirigeants alliés à l’armée ont parlé en privé de ce qu’ils perçoivent comme l’influence néfaste des Émirats arabes unis et de leur soutien à l’ennemi.
Le 28 novembre, les choses ont finalement été rendues publiques, lorsque le général Yasser al-Atta a fustigé les Émirats dans un discours prononcé devant les membres du service de renseignement général à Omdourman.
« Nous avons des informations provenant du renseignement [général], du renseignement militaire et du réseau diplomatique selon lesquelles les EAU envoient des avions pour soutenir les Janjawids », a déclaré Yasser al-Atta, en désignant les FSR par le nom des milices dont elles sont issues.
Yasser al-Atta a accusé les Émirats arabes unis de faire transiter leurs approvisionnements par l’Ouganda, la République centrafricaine et le Tchad. Le général a félicité la Russie pour avoir démantelé le groupe Wagner, qui, selon lui, a facilité les approvisionnements via la RCA.
« Nous avertissons tout pays qui participe au soutien de cette rébellion que l’on récolte ce que l’on sème », a-t-il ajouté.
En réponse à ces accusations, un responsable émirati a déclaré que son pays avait « constamment appelé à la désescalade, au cessez-le-feu et à l’ouverture d’un dialogue diplomatique » au Soudan, tout en fournissant une aide humanitaire.
Le 20 novembre, l’armée soudanaise a repris ses bombardements sur Hamrat al-Cheikh et ses environs. Ces frappes aériennes se sont poursuivies, visant les bases et les lignes d’approvisionnement des FSR.
D’après le juriste à El-Obeid, « de nombreux civils ont été blessés et certains tués à la suite de ces bombardements ». Un peu plus d’une semaine plus tard, le 30 novembre, la COP28, la Conférence des Nations unies sur le changement climatique, a débuté aux Émirats arabes unis, l’un des dix plus grands producteurs de pétrole au monde.
« Les pays du Golfe sont passés maîtres dans l’art du soft power », commente Abdulahi Halakhe auprès de MEE. « Le Qatar a accueilli la Coupe du monde, la COP28 s’est déroulée aux Émirats arabes unis, qui détiennent le club de football Manchester City, les Saoudiens possèdent la ligue de golf LIV, et ainsi de suite. »
Le 10 décembre, le gouvernement soudanais allié à l’armée a expulsé quinze diplomates émiratis. Quelques jours plus tard, les FSR ont attaqué l’État d’al-Jazira, progressant pour la première fois dans le centre du Soudan et dispersant l’armée et des centaines de milliers de civils sur leur passage.
À la fin de l’année 2023, les Émirats arabes unis ont continué à nier qu’ils soutenaient les FSR, soulignant leur « rôle actif dans les efforts de désescalade au Soudan » dans une lettre adressée au groupe d’experts de l’ONU.
Khartoum a sombré dans l’obscurité. Le bruit des coups de feu et des tirs d’artillerie résonnait dans toute la ville.
« Alors que nous accueillons la nouvelle année, restons unis et prions pour la paix et le progrès pour tous les habitants des Émirats arabes unis, de la région et du monde », a exprimé Mohammed ben Zayed.
De son côté, Hemetti, en costume-cravate, a entrepris une tournée diplomatique en Afrique, à bord d’un jet émirati. Il a rencontré Yoweri Museveni et d’autres chefs d’État en Ouganda, en Éthiopie, au Kenya, en Afrique du Sud et au Rwanda. Sa tournée s’est achevée à Kigali, où il a visité le mémorial du génocide rwandais.
« En tant que Soudanais, nous devons apprendre du Rwanda », a publié sur X l’ancien commandant des Janjawids. « La guerre que connaît notre pays aujourd’hui doit être la dernière et nous devons nous efforcer d’instaurer une paix juste et durable pour nous-mêmes et pour la prospérité de nos générations futures. »
Peu de temps après, Hemetti a réitéré longuement ses appels en faveur d’un « Soudan démocratique et pacifique ». Cette déclaration remonte au 16 janvier, la veille d’un sommet convoqué par l’IGAD, un groupe de pays d’Afrique de l’Est qui a tenté de négocier des pourparlers entre l’armée soudanaise et les FSR.
Le ministère soudanais des Affaires étrangères, allié à l’armée, a suspendu ses relations avec l’IGAD, l’accusant de « violer » la souveraineté du Soudan en invitant Hemetti. Le sommet s’est tenu à Entebbe, la ville ougandaise où Bar Aviation a son principal hub.
Dania Akkad a contribué à cet article.
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
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