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Haftar « réachemine » des fournitures vers les Forces de soutien rapide au Soudan

Selon des sources dans le sud de la Libye, le commandant libyen apporte son aide au groupe paramilitaire soudanais et les lignes d’approvisionnement ont évolué
Des chèvres passent à côté d’un missile sol-air (SAM) près de la ville de Tobrouk, dans l’est de la Libye, en 2011 (AFP)
Des chèvres passent à côté d’un missile sol-air (SAM) près de la ville de Tobrouk, dans l’est de la Libye, en 2011 (AFP)

La surveillance internationale a poussé Khalifa Haftar à modifier les voies empruntées par ses forces pour approvisionner les Forces de soutien rapide (FSR) au Soudan, affirment à Middle East Eye des sources locales proches du commandant de l’est de la Libye

Des personnalités politiques, des analystes et des sources de services de renseignement dans le sud libyen confirment à MEE l’implication du maréchal autoproclamé dans la fourniture d’armes et de carburant au groupe paramilitaire, en guerre contre l’armée soudanaise depuis le 15 avril. 

Alors que des images de cargaisons d’armes transportées depuis des bases militaires dans l’est de la Libye ont été diffusées aux premières heures du conflit, des sources révèlent également les noms des bases aériennes qu’elles identifient comme points de départ des cargaisons. 

Dans un entretien exclusif, Saad Bou Shradah, membre du conseil d’État libyen originaire du sud du pays, indique à MEE que les Forces armées arabes libyennes de Haftar transportent par avion du matériel militaire depuis leur territoire jusqu’en République centrafricaine, d’où il est acheminé en voiture jusqu’au Soudan par la frontière.

Des sources internes au sein du commandement de Haftar, s’exprimant sous couvert d’anonymat dans la mesure où elles ne sont pas autorisées à parler aux médias, confirment ces propos. 

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Des sources de l’opposition en Centrafrique ont précédemment déclaré à MEE que le gouvernement centrafricain travaillait avec le groupe Wagner pour approvisionner les FSR.  

Les bases sont protégées par les forces du groupe militaire russe Wagner. Selon des sources militaires au sein du commandement de Haftar, au moins une dizaine de bases aériennes et terrestres sont utilisées à cette fin dans l’est de la Libye.

Parmi ces bases aériennes figurent al-Djoufrah, Tamanhent, Brak al-Shati, al-Khadim, Gamal Abdel Nasser, al-Abraq, Benina, al-Qardabiya, Maaten al-Sarra et enfin al-Wigh, située dans la partie la plus méridionale de la région frontalière saharienne, près de la frontière entre la Libye et le Tchad.

Le major-général Khaled al-Mahjoub, directeur de la division chargée de l’orientation morale au sein des forces de Haftar, affirme à MEE que l’armée ne soutient pas les FSR au Soudan. Il souligne que les hommes de Haftar se distancient des conflits extérieurs et que leur objectif est de protéger l’unité et l’intégrité territoriale de la Libye.

Des relations avec les Russes et les Émiratis

La question du lien entre Haftar et les FSR, dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, fait l’objet de vifs débats depuis le début de la guerre entre le groupe paramilitaire et les Forces armées soudanaises le 15 avril.

Les deux généraux entretiennent des relations étroites avec des acteurs clés émiratis et russes. Tous deux ont par ailleurs l’habitude de s’entraider. 

Dagalo, surnommé Hemetti, a envoyé des centaines de combattants pour soutenir l’assaut de Haftar contre la capitale libyenne Tripoli en 2019. À l’époque, l’armée soudanaise a nié cette implication, en dépit des preuves contenues dans un rapport confidentiel produit par des observateurs.

« Le camp de Haftar envoie désormais de l’aide aux FSR. Cette générosité soudaine invite à penser que les Émiratis, les Russes ou des acteurs extérieurs ont décidé d’utiliser leur influence sur Haftar au profit de Hemetti »

- Jalel Harchaoui, analyste politique

La présence de ces combattants n’a guère changé la donne, les hommes de Haftar ayant concédé une lourde défaite. 

Haftar et les FSR sont également impliqués dans un réseau de commerce illicite qui s’étend sur les régions frontalières de la Libye, du Tchad et du Soudan.

Cette coopération est en grande partie liée aux affiliations tribales. La famille de Hemetti est originaire du Tchad et il fait partie de la tribu des Mahariya, de la communauté des Rizeigat, qui a des racines anciennes dans le triangle frontalier entre le Soudan, le Tchad et le sud de la Libye.

« La famille Haftar se soucie de la survie des réseaux de commerce illicite qui existent entre le Soudan et l’est de la Libye », a indiqué en avril à MEE Jalel Harchaoui, analyste politique et chercheur associé au Royal United Services Institute.

« Le camp de Haftar envoie désormais de l’aide aux FSR. Cette générosité soudaine invite à penser que les Émiratis, les Russes ou des acteurs extérieurs ont décidé d’utiliser leur influence sur Haftar au profit de Hemetti. »

Le trafic d’êtres humains, un commerce lucratif

Parmi les marchandises illégales qui entrent et sortent du Soudan et de la Libye figurent du carburant, du captagon, du haschisch, de l’or et des voitures volées.

Le territoire libyen contrôlé par Haftar se trouve également le long de la voie migratoire qui relie la région Soudan-Érythrée-Éthiopie à la Méditerranée. Depuis 2014, le trafic d’êtres humains est devenu un commerce lucratif en Libye. 

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Selon Moussa Tehoussay, membre du Parti du changement en Libye et chercheur spécialiste des affaires africaines, Haftar pourrait ne pas tirer de bénéfices significatifs de son implication dans la guerre au Soudan.

Il affirme à MEE que le soutien de Haftar est lié à ses alliés hors de Libye, à savoir les Émirats arabes unis et la Russie. 

Selon l’homme politique et chercheur, ces deux camps sont à l’origine de la majeure partie du soutien acheminé jusqu’aux FSR. Ce soutien passe principalement par le groupe Wagner, qui transporte des armes et des équipements militaires de pointe, tels que des missiles SAM-7 et des systèmes antiaériens, par fret aérien depuis la ville d’al-Koufra, dans le sud de la Libye.

Cette voie d’approvisionnement est actuellement suspendue en raison de la surveillance internationale – notamment du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) – et de sa vulnérabilité face aux attaques des avions de l’armée de l’air soudanaise. Néanmoins, souligne Moussa Tehoussay, une aide continue d’être fournie à partir des territoires libyens.

Selon Adel Abdel Kafi, analyste militaire, l’approvisionnement en carburant des FSR est facilité par l’unité Sabil al-Salam et le 128e bataillon de l’armée de Haftar, sous le commandement de Hassan Maatouk al-Zadma.

Ce soutien passe principalement par le groupe Wagner, qui transporte des armes et des équipements militaires de pointe, tels que des missiles SAM-7 et des systèmes antiaériens

Son bataillon est responsable de la région sud-est de la Libye et le commandant entretient depuis longtemps des relations étroites avec des mercenaires et des milices soudanais et tchadiens, qui remontent à l’ère Mouammar Kadhafi. 

La base du pouvoir des FSR se trouve au Darfour, dans l’ouest du Soudan. Dans cette vaste région frontalière avec la Libye, le Tchad et la République centrafricaine, des groupes soudanais opérant dans les régions frontalières aident à approvisionner les FSR en raison de liens tribaux et de camaraderie issus de périodes de combat antérieures.

Il s’agit notamment de la première décennie du XXIe siècle, lors de laquelle les célèbres milices janjaouid déployées par l’ex-président soudanais Omar el-Béchir ont brutalement écrasé les rébellions des groupes noirs africains au Darfour. 

Hemetti était un commandant janjawid et des éléments de ces milices ont formé les FSR, qui ont été placées sous l’égide des services de renseignement soudanais en 2013. 

Le soutien apporté par les groupes des régions frontalières du Soudan et de la Libye comprend du carburant, des munitions et des équipements médicaux et logistiques, mais pas dans des quantités susceptibles d’avoir un impact significatif sur le cours des batailles ou d’entraîner un changement majeur dans la guerre.  

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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