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Guerre à Gaza : l’Égypte aménage une zone tampon pour accueillir les réfugiés palestiniens, selon une ONG

Des entrepreneurs locaux affirment que la zone fortifiée est destinée à accueillir les déplacés fuyant un assaut israélien attendu sur Rafah, à Gaza
Photo publiée par la Fondation du Sinaï pour les droits de l’homme montrant des bulldozers sur le site près de la frontière avec Gaza (capture d’écran/X)

Des travaux sont en cours pour établir une zone de sécurité le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte. Cette zone pourrait accueillir des réfugiés palestiniens fuyant l’assaut israélien attendu sur Rafah, selon une organisation égyptienne de défense des droits de l’homme.

La Fondation du Sinaï pour les droits de l’homme (SFHR) s’est entretenue avec des entrepreneurs locaux, qui ont révélé que l’objectif était de créer dans la péninsule du Sinaï une zone entourée de murs d’une hauteur de sept mètres.

Le projet, décrit dans un rapport publié mercredi 14 février, prévoit également de paver par-dessus les habitations détruites des communautés indigènes de la région.

Des images partagées par l’organisation montrent des responsables dans des véhicules tout-terrain dans la zone, ainsi qu’un grand nombre d’équipements et de bulldozers.

Début février, le journaliste égyptien Ahmed El-Madhoun a diffusé en ligne une vidéo montrant des ouvriers en train de renforcer le mur de sécurité séparant l’Égypte de la bande de Gaza.

Ces informations surviennent alors que l’armée israélienne a menacé à plusieurs reprises de lancer un assaut terrestre sur Rafah, la ville la plus au sud de Gaza où au moins 1,3 million de Palestiniens sont entassés depuis qu’ils ont été déplacés d’autres endroits de l’enclave palestinienne.

Depuis le début de la guerre à Gaza en octobre, les médias ont fait état de plusieurs propositions israéliennes détaillant des plans visant à déplacer les Palestiniens de Gaza vers l’Égypte, des propositions que Le Caire a rejetées.

« Une répétition de 1948, mais en pire »

Tariq Kenney-Shawa, responsable de la politique des États-Unis pour al-Shabaka, un think tank palestinien, affirme que cette zone tampon « symbolise la catastrophe et une répétition de 1948 [la ‘’Nakba’’, la ‘’catastrophe’’ liée à la création d’Israël qui a vu plus de 700 000 Palestiniens chassés de leur patrie], mais en pire ».

Dans un entretien accordé à Middle East Eye, Tariq Kenney-Shawa explique que cette zone « implique que des milliers, voire des millions de Palestiniens devront soit subir l’avancée d’Israël à Rafah, qui s’annonce particulièrement brutale, soit être contraints de traverser la frontière pour se réfugier dans le Sinaï, d’où ils risquent de ne jamais pouvoir revenir et de devoir vivre dans les limbes à court et moyen terme ».

« Son nom [celui de Sissi] sera à jamais terni aux yeux des Palestiniens et des Arabes de toute la région comme étant celui qui a facilité la nouvelle vague d’expulsions massives de Palestiniens »

- Tariq Kenney-Shawa, analyste politique

D’après Tariq Kenney-Shawa, si le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi va de l’avant avec le projet de zone tampon, les Égyptiens se retrouveront en mauvaise posture.

« Son nom [celui de Sissi] sera à jamais terni aux yeux des Palestiniens et des Arabes de toute la région comme étant celui qui a facilité la nouvelle vague d’expulsions massives de Palestiniens. »

Il ajoute que les Égyptiens sont contraints de soit « garder les frontières fermées et d’assister au massacre de milliers de Palestiniens par les forces israéliennes, soit d’ouvrir les frontières et d’être complices du nettoyage ethnique de Gaza ».

Tariq Kenney-Shawa précise néanmoins que si l’économie égyptienne accuse actuellement des difficultés, le pays dispose d’un levier qui, selon lui, doit être utilisé « pour éviter de devenir complice du déplacement forcé des Palestiniens hors de la bande de Gaza ».

Il affirme que la zone tampon, si elle se réalise, « ne fera qu’encourager Israël à poursuivre son assaut terrestre sur Rafah, car il y verra un feu vert et l’assentiment de l’Égypte ».

« La Nakba se poursuit »

Hussein Baoumi, responsable du plaidoyer en matière de politique étrangère pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International, indique que si les projets concernant cette zone ne sont pas encore clairs, les actions du président égyptien remettent en cause sa prétendue préoccupation à l’égard de ce qui se passe dans la bande de Gaza.

« Israël viole incontestablement le droit international et toute tentative de déplacement forcé de la population palestinienne peut constituer un crime contre l’humanité, un crime de guerre ou les deux à la fois. Israël, en tant que puissance occupante, a la responsabilité ultime dans ce contexte », précise Hussein Baoumi à MEE.

Il ajoute que le gouvernement égyptien a réprimé les Égyptiens qui manifestaient en faveur des droits des Palestiniens et « n’a pas respecté les obligations qui lui incombent, en vertu de la convention sur le génocide, de prendre les mesures nécessaires pour prévenir la violation de la convention ».

Il souligne que l’Égypte n’a pas non plus épuisé tous les efforts diplomatiques pour permettre l’acheminement de l’aide par ses frontières, et qu’elle n’a autorisé aucun observateur indépendant à se rendre à Gaza par ses frontières.

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Naks Bilal Vangahun, chercheur spécialisé dans les questions relatives à Israël, à la Palestine et à l’Afrique de l’Ouest, estime que si les informations sont vraies, la création d’une zone tampon ne serait « rien de moins que la poursuite de la Nakba » et ferait écho à ce qui s’est passé en 1948 et en 1967, lors de la guerre israélo-arabe qui a conduit à l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza.

« Une campagne particulièrement sauvage et génocidaire s’en trouverait aggravée. Et comme de nombreux Palestiniens de Rafah ont déjà exprimé leur volonté de rester sur leur terre quoiqu’il arrive, cela reviendrait à leur ôter leur sentiment d’appartenance », explique-t-il à Middle East Eye. Selon Naks Bilal Vangahun, cette décision porterait également atteinte à l’image du président égyptien.

« Le nom de Sissi dans le monde arabe et plus largement dans le monde musulman est déjà assez entaché, mais une action par laquelle il consolide sa position en facilitant une nouvelle Nakba pour les Palestiniens entachera éternellement son héritage », poursuit-il, ajoutant que cela pourrait également créer des répercussions internes pour lui en Égypte.

Il considère également que l’Égypte risque de violer certaines conventions internationales en raison de sa complicité.

« Il serait vraisemblablement difficile pour les responsables égyptiens de nier leur connaissance de l’intention d’Israël de procéder à des déplacements forcés de manière à se décharger d’une complicité potentielle. Il serait particulièrement gênant pour l’Égypte à cet égard d’être complice non seulement en vertu du Statut de Rome [instituant la Cour pénale internationale], mais aussi potentiellement dans le cadre de la convention sur le génocide. »

Tirer profit du poste-frontière de Rafah

Les informations qui circulent sur la zone tampon suggèrent que celle-ci est liée à l’homme d’affaires égyptien Ibrahim al-Organi, qui aurait des liens avec le gouvernement de Sissi.

En janvier, MEE a rapporté qu’une société appartenant à Organi et liée au service de renseignement général égyptien tirait profit du poste-frontière de Rafah.

Une organisation caritative internationale avait alors déclaré à MEE que Sons of Sinai, une entreprise de construction et de sous-traitance, exigeait des « frais de gestion » pour permettre à l’aide humanitaire d’entrer à Gaza depuis l’Égypte.

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Le groupe Organi, dont fait partie Sons of Sinai, serait, selon les médias, le bénéficiaire final d’une vente lucrative d’autorisations « express » permettant aux Palestiniens de fuir la guerre d’Israël dans la bande de Gaza.

Une enquête menée par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et le site web égyptien indépendant Saheeh Masr a révélé que des intermédiaires vendaient des autorisations de sortie à des prix allant de 4 500 à 10 000 dollars pour les Palestiniens et de 650 à 1 200 dollars pour les Égyptiens.

« Les informations préoccupantes concernant l’extorsion de Palestiniens à la frontière, y compris par une société liée au gouvernement, suggèrent que le gouvernement participe sciemment à cette opération ou, du moins, qu’il n’est pas disposé à protéger les Palestiniens de ces pratiques d’extorsion », déplore Hussein Baoumi.

Vendredi, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, a déclaré que la fuite des réfugiés de Gaza vers le Sinaï égyptien serait « catastrophique ».

« Les gens ne devraient pas traverser la frontière », a exhorté Filippo Grandi, depuis Munich où il participe à la 59e Conférence sur la sécurité. « Ce serait catastrophique pour les Palestiniens, en particulier pour ceux qui seraient obligés de se déplacer encore une fois ; ce serait catastrophique pour l’Égypte à tous points de vue et, plus important que toute autre chose, une nouvelle crise des réfugiés signerait l’arrêt de mort d’un futur processus de paix », a souligné le chef du HCR.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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