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Netzah Yehuda, ce bataillon ultra-orthodoxe de l’armée israélienne bientôt sanctionné par les États-Unis

Washington envisage de blacklister une unité de l’armée israélienne en raison d’allégations d’exactions contre des Palestiniens
Des soldats israéliens de Netzah Yehuda pendant leur formation annuelle sur les hauteurs du Golan annexées par Israël, près de la frontière syrienne, le 19 mai 2014 (AFP)
Des soldats israéliens de Netzah Yehuda pendant leur formation annuelle sur les hauteurs du Golan annexées par Israël, près de la frontière syrienne, le 19 mai 2014 (AFP)
Par MEE

Les États-Unis semblent prêts à inscrire Netzah Yehuda, un bataillon militaire juif ultra-orthodoxe de l’armée israélienne sur une liste noire, pour violations des droits humains en Cisjordanie occupée.

Selon des sources américaines citées par le site d’information américain Axios, le secrétaire d’État Antony Blinken devrait annoncer des sanctions dans les prochains jours.

L’unité se verra interdite de recevoir des armes ou une formation des États-Unis, en vertu d’une loi de 1997 du nom de l’ancien sénateur Patrick Leahy.

La « loi Leahy » interdit au gouvernement américain d’utiliser des fonds pour aider des unités de forces de sécurité étrangères lorsqu’il existe des informations crédibles les impliquant dans des violations des droits humains.

Soldats israéliens de Netzah Yehuda en train de prier lors de leur formation annuelle sur les hauteurs du Golan annexées par Israël, près de la frontière syrienne, le 19 mai 2014 (Menahem Kahana/AFP)
Soldats israéliens de Netzah Yehuda en train de prier lors de leur formation annuelle sur les hauteurs du Golan annexées par Israël, près de la frontière syrienne, le 19 mai 2014 (Menahem Kahana/AFP)

Si cela se concrétise, ce serait la première fois que Washington sanctionne directement une unité de l’armée israélienne.

Un panel du département d’État américain avait recommandé il y a quelques mois que Blinken mette sur liste noire un certain nombre d’unités militaires et policières israéliennes à la suite d’un examen des violations des droits des Palestiniens, selon un article publié la semaine dernière dans ProPublica (média à but non lucratif).

Axios a rapporté que les sanctions épargneraient d’autres unités israéliennes ayant « corrigé leur comportement ».

L’existence de cette liste noire a été condamnée par plusieurs personnalités politiques israéliennes.

« L’armée israélienne ne doit pas être sanctionnée ! », a déclaré le Premier ministre Benyamin Netanyahou. « Au moment où nos soldats combattent les monstres de la terreur, l’intention d’imposer des sanctions à une unité de l’armée israélienne est le comble de l’absurdité et une atteinte à la morale. »

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a lui aussi volé au secours de l’unité visée. « Les dommages causés à une unité affectent l’ensemble de notre armée, ce n’est pas une démarche bienvenue de la part de nos amis et alliés », a-t-il commenté dans un communiqué publié par son bureau dans la nuit de dimanche à lundi.

« J’ai une grande estime pour nos amis américains, mais la décision d’imposer des sanctions à une [unité de l’armée israélienne]… cela crée un dangereux précédent », a déclaré le ministre Benny Gantz, un rival de Netanyahou.

Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a qualifié cette liste noire d’« erreur », mais en a imputé la responsabilité au gouvernement d’extrême droite israélien. Il a déclaré que le ministre de la Sécurité nationale Ben-Gvir et Smotrich n’étaient « pas opposés au terrorisme juif et aux émeutes extrêmes des colons », qui causent « un sérieux préjudice » au statut international d’Israël.

Une unité d’environ 1 000 hommes

Netzah Yehuda a été créé en 1999. Le bataillon s’appelait à l’origine Nahal Heredi et ne comptait que 30 soldats israéliens.

Cette unité militaire exclusivement masculine a été mise en place pour répondre aux besoins religieux des hommes ultra-orthodoxes haredim (ceux qui craignent Dieu, en hébreu), exemptés de conscription militaire depuis la création d’Israël en 1947.

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L’unité exclut les non-juifs, applique des règles alimentaires religieuses strictes et maintient une ségrégation stricte entre les sexes (les épouses des officiers sont les seules femmes autorisées dans ses bases).

Actuellement, l’unité compte environ 1 000 hommes. Elle a souvent recruté des colons de droite appartenant au mouvement Hilltop Youth, qui sont systématiquement refoulés des autres unités de l’armée israélienne.

« Le bataillon attire des sionistes religieux, dont les convictions religieuses se mêlent à un militarisme nationaliste », explique à Middle East Eye Marwa Maziad, professeure d’études israéliennes à l’université du Maryland.

En raison de l’exemption accordée aux Israéliens ultra-orthodoxes, l’unité s’appuie sur des volontaires plutôt que sur le recrutement de soldats.

« Cette exemption est actuellement débattue en Israël », poursuit-elle. « Le fait que ces colons illégaux très informels [commenceraient] à servir officiellement comme conscrits haredim est une étape significative vers [une armée israélienne], autrefois laïque, plus religieuse et plus théocratique. »

Le bataillon est l’un des cinq qui composent les brigades Kfir, que l’armée israélienne décrit comme étant à « l’avant-garde de la guerre contre le terrorisme palestinien » en Cisjordanie occupée.

Netzah Yehuda opère dans les villes de Ramallah et de Jénine, en Cisjordanie occupée.

Un soldat israélien de Netzah Yehuda, avec du maquillage de camouflage sur le visage, prie au mur des Lamentations, dans la vieille ville de Jérusalem, le 12 octobre 2007 (Menahem Kahana/AFP)
Un soldat israélien de Netzah Yehuda, avec du maquillage de camouflage sur le visage, prie au mur des Lamentations, dans la vieille ville de Jérusalem, le 12 octobre 2007 (Menahem Kahana/AFP)

En janvier 2022, l’unité a suscité l’indignation internationale après la mort d’un Palestinien-Américain, Omar Mahammad Asaad, 80 ans, d’une crise cardiaque à la suite d’une violente détention aux mains des troupes de Netzah Yehuda.

Des témoins oculaires ont déclaré qu’Asaad avait été menotté, bâillonné et forcé de s’allonger sur le ventre, avant d’être laissé dans cette position par les soldats israéliens qui partaient. Il a ensuite été retrouvé au bord de la route et déclaré mort des suites d’un arrêt cardiaque.

La mort d’Asaad a déclenché des appels à l’ouverture d’une enquête de la part de membres du Congrès du Wisconsin, où Asaad avait vécu pendant des décennies.

« Selon son autopsie, Asaad a été battu, ce qui a provoqué une crise cardiaque. Les soldats responsables n’ont pas été poursuivis, mais le bataillon a été redéployé loin de la Cisjordanie », souligne Marwa Maziad.

Après la mort d’Assad et les demandes d’enquête de Washington, le bataillon, qui était stationné en Cisjordanie occupée, a été transféré sur le plateau du Golan, près de la frontière syrienne.

Un long historique d’exactions

Avant cet incident, le bataillon présentait déjà un long historique d’exactions contre les Palestiniens.

Le Jerusalem Post a rapporté que ses soldats laissaient les colons attaquer des Palestiniens, tandis que le quotidien Haaretz a dénoncé la « claire connexion idéologique entre les habitants des colonies et implantations sauvages » de Cisjordanie « et les soldats de Netzah Yehuda ».

Des soldats israéliens de Netzah Yehuda prient au sommet de l’ancienne forteresse de Massada, le 23 mars 2007 (Menahem Kahana/AFP)
Des soldats israéliens de Netzah Yehuda prient au sommet de l’ancienne forteresse de Massada, le 23 mars 2007 (Menahem Kahana/AFP)

En juin 2015, un soldat de Netzah Yehuda a abattu un Palestinien non armé dans la ville de Silwad, au nord de Ramallah.

L’armée israélienne a affirmé que le Palestinien avait lancé un cocktail Molotov sur des soldats, bien que les séquences vidéo ne montraient pas une telle menace.

Le même mois, des articles ont rapporté qu’au moins cinq soldats de l’unité avaient physiquement agressé et arbitrairement arrêté Shadi al-Ghobaishi, un civil palestinien du camp de réfugiés de Jalazone à Ramallah.

Ghobaishi aurait approché les soldats pour leur demander d’arrêter de tirer des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes près de chez lui, car cela effrayait ses enfants.

Lors de deux incidents distincts survenus en octobre 2015, des Palestiniens détenus par Netzah Yehuda à Jénine et Tulkarem ont eu les yeux bandés, ils ont été menottés, battus et électrocutés à l’aide d’électrodes.

Des mois plus tard, un soldat ayant administré les décharges électriques et trois autres impliqués dans l’incident ont été condamnés à des peines de sept à neuf mois de prison.

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En août 2016, un soldat israélien appartenant à l’unité ayant abattu le Palestinien Iyad Zakariya Hamed près de Silwad.

L’armée a affirmé qu’il représentait une menace, avant de se rétracter par la suite. Aucune poursuite n’a été engagée dans cette affaire.

En décembre 2018, des soldats de Netzah Yehuda ont abattu Qassem Abbasi, 17 ans, du quartier de Silwan, à Jérusalem-Est occupée.

Les soldats ont d’abord affirmé que le jeune homme avait tenté de les renverser, mais l’armée israélienne a confirmé par la suite que l’adolescent ne représentait aucune menace. Bien qu’une enquête ait été ouverte sur l’incident, l’affaire a ensuite été classée sans acte d’accusation.

En octobre 2021, quatre soldats de l’unité ont été arrêtés pour l’agression présumée et l’agression sexuelle d’un détenu palestinien.

« Il est significatif que le département d’État américain veuille appliquer la loi Leahy à cette unité particulière, de manière à la distinguer du reste des pratiques au sein de l’armée israélienne dans son ensemble », note Marwa Maziad.

Selon elle, le rejet de la liste noire, quel que soit le clivage politique en Israël, vise à garantir qu’un précédent ne soit pas créé parmi les unités militaires israéliennes. Mais elle s’attend à ce que Netzah Yehuda soit traité comme une exception.

« Se livrer à des violations flagrantes des droits de l’homme, telles que des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des disparitions forcées, est une pratique courante dans un pays qui commet en même temps les crimes d’apartheid et de génocide »

- Raed Jarrar, directeur du plaidoyer chez Dawn

Selon l’organisation de défense des droits humains Dawn, plusieurs autres cas de détention arbitraire et d’agressions physiques de Palestiniens par l’unité ont été recensés.

« Les violations commises par les unités inscrites sur la liste noire sont horribles, mais elles ne sont pas différentes de la plupart des autres unités de l’armée israélienne », constate Raed Jarrar, directeur du plaidoyer chez Dawn, pour MEE.

En 2022, Dawn a soumis une demande au gouvernement américain pour mettre Netzah Yehuda sur liste noire.

« Nous avons choisi cette unité parce qu’elle présentait un exemple, et non une exception, de la manière dont fonctionne l’armée israélienne », explique le responsable.

« Se livrer à des violations flagrantes des droits de l’homme, telles que des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des disparitions forcées, est une pratique courante dans un pays qui commet en même temps les crimes d’apartheid et de génocide. »

Selon Raed Jarrar, cette décision est significative et sans précédent, car Israël bénéficie d’une « politique de chèques en blanc » depuis des décennies.

« Maintenant que nous avons fait ce petit premier pas dans la bonne direction, nous espérons un effet boule de neige. Le gouvernement américain doit appliquer toutes les lois américaines à Israël. Cela signifie mettre sur liste noire des centaines d’autres unités et suspendre les transferts d’armes américains jusqu’à nouvel ordre, sur la base d’autres lois et réglementations contraignantes que l’administration Biden a ignorées jusqu’à présent. »

Traduit de l’anglais (original) et augmenté.

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