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Source interne : l’Iran exige la levée des sanctions pour des actions « irréversibles »

Une source en contact avec les négociateurs explique à MEE que le problème au cœur des pourparlers nucléaires réside dans le fait qu’il reste à déterminer comment et quand les sanctions seront levées
Le réacteur à eau lourde d’Arak, en Iran, a été un obstacle lors des négociations nucléaires (Wikicommons)

Le P5 + 1 et l’Iran s’engagent à poursuivre les pourparlers sur une éventuelle déclaration conjointe après une échéance fixée à minuit mercredi, la question la plus controversée à Lausanne semble encore être de savoir comment et quand seront levées les sanctions sur l’Iran.

Pratiquement tous les éléments concernant les positions des deux parties au cours des négociations demeurent secrets. Cependant, Middle East Eye a appris d’une source bien informée, en contact avec les négociateurs à Lausanne, que la question centrale qui restait à résoudre consistait à savoir si le P5 + 1 mettra fin à certaines sanctions une fois que l’Iran aura mis en œuvre des actions considérées comme « irréversibles » dans le cadre de l‘application de l’accord.

Selon cette source, l’Iran a déjà fait des concessions importantes sur la question des sanctions. L’Iran et le groupe des six pays, dirigés par les Etats-Unis, ont convenu que les sanctions unilatérales des Etats-Unis et de l’Union européenne concernant le programme nucléaire iranien, ainsi que les sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies pourraient être « suspendues » plutôt que levées de manière permanente au début de la mise en œuvre de l’accord. Selon la même source, la délégation iranienne ne conteste pas non plus le fait que les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, interdisant toute aide au programme de missiles balistiques iraniens et à d’autres programmes militaires, puissent demeurer en vigueur.

Mais un sujet de discorde subsiste car le groupe des six pays a insisté sur le maintien en place de l’ensemble du système juridique de sanctions, même une fois ces dernières suspendues, et ce jusqu’à ce que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) arrive à la conclusion que le programme nucléaire iranien est entièrement dédié à des fins pacifiques — un processus qui, comme l’agence l’admet elle-même, pourrait exiger plusieurs années. Des responsables américains et européens ont répété pendant des mois aux journalistes que le maintien en place du régime de sanctions était nécessaire, pour s’assurer non seulement que l’Iran applique pleinement les accords mais également qu’il n’a pas pour ambition d’acquérir des armes nucléaires.

Or selon la source, l’Iran a insisté auprès des Etats-Unis et des équipes de négociation européennes sur le fait qu’il lui avait été demandé de poser des limites à son programme nucléaire, limites effectivement « irréversibles », et que le P5 + 1 devait en retour mettre fin dans chaque cas à certaines des sanctions. 

Cette même source a donné des exemples de concessions iraniennes qui, selon l’Iran, seraient irréversibles si elles étaient mises en œuvre, parmi lesquelles figurent la refonte du réacteur à eau lourde d’Arak, l’élimination de son stock d’uranium faiblement enrichi et la ratification du protocole additionnel par le parlement iranien. L’Iran exige que l’accord comprenne des éléments appelant à mettre fin aux sanctions dans les délais suite à la mise en œuvre concrète de chaque engagement.

L’Iran a accepté de revoir la conception du réacteur à eau lourde d’Arak, que le P5 + 1 avait qualifié de menace de prolifération en raison des quelque 10 kg de plutonium que ce dernier produirait annuellement. La modification que l’Iran a accepté d’effectuer réduirait la production de plutonium à 1 kg par an, selon la source en contact avec les négociateurs. Par conséquent, il faut s’attendre à ce que le P5 + 1 aille au-delà de la simple suspension des sanctions en réponse à la mise en œuvre de l’accord.

Un haut responsable iranien a déclaré à l’International Crisis Group en juin dernier que la refonte du réacteur d’Arak impliquerait le remplacement de la calandre, le récipient qui contient actuellement le cœur du réacteur, par une autre de plus petite dimension. Les officiels ont déclaré qu’il faudrait des années à l’Iran pour revenir sur cette modification et restaurer le réacteur d’origine.  

Frank Von Hippel, chercheur à l’université de Princeton et ancien directeur adjoint à la sécurité internationale du bureau des Sciences et technologie de la Maison Blanche, a confirmé à MEE lors d’un entretien que le plan convenu pour la refonte du réacteur d’Arak impliquait en effet le remplacement de la calandre et était donc, dans les faits, « irréversible ».

Frank Von Hippel a également déclaré que la réduction par l’Iran à un niveau très bas de son stock d’uranium faiblement enrichi, ainsi que la diminution du nombre de centrifugeuses d’environ deux tiers par rapport au niveau opérationnel actuel, nécessiteraient une période d’environ trois ans avant de pouvoir être inversées.

Selon la source, les négociateurs iraniens ne sont pas préoccupés outre mesure par le refus du P5 + 1 de lever les sanctions avant que l’Iran ne fournisse des informations complètes sur les « possibles dimensions militaires (PDM) ». « La question des PDM n’est pas un problème », déclare cette même source, car l’Iran est prêt à fournir à l’agence tous les accès dont cette dernière a besoin dans le cadre de l’accord.  

Ce qui inquiète bien plus l’Iran, c’est l’insistance du groupe des six pays à ce que l’AIEA vérifie également la nature pacifique du programme, comme si la mise en œuvre de l’accord ne constituait pas une preuve suffisante. Selon la source, les négociateurs iraniens ont fait valoir auprès des diplomates occidentaux qu’il faudrait à l’AIEA jusqu’à quinze ans pour arriver à un jugement définitif, comme cela avait été le cas pour l’Afrique du Sud.

En novembre dernier, un haut responsable iranien avait déclaré à l’International Crisis Group qu’interrogés par l’Iran sur le délai nécessaire, les responsables de l’AIEA avaient refusé d’exclure la possibilité que l’évaluation du cas de l’Iran puisse nécessiter plus de dix ans.


Traduction de l'anglais (original).

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