La prise de la prison de Tadmor par l’Etat islamique
Jeudi, les partisans de l’Etat islamiques (EI) on fait circuler d’anciennes images de la tristement célèbre prison de Tadmor, en Syrie, affirmant qu’ils en avaient pris possession.
Les images, qui remontent au moins à 2008, ont été publiées sur Internet un jour après la prise de contrôle par le groupe de la ville moderne de Tadmor, située dans la province occidentale de Homs.
L’attention internationale s’est concentrée sur la crainte que l’EI ne rase le site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO qui se situe au sud de la ville moderne, Palmyre. Or selon les analystes, la capture de la prison revendiquée par la milice pourrait constituer un développement beaucoup plus significatif.
Construite par les Français pendant leur mandat en Syrie de 1920 à 1946, la prison a fini par représenter pour de nombreux Syriens la violente répression de la dissidence, et pourrait être un outil de propagande particulièrement efficace.
La peur des représailles
Bien que l’attention des médias se soit focalisée sur les ruines de Palmyre, qui remontent au Ie siècle avant Jésus Christ, beaucoup craignent que les résidents de la ville moderne de Tadmor ne soient désormais en danger.
Jeudi, des images des corps démembrés de résidents de Tadmor ont circulé sur Internet. Appartenant à la tribu des Chaïtat, ceux-ci se sont rebellés contre l’EI en décembre 2014 et ont été écrasés au cours de ce qui est considéré comme le massacre le plus meurtrier du groupe en Syrie.
Ce type de représailles, pensent les analystes, pourrait devenir monnaie courante dans une ville qui s’est retrouvée sous le contrôle du gouvernement pendant la plus grande partie des quatre années de la guerre civile.
« Quiconque est suspecté de coopérer avec le régime sera éliminé », a affirmé Faysal Itani, chercheur associé à l’Atlantic Council de Washington.
« Ceux qui ont accepté l’autorité du régime mais n’ont pas activement participé à l’effort de guerre auront la possibilité de se repentir et de faire allégeance à al-Baghdadi [le chef de l’EI]. »
L’avancée éclair de l’EI a fait suite au retrait des forces du Président Assad de la zone. Avec la chute de Tadmor, l’EI contrôlerait désormais 50 % du territoire syrien.
La zone conquise par l’EI en Syrie mercredi est célèbre autant pour ses vestiges anciens, qui attiraient par le passé des milliers de touristes chaque année, que pour la tristement célèbre prison de Tadmor, située dans la ville moderne.
« Tadmor est un symbole de l’oppression, de la torture et des jours sombres des années 80 », explique Nadim Houry, directeur du bureau de Beyrouth de Human Rights Watch, qui a enquêté sur les centres de détention syriens et interviewé d’anciens détenus.
« Elle a fini par symboliser la brutalité et la cruauté de la répression des années 80. »
En 1980, la prison a été la scène d’un massacre commis par les forces de Rifaat al-Assad, le frère du Président de l’époque, Hafez al-Assad, père de Bachar.
En juin de cette année, des membres des Frères musulmans syriens avaient essayé d’assassiner Hafez al-Assad.
Le lendemain, des soldats firent une descente dans la prison, tuant environ 1 000 prisonniers.
Le massacre de 1980 est bien documenté maintenant mais selon Nadim Houry, on ignore encore beaucoup de ce qui se passait dans cet établissement pénitentiaire ; certain rapports font état d’un nombre inconnu de prisonniers morts de maladies et qui étaient simplement enterrés dans des tombes anonymes dans le désert.
« Comme beaucoup de ces prisons qui sont devenues des incarnations de régimes cruels, Tadmor conserve de nombreux secrets. Maintenant que l’EI contrôle [la zone], ce sera encore plus difficile de connaître la vérité. »
La prison de Tadmor a été fermée en 2001 lorsque Bachar al-Assad a succédé à son père, un geste qui avait suscité l’espoir de réformes à venir et de la fin de la torture généralisée dans les prisons syriennes.
La prison aurait été rouverte dix ans plus tard pour y enfermer les manifestants anti-gouvernementaux descendus dans les rues au début du soulèvement contre la présidence autoritaire d’Assad.
Bien que la réouverture de la prison n’ait jamais été totalement documentée, des activistes de Tadmor ont indiqué mercredi que des milliers de personnes y étaient emprisonnées, et qu’un grand nombre d’entre elles ont été transférées dans une base de l’armée où elles auraient été armées et forcées à se battre contre l’EI.
Bien que l’identité des prisonniers de Tadmor ne soit pas bien connue, Faysal Itani de l’Atlantic Council affirme qu’il s’agit d’un site stratégique pour l’EI, bien plus important probablement que les vestiges exceptionnelles qui se trouvent à proximité.
« L’EI ne s’intéresse pas aux ruines, mis à part l’effet incendiaire que leur capture semble avoir sur l’opinion publique internationale », a-t-il indiqué à MEE.
« Ils aiment narguer et provoquer le monde, et cela semble marcher à la perfection avec ces ruines. »
D’un point de vue militaire toutefois, la prison de Tadmor représente un objectif plus important. Itani suspecte qu’« au moins quelques » militants qui y seraient détenus feraient de nouvelles recrues potentielles s’ils étaient libérés par l’EI.
« La prise intentionnelle d’un bastion important du régime satisfait un objectif plus large de capture et de contrôle de Tadmor », observe-t-il.
Le symbolisme « puissant » de la prison de Tadmor
Plus cruciale encore que son importance stratégique est la signification de Tadmor en tant que symbole de la répression dont la Syrie a souffert sous les deux présidences Assad.
Lors de leur avancée sur Tadmor, les partisans de l’EI avaient promis de « libérer » les détenus qui, selon eux, y croupissent depuis des années.
Traduction : « La prison de Tadmor renferme au moins 13 000 détenus, certains depuis des décennies. L’Ouest et les milices s’en moquent… ils ne s’émeuvent que des ruines ! » #EtatCalifat
« La prison de Tadmor est un symbole puissant du pouvoir et de l’oppression du régime », affirme Faysal Itani. « Sa capture est donc un symbole puissant de l’impuissance du régime et, par conséquent, du pouvoir de l’EI. »
Pour Nadim Houry, la prise de la prison de Tadmor illustre la situation dans laquelle se sont retrouvés de nombreux Syriens depuis la fracturation de l’opposition et la montée en puissance de l’EI, piégés entre le marteau et l’enclume.
« Dans un contexte différent, la capture de la prison de Tadmor aurait donné lieu à des célébrations de joie », a-t-il dit à MEE.
« Mais le fait qu’elle soit tombée entre les mains d’un groupe tout aussi cruel résume la tragédie vécue par les Syriens aujourd’hui, coincés entre la cruauté du régime d’Assad et celle de l’Etat islamique. »
Traduction de l’anglais (original).
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