Les chrétiens irakiens qui fuient l'EI trouvent refuge dans les églises jordaniennes
AMMAN – Souad Shamoon, 63 ans, tient un magazine élégant arborant un drapeau américain sur la couverture. Elle sourit et pétille d’excitation, malgré le fait qu’elle a tout perdu.
Elle est assise sur un petit lit dans une minuscule chambre de fortune qu’elle partage avec une autre dame âgée. Alors que sa situation actuelle est loin d’être idéale – elle vit avec quatre-vingt autres personnes dans une salle paroissiale à des milliers de kilomètres de chez elle – la perspective d’un avenir en Amérique lui permet de garder espoir.
Souad Shamoon, réfugiée irakienne, est venue en Jordanie sur invitation du roi Abdallah II, avec 1 000 autres chrétiens irakiens qui vivent tous dans des églises à travers le pays, la plupart dans la capitale, Amman.
« Je ne peux pas vous dire à quel point nous sommes reconnaissants d’être ici en Jordanie », a déclaré Souad Shamoon à Middle East Eye, dans sa petite chambre où chaque mur est recouvert de photos et d’affiches de Jésus Christ et d’autres icônes chrétiennes. « La Jordanie est devenue notre pays aujourd’hui. Pour l’instant, ma vie est en Jordanie, mais je vivrai bientôt avec mes fils aux États-Unis. »
Comme des millions d’autres à travers le Moyen-Orient, les chrétiens de l’église Saint-Joseph ont fui leurs foyers en Irak où le groupe État islamique (EI) s’est emparé de leurs villes. La plupart d’entre eux se sont enfuis n’emportant guère plus que les vêtements qu’ils avaient sur le dos et ont pris la direction de la région autonome kurde dans le nord de l’Irak. Bien qu’ils y aient trouvé une relative sécurité, les chrétiens ici à Saint-Joseph partagent les sentiments des chrétiens à travers l’Irak : le Moyen-Orient n’est plus un endroit sûr pour eux.
Même si la Jordanie se situe au Moyen-Orient, les chrétiens de Saint-Joseph considèrent cette halte comme une étape nécessaire sur le chemin pour quitter la région.
En dépit de la difficulté d’abandonner le seul foyer qu’elle n’ait jamais connu, Souad Shamoon affirme qu’elle n’a pas hésité à venir en Jordanie. Pour elle, plus elle peut s’éloigner des extrémistes du groupe État islamique, mieux c’est.
« Je ne regrette rien, je suis très heureuse de ne plus être en Irak, mais mes filles me manquent vraiment. Elles sont mariées et ont décidé de rester à Ankawa [un quartier assyrien d’Erbil, dans la région kurde], je les ai laissées là-bas quand je suis venue en Jordanie », a-t-elle déclaré. « Cela a été très dur. »
Saint-Joseph a commencé les préparatifs pour l’arrivée des réfugiés l’année dernière, lorsque la décision a été annoncée par l’un des responsables religieux de Jordanie. La salle de réception de l’église, habituellement utilisée pour les mariages et les fêtes, a été réaffectée et équipée de panneaux de séparation pour créer de petites pièces, juste assez grandes pour accueillir deux lits jumeaux.
Caritas, une organisation caritative chrétienne internationale qui veille à « s’assurer que les réfugiés soient traités avec dignité », a pris en charge la coordination entre les réfugiés, les organismes d’aide et les quatorze églises abritant des chrétiens irakiens en Jordanie, a déclaré à MEE Majid Bagaen, directeur de Caritas à Saint-Joseph.
« Les réfugiés ont ici tout ce dont ils peuvent avoir besoin », a-t-il expliqué. « Nous nous chargeons de tout pour eux, nous leur donnons même un peu d’argent de poche pour d’autres choses. »
Les éclats de rires
L’atmosphère dans les camps de réfugiés est généralement sombre, mais Saint-Joseph fait exception. Entre les murs des salles paroissiales, le découragement a laissé la place aux éclats de rire, à un esprit communautaire et à de grands espoirs.
Les femmes se relaient pour faire à manger à tout le campement dans la cuisine de taille moyenne, distribuant des bols odorants de haricots rouges et de la viande accompagnée de riz blanc et de salade. « Il y a beaucoup de nourriture », a dit en riant l’un des chefs du jour.
Dans l’espace commun de la salle, les hommes jouent aux dominos, tapant bruyamment des mains sur la table et éclatant de rire. Des enfants de tous âges se faufilent entre les adultes, pris en charge par l’ensemble de la communauté nouvellement formée.
Comme Souad, la plupart des réfugiés de Saint-Joseph semblent avoir une fille, un fils, un frère ou une sœur qu’ils envisagent de rejoindre aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Europe ou en Australie.
« J’attends simplement de recevoir les derniers papiers et j’irai rejoindre mes fils dans le Minnesota », a-t-elle confié en souriant. « Ils m’envoient des photos des États-Unis tous les jours. »
Elle garde tous ses papiers dans un dossier bien rempli et passe volontiers le tout en revue, expliquant l’importance de chaque document. Elle espère commencer une nouvelle vie aux États-Unis d’ici à quelques mois, loin du conflit qui l’a déplacée.
La colocataire de Souad, Hinda Korgis, 67 ans, est l’une des rares à Saint-Joseph à ne pas sembler excitée à l’évocation d’une vie future en Jordanie ou ailleurs.
Tous les enfants d’Hinda Korgis sont partis pour l’Europe il y a quelques années. Son mari et elle avaient néanmoins décidé de rester à Mossoul, deuxième ville d’Irak, laquelle avait récemment encore une petite mais dynamique communauté chrétienne. Puis, le groupe État islamique a frappé et Hinda Korgis est désormais toute seule. Elle nous raconte que son mari n’a pas pu endurer le stress du déplacement et est mort avant que le couple ait pu partir pour la Jordanie.
Aujourd’hui, Hinda Korgis déclare se sentir complètement seule au Moyen-Orient. Elle a quelques cousines toujours en Irak, mais aucune famille proche avec laquelle elle pourrait aller vivre et se sentir chez elle. Tout ce que souhaite Hinda Korgis pour l’instant, c’est rejoindre ses enfants en Suède, mais sa demande de visa a été refusée.
« Ils ont tamponné mon passeport, un grand cachet indiquant le refus, je ne sais pas pourquoi. Je ne comprends pas », a déclaré Hinda Korgis, incapable de poursuivre tandis que ses yeux s’emplissent de larmes.
Elle n’a aucune idée de ce qu’elle va faire désormais. Elle ne sait pas où elle devrait s’installer maintenant qu’elle a quitté l’Irak et qu’elle est seule en Jordanie, peu d’options s’offrant à elle.
Tout comme Hinda Korgis, Samir Attala, 57 ans, ne sait pas vraiment où il ira. Bien qu’il affirme aimer la Jordanie, il continue à déposer des demandes de visas pour l’étranger.
Il n’a pas de famille hors d’Irak, mais il est persuadé que la seule façon d’assurer un avenir à ses enfants est de leur faire quitter le Moyen-Orient, et au plus tôt.
« Je suis prêt à aller dans n’importe quel pays », a-t-il déclaré à MEE avec un grand sourire, frappant ses deux paumes sur la table comme pour dire qu’il est réellement prêt à partir dans l’instant. « Nous irons dans le premier pays qui nous acceptera. »
Bien que Samir Attala n’ait pas encore reçu de réponse positive d’un pays en particulier, il explique qu’il a jeté son dévolu sur l’Australie et qu’il est confiant sur ses chances et celles de sa famille d’obtenir bientôt un visa.
« Un de ces pays aura pitié, j’en suis convaincu », assure-t-il. « Tout le monde connaît le groupe État islamique, tout le monde sait que les chrétiens ont le plus à perdre, quelqu’un va nous aider, comme la Jordanie l’a fait. J’en suis sûr. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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