Maroc : le PJD sort renforcé des élections locales
Près de 15 millions d'électeurs marocains étaient appelés aux urnes vendredi 4 septembre pour élire 31 503 conseillers communaux et 678 représentants de régions. Un double scrutin particulièrement attendu. D'abord, parce qu'il est le premier à se tenir depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, en 2011. Mais surtout, parce que ce scrutin avait valeur de test pour le parti islamique au pouvoir depuis 4 ans, le Parti de la Justice et du Développement (PJD).
De ce point de vue, la victoire du « parti de la lampe », ainsi qu’il est connu au Maroc en référence à son logo, n'en est que plus flamboyante. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur marocain, le PJD a en effet remporté les régionales avec 174 sièges sur 678 (25,6 %), suivi du Parti Authenticité et Modernité (PAM, centre-droit) avec 132 sièges (19,4 %) et de l'Istiqlal (droite conservatrice) avec 119 sièges (17,5 %).
Au niveau des communes, le PJD est arrivé en troisième position avec 15,9 % des sièges. Il reste donc derrière le PAM (21%), qui conserve le plus grand nombre d'élus, et l'Istiqlal (16,2%). Pour autant, le parti d'Adbelilah Benkirane enregistre une percée fulgurante puisqu'il triple le score qu'il a réalisé aux dernières municipales de 2009. Surtout, il pourra diriger sans partage dans les neuf grandes villes du royaume où il a obtenu la majorité absolue, parmi lesquelles, Casablanca, Rabat, Fès et Meknès. Une victoire pour le PJD qui représente une réelle transition vers une plus grande implantation de son élite en régions.
Une victoire dans la continuité
Après 4 ans d'exercice du pouvoir, le PJD devait non seulement défendre son bilan à la tête du gouvernement, mais également proposer de nouvelles réponses aux attentes des citoyens.
« Les dernières actualités très médiatisées concernant les libertés individuelles laissaient présager une possible dégringolade du PJD et de son chef Adbelilah Benkirane. On s'était dit la même chose après la victoire du PAM aux élections des chambres professionnelles en août dernier. De ce point de vue-là, la victoire aux régionales du parti de la lampe peut surprendre », indique à Middle East Eye la journaliste politique Sara Rami.
Radia Tanjaoui, 32 ans, a voté dans la commune de Sidi Belyout. Cadre en finance de marché, elle avait choisi le parti islamiste aux élections législatives de 2011. Un vote qu'elle n'a pas reconduit lors du scrutin de vendredi. « Ils n'ont absolument pas tenu leurs promesses, comme l'instauration du revenu minimum à 3 000 dirham [environ 275 euros]. À l'époque, j'avais voté pour le PJD par dépit et parce qu'ils n'avaient jamais exercé le pouvoir. Je suis vraiment déçue de leur politique et surtout de leur absence de prise de position sur certaines affaires – comme l'affaire des jeunes filles d'Inezgane [poursuivies pour « outrage à la pudeur » parce qu’elles avaient porté des jupes jugées trop courtes] ou celle du lynchage d'un homosexuel à Fès. Ils auraient dû condamner de manière ferme ».
Néanmoins, il n'y a pas eu de vote sanction. Le parti de la lampe a su capitaliser sur son expérience du pouvoir, parvenant à en faire un gage de crédibilité. « Le PJD sort gagnant et renforce son assise électorale. En revanche, les sortants de l'opposition ont été sanctionnés. C'est rare », relève l'analyste Abdelhalek Zyne. « Cela veut dire que l'électeur marocain a validé le ticket gagnant et l'expérience de gouvernance du PJD, tout en désavouant l'opposition. Le PJD jouit désormais d'un capital-confiance renforcé. Il marche dans les traces de l'AKP turc, au temps de son heure de gloire. C'est exactement la même configuration », explique-t-il à Middle East Eye.
Une campagne électorale soigneusement préparée
La campagne électorale pour ces élections locales a démarré le 22 août. Un exercice au cours duquel le Parti de la Justice et du Développement a su tirer son épingle du jeu. D'après Abdelhalek Zyne, le PJD possède un savoir-faire électoral que les autres n'ont pas. « Le PJD est une marque politique qui a mis en œuvre une stratégie nationale. Le parti n'a pas joué sur les têtes de liste et les notables, il n'a pas misé sur des noms. Les candidats ont fait campagne pour le PJD. Du coup, les électeurs n'ont pas voté pour un candidat, que souvent ils ne connaissaient pas, mais pour un parti ».
Le secrétaire général du parti, Adbelilah Benkirane, est un excellent orateur. Il n'a rien cédé sur le terrain de la proximité, se rendant à Casablanca, à Fès, à Meknès, à Agadir ou encore à Tiznit. Partout où il s'est rendu, ses interventions ont été acclamées. Une campagne nationale pour laquelle le parti islamiste a mis en place un véritable scénario. Un seul message devait être martelé par tous ses membres et candidats : celui de la lutte contre la mauvaise gouvernance. Et pour cela, le PJD a concentré l'essentiel de ses attaques contre son principal adversaire lors de ces élections, le PAM.
Cette logique binaire, avec un message simple et un adversaire désigné, semble avoir fonctionné auprès d'électeurs qui ont clairement compris le message. En face, les partis d'opposition ont présenté des programmes jugés trop légers et trop brouillons par l'électorat.
« Aucun parti d'opposition ne fait un travail de fond pour contredire le bilan du PJD, qui n'est pas si bon en réalité. Ils ne défient pas le PJD sur ses résultats, ils ne vont pas au cœur des problématiques. Surtout, ils ne savent pas s'organiser pour communiquer et informer le citoyen, comme le fait le PJD », remarque Ibtissam Bougataya, une responsable juridique de 31 ans qui a voté dans la commune du Maarif à Casablanca.
C'est donc avant tout sur le terrain de la communication que le PJD a battu ses adversaires. « L'opposition semble avoir découvert que Facebook existe à la dernière minute, alors que le PJD est déjà une véritable marque digitale », relève l'analyste Abdelhalek Zyne.
« Le parti est présent sur Internet depuis longtemps. Ses militants sont engagés et connectés. Il dispose d'une communauté de fans impressionnante sur les réseaux sociaux. Tout est ‘’repackagé’’, comme les vidéos, les photos, les différentes interventions. Le PJD converse avec les gens sur ces réseaux. Ce n'est pas le cas des autres partis. L'opposition n'a pas compris ces nouveaux codes de communication qui permettent de toucher l'électeur directement, via leur portable. »
Une opposition dans le déni
Manque de communication, difficulté des électeurs à cerner les programmes. Le PAM, qui disposait pourtant d'un budget équivalent au PJD pour cette campagne (30 millions de dirhams), n’est pas parvenu à se défaire de son image de parti de bureaucrates.
Par ailleurs, le PJD a su opposer des valeurs de morale et de transparence à la vieille garde politique, incarnée notamment par l'Istiqlal, et régulièrement taxée de clientélisme et de corruption.
Quant à l'Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), elle est la grande perdante de ce scrutin, comme l'explique la journaliste politique Sara Rami : « Ces élections ont vu émerger la Fédération de la gauche démocratique [une coalition de plusieurs partis de gauche conduite par le Parti Socialiste Unifié]. Les déçus de la gauche ont désormais une alternative, ce qui représente un risque accru pour une USFP qui a abandonné son propre terrain idéologique. Cependant, il en faudra bien plus pour faire disparaître ce parti historique, aux rouages bien rodés à la politique marocaine. Le parti de la rose peut renaître de ses cendres, s’il renouvelle son élite interne. Une recommandation valable également pour l’Istiqlal ».
L'opposition n'a pas su répondre présente à cet enjeu électoral. Trois secrétaires généraux de parti en ont ainsi fait les frais : Mustapha Bakkoury du PAM, Mohamed Sajjid de l'Union constitutionnelle (maire sortant de Casablanca) et Hamid Chabat, patron de l'Istiqlal. Tous trois ont été battus dans leur propre fief.
Au sein de l'Istiqlal, l'heure des comptes a désormais sonné. Hamid Chabat avait annoncé qu'il démissionnerait de son poste de secrétaire général du parti s'il perdait à Fès. Tiendra-t-il parole ? Il risquerait en s'entêtant de sérieusement fragiliser son parti pour les élections législatives de 2016.
Autant de défaites qui appellent à une autocritique de la part des formations de l'opposition, lesquelles semblent pour l'instant dans le déni. À l'instar du PAM et de l'Istiqlal, qui à l'annonce des résultats se sont empressés d'attaquer la régularité du scrutin, sans reconnaître ni féliciter le vainqueur. Or selon des observateurs indépendants, les quelques irrégularités constatées ne méritent pas de remettre en cause le processus électoral.
De son côté, le PJD, fort de cette deuxième consécration électorale depuis 2011, paraît le mieux placé pour la course aux législatives de l'an prochain. D'ici là, qui aura-t-il face à lui ? Les partis de l'opposition doivent dès aujourd'hui organiser leur réponse.
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