Migrants en Algérie : la fin d’un tabou, pas des problèmes
ALGER – Le drame de Marie-Simone, migrante camerounaise, violée par huit personnes à Oran, capitale de l’ouest algérien, en octobre dernier, a fait le tour des médias et des réseaux sociaux. Rejetée de plusieurs centres de soins et menacée par un de ses assaillants après avoir porté plainte, la jeune femme a, de nouveau, été agressée la semaine dernière.
« Du coup, elle ne veut plus sortir de chez elle et donc, ne se rend plus chez son psy », témoigne Leïla Beratto, correspondante de RFI à Middle East Eye. Depuis deux ans, avec un photographe, elle parcoure l’Algérie pour recueillir des témoignages de migrants, base d’un projet documentaire qu’ils partagent sur le compte Instagram « terminusalgérie ».
Les loyers des marchands de sommeil qui cèdent des garages sans fenêtre à 25 000 DA (230 dollars) par mois, les règlements de compte à coups de couteau, les déboires des femmes que les anciens essaient de prostituer : à force de partager leur quotidien souvent sordide, les deux journalistes ont gagné la confiance des Camerounais, Ivoiriens, Nigériens, etc… qui se sont établis, provisoirement ou définitivement, en Algérie.
« On n’imagine pas ce qu’ils vivent, en particulier les femmes. Le mois dernier, quand Maggie, une migrante camerounaise violée elle aussi à Oran, est allée porter plainte à la police, elle s’est retrouvée incarcérée pour immigration illégale ! », raconte encore Leïla.
Alors que ce 18 décembre est célébrée la journée internationale des migrants, plusieurs associations et ONG (Médecins du monde, Caritas Algérie, la Ligue algérienne de Défense des droits de l’homme, les collectifs des migrants d’Oran et de Tamanrasset, l’association Green Tea, etc…) lancent une « plateforme migration Algérie », présentée comme un espace d’échange, de réflexion et d’action en faveur de l’accès aux droits des migrants. Concrètement, ce nouveau collectif estime que l’Algérie a encore beaucoup à faire sur la question de la protection juridique des victimes, la lutte contre les discriminations, la protection contre l’emploi précaire et l’exploitation, ou encore la mise en place d’une loi nationale sur l’asile.
Expulsions suspendues
« Surtout si on tient compte de ses engagement internationaux », rappelle à Middle East Eye Imène Benchaouche, coordinatrice du comité de coordination de la plateforme chargée de plaidoyer et d’accès aux droits pour Médecins du monde (MDM). « L’Algérie a ratifié en 2004 la Convention internationale de protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui ne fait aucune différence entre les migrants en situation régulière ou irrégulière. Elle a également ratifié la Convention de Genève pour les demandeurs d’asile et les réfugiés alors que dans les faits, l’Algérie n’octroie pas de statut de réfugié, c’est le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU qui s’en charge. »
Pour Médecins du monde, qui a mis en place un programme spécial sur la migration en 2011, cette initiative de plateforme montre d’abord que « le sujet n’est plus tabou ». Même s’il est encore très difficile d’obtenir des statistiques fiables sur les populations. Selon une enquête de MDM, il y avait dans les villes du nord du pays en 2012 entre 8 000 et 10 000 migrants subsahariens. Essentiellement des Maliens et des Nigériens dont les migrations légales, saisonnières (pendant la saison sèche, d’octobre à juin, les Nigériens remontent vers l’Algérie pour gagner de l’argent puis rentrent au pays cultiver leurs terres au début de l’été) font partie des traditions.
« Les autorités ayant décidé en 2012 de suspendre les expulsions avec la guerre au nord du Mali et le chaos en Libye, et en raison de la fermeture de la frontière entre les deux pays, nous pensons qu’ils sont sûrement plus nombreux », précise-t-on à l’ONG.
À peine plus nombreux, les migrants sont en tout cas plus visibles. « Les Nigériens qui mendient dans la rue, avec leurs enfants, ont quelque part servi la cause des migrants. On les voit, on ne peut plus faire comme s’ils n’existaient pas », explique un militant associatif à MEE. L’actualité se charge aussi, régulièrement, de rappeler leur existence.
Pas de camp en Algérie
Le 24 novembre dernier, à Ouargla, une étape sur la route de la migration entre Tamanrasset et le nord de l’Algérie, un incendie dans un « camp » de migrants faisait 18 morts et 50 blessés. Ce camp était en fait un hangar où les migrants avaient été placés pour éviter leur présence dans la rue, avant la visite d’Abdelmalek Sellal, le Premier ministre, pendant la campagne présidentielle de 2014. « Avec l’aide d’un riverain qui avait donné du ciment, les migrants avaient pu construire des blocs de douche », se souvient Leïla Beratto. « Trois pour 600 personnes ! La seule chose que les autorités ont apportée, c’est une citerne d’eau et deux bennes pour les ordures qui sont ramassées… une fois par semaine. »
Officiellement, l’Algérie refuse l’ouverture de camps pour les migrants. En 2004, le chef de la diplomatie de l’époque, Abdelaziz Belkhadem, s’était déclaré « contre » la proposition de l’Europe d’ouvrir des centres de transit au Maghreb. Lors de la visite de Federica Mogherini, la représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, en septembre dernier à Alger, l’actuel ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a rappelé la politique d’Alger depuis Boumediene, celle de l’aide au développement dans les pays sources de migration. « Il faut donner de l’espoir aux gens, donner du travail, veiller à la dignité des gens et travailler sur le développement, le règlement des problèmes, politiques, de gouvernance et aller vers des mesures qui s’inscrivent dans le long terme », a-t-il insisté.
« En Algérie, on ne parle pas de camps, mais de ‘’centres d’accueil’’ », ironise Faten Hayed. Cette journaliste algérienne qui a créé une page facebook consacrée à l’actualité des migrants, « Bienvenue chez moi », précise à MEE que ces centres, gérés par le Croissant-Rouge, donc par les autorités, « ressemblent davantage à des forteresses impénétrables ».
« On sait qu’il y en a un du côté de Tin Zaouatine [à quelque 500 km au sud de Tamanrasset] et un à Sidi Fredj, à l’ouest d’Alger, où sont aussi canalisés les réfugiés syriens. » En septembre dernier, ces derniers étaient officiellement 24 000 selon les déclarations de la ministre de la Solidarité Mounia Meslem.
Mais la jeune femme a aussi relevé une « prise de conscience générale ». « Aujourd’hui, les députés, notamment islamistes, en parlent comme d’une réalité sociale. On a vu aussi des associations musulmanes et chrétiennes (Caritas) organiser des campagnes de solidarité au profit des migrants à l’approche du Ramadan ou de Noël. Dans certains quartiers d’Alger, des imams essaient même de sensibiliser les habitants lors des halakates [groupes de parole] », énumère-t-elle.
« Je me souviens de deux migrants chassés de la douche publique dans un quartier ouest de la capitale. Le vendredi d’après, l’imam a pris leur défense en rappelant qu’en tant que musulman, il était de notre devoir à tous de protéger les plus faibles. Enfin, il y a aussi des femmes au foyer, de milieu aisé, dans les quartiers chics d’Alger, qui s’organisent en collectif pour des actions de solidarité ponctuelles comme des dons de vêtements ou de nourriture. »
Enfants scolarisés
Depuis une dizaine d’années, les migrants le disent eux-mêmes : la situation s’est améliorée. « Maintenant, si tu as un passeport malien, tu peux louer un appartement », confie Hamady à MEE. « En Algérie, il est aussi plus facile de gagner sa vie qu’au Maroc. On trouve facilement du travail sur les chantiers. Et puis malgré tout, la police nous embête beaucoup moins. »
Depuis la rentrée 2015, des enfants de migrants ont même pu être scolarisés dans les écoles publiques. « C’est encore timide », relève-t-on chez Médecins du monde. « Seuls les migrants passant par des associations y ont accès, mais tout de même, cela dénote d’un signe d’ouverture. »
Cela pourrait contribuer à renforcer le statut de l’Algérie comme « pays d’accueil ». « Nos enquêtes ont révélé que plus de la moitié des migrants en Algérie y résident », explique-t-on chez Médecins du monde. Même si au départ ce n’est pas leur intention, ils trouvent un travail et se sédentarisent. »
Les autorités le savent et s’en préoccupent. Depuis 2013, un comité de coordination intersectorielle chargé de l’élaboration du profil migratoire de l’Algérie (sous l’égide des Affaires étrangères), collecte des données et statistiques sur les migrants. Elles organisent aussi depuis un an, en collaboration avec Niamey, des opérations de rapatriement des migrants nigériens, encadrées par le Croissant-rouge. En une année, ils sont 6 568 Nigériens à avoir repris le chemin de leur pays, contre leur gré.
Ce que l’histoire officielle ne dit pas, c’est qu’ils sont aussi très nombreux à être revenus.
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