Interdiction de services Skype, Viber et WhatsApp au Maroc : une décision mal accueillie
Les Marocains et les expatriés se sont révoltés contre le blocage des appels par voix sur IP (VoIP) sur les réseaux sociaux et ont appelé au boycott des opérateurs de télécommunications du pays d’Afrique du Nord qui ont appliqué cette interdiction.
Les appels à l’intervention du roi du Maroc se font désormais de plus en plus bruyants pour que ce dernier fasse pression sur les sociétés afin que ces dernières rétablissent les services d’appel via Internet.
Maroc Telecom, Méditel et inwi, les trois fournisseurs de services de télécommunications au Maroc, ont commencé l’année 2016 en interdisant les appels mobiles gratuits via Internet effectués par le biais de connexions de téléphonie mobile.
Skype, Viber, Tango, WhatsApp et Facebook Messenger font partie des applications dont le service d’appels VoIP a été bloqué par les opérateurs télécoms sur les connexions 3G et 4G en janvier et sur les connexions ADSL en février.
L’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), à l’origine de l’interdiction, a justifié sa décision en déclarant qu’aucun des services fournissant des appels par voix sur IP (VoIP) ou d’autres « appels Internet gratuits » ne disposait des licences requises.
Cependant, la mesure prise par l’ANRT a été vue comme un geste visant à augmenter les revenus générés par les opérateurs sur les appels internationaux.
Des protestations sur les réseaux sociaux
Suite à l’interdiction, plusieurs milliers de Marocains ont pris part à une campagne impitoyable sur les réseaux sociaux pour protester contre celle-ci, tandis que des pétitions en ligne réclament le rétablissement des services de VoIP.
Les trois opérateurs télécoms ont perdu plus de 100 000 mentions « J’aime » dans les 48 heures qui ont suivi le lancement de la campagne #OPEUnlike par Marouane Lamharzi Alaoui sur Facebook.
Alaoui a créé une page web qui permet de suivre en temps réel le nombre de personnes qui se sont désabonnées de la page Facebook des trois opérateurs. Toutefois, l’impact de la campagne #OPEUnlike sera difficile à quantifier dans la mesure où les entreprises de télécommunications peuvent à tout moment acheter des mentions « J’aime » pour minimiser les pertes récentes.
Si les pertes de mentions « J’aime » peuvent sembler insignifiantes dans le monde virtuel, celles-ci ont cependant une importance énorme en termes d’image et de responsabilité sociale envers les clients mécontents qui ont inondé les pages des opérateurs télécoms de commentaires négatifs.
Les messages postés le plus fréquemment sur les pages Facebook officielles des opérateurs demandent à tous les Marocains de retirer leur mention « J’aime » jusqu’à ce que le nombre de « J’aime » passe sous la barre du million en réponse à l’interdiction des appels VoIP.
L’ANRT a « excédé ses pouvoirs »
L’interdiction est illégale pour certains, qui soutiennent que l’ANRT a le pouvoir de « proposer » des lois, mais pas de les promulguer.
« Dans sa décision de 2004 qui a soumis la VoIP à une licence préalable, l’ANRT a voulu appliquer un régime juridique et a donc excédé ses pouvoirs. La décision est donc attaquable devant le tribunal administratif de Rabat par la voie d’un recours en annulation pour abus de pouvoir », a écrit Alaoui.
Sur son site Internet, l’ANRT précise qu’elle est chargée de contribuer « à la proposition du cadre juridique régissant le secteur des télécommunications à travers la préparation de projets de lois, de décrets et d’arrêtés ministériels ». L’agence est également en charge de « la conduite et [de la] mise en œuvre des procédures d’attribution et d’instruction des licences par voie d’appel à la concurrence ».
L’ANRT souligne qu’en vertu de l’article 1 de la décision ANRT/DG/N° 04-04 relative au statut de la téléphonie sur IP, « l’exploitation commerciale [...] du service de téléphonie sur IP ainsi que le transport pour tiers du trafic ne peuvent se faire que par opérateurs télécoms détenteurs d’une licence ».
L’agence rappelle que toute exploitation commerciale est interdite et punie conformément aux dispositions de l’article 83 de la loi 24-96 relative à la poste et aux télécommunications.
Alaa-eddine Kaddouri, expert en télécommunications, a indiqué à Atlantic Radio que les fournisseurs de services de VoIP ne font pas d’exploitation commerciale des lignes téléphoniques qui sont déjà établies.
« Quand vous surfez sur le web [et] quand vous regardez des vidéos, vous le faites sur la ligne Internet que vous payez déjà. Donc l’exploitation commerciale [est faite] par l’opérateur [de télécommunications] », a-t-il expliqué, précisant que la justification de l’exploitation commerciale par les fournisseurs de services VoIP ne tient pas dans la mesure où Skype et les autres applications ne sont pas payées pour les appels via Internet.
Le boycott des Maroc Web Awards, sponsorisés par inwi
Les Marocains ne se sont pas limités à des protestations en ligne. Certains sont allés plus loin en boycottant les célèbres « Maroc Web Awards », organisés par inwi.
La semaine dernière, les organisateurs des Maroc Web Awards (MWA) ont annoncé qu’inwi, sponsor principal et partenaire officiel de l’événement, ne sponsoriserait pas la neuvième édition.
La décision de l’opérateur télécom est survenue quelques jours après le retrait d’un certain nombre de candidats aux MWA en signe de protestation contre le blocage des services de VoIP.
Marocopédia, finaliste dans la catégorie « Application web de l’année », s’est retiré de la compétition de la neuvième édition de Maroc Web Awards.
« Le fondement de base de Marocopédia est la création d’un réseau de partage et de communication autour de la culture marocaine. Marocopédia et ses membres utilisent le VoIP pour leurs travaux, et surtout pour communiquer avec les acteurs socio-culturels à l’intérieur du Maroc et les Marocains résidant à l’étranger », a expliqué Marocopédia, qui a qualifié l’interdiction de la VoIP de « censure ».
« Notre décision est dirigée contre le sponsor officiel, l’un des opérateurs téléphoniques qui a également la mainmise sur l’interdiction du VoIP », a ajouté l’encyclopédie solidaire.
Certains candidats et membres du jury ont également annoncé leur retrait de l’événement.
Quelques minutes après l’annonce du retrait d’inwi, les internautes ont proposé de lancer une campagne de crowdfunding pour financer l’événement et se sont félicités de la décision du sponsor des MWA d’organiser l’événement sans son partenaire officiel. Certains d’entre eux ont même appelé les candidats qui se sont retirés à réintégrer la compétition en signe de soutien au comité organisateur de l’événement.
Le roi Mohammed VI appelé à intervenir
De nombreux enfants d’expatriés vivant au Maroc et de Marocains résidant à l’étranger ont lancé des appels émouvants à l’intention du roi Mohammed VI pour que ce dernier rétablisse les appels par VoIP, afin qu’ils puissent communiquer avec leurs parents à l’étranger et dans le royaume d’Afrique du Nord. Leurs lettres continuent d’être mises en ligne sur la page Facebook « Stop the VOIP ban in Morocco ».
Des pétitions ont également été lancées sur Internet, dont une lettre de protestation à l’attention du président de l’ANRT qui a déjà rassemblé près de 10 000 signatures.
Alors que les pétitions, les appels et les boycotts sont les seules armes pour lutter contre l’interdiction des services de VoIP, les Marocains pourraient tôt ou tard perdre patience face à un oligopole motivé par le profit et soutenu par l’ANRT.
Une question à un million de dollars se pose encore : le roi interviendra-t-il pour lever l’interdiction ?
- Saad Guerraoui est rédacteur en chef de Middle East Online et auteur régulier du journal Arab Weekly. Il a étudié à l’université de Newport (campus de Londres) et est titulaire d’un doctorat en administration des entreprises. Il est déjà intervenu publiquement sur plusieurs chaînes de télévision par satellite en tant qu’analyste.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les icônes des applications Facebook et WhatsApp sont affichées sur un smartphone, le 20 février 2014, à Rome (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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