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Le Maroc face à des défis croissants avant les élections

Quatre ans après les dernières élections législatives, le gouvernement marocain doit encore réformer des secteurs cruciaux

À quelques mois des élections législatives au Maroc, le gouvernement dirigé par les islamistes n’a pas été en mesure de réformer certains secteurs cruciaux tels que la santé, l’éducation et les retraites, et ce, malgré la mise en œuvre de réformes radicales au cours des quatre dernières années comme la libéralisation des prix du carburant et la refonte du fonds d’indemnisation et des prestations sociales pour les chômeurs.

Le fonds d’indemnisation subventionne des produits pétroliers et certains produits de première nécessité tels que le sucre et la farine afin de protéger le pouvoir d’achat des Marocains et l’économie nationale de la volatilité des prix sur le marché international. Il était urgent de réformer ce fonds compte tenu que le budget de ces subventions a atteint 6,1 % du PIB du pays en 2011, égalant presque le budget pour l’investissement (6,2 % du PIB) pour la même année.

La réforme du fonds d’indemnisation a représenté certainement l’une des réformes les plus marquantes du gouvernement dirigé par les islamistes et une réforme qui restera dans l’histoire, aucun des gouvernements précédents n’ayant osé s’y atteler en raison de son caractère sensible. L’impact de cette réforme sur l’économie marocaine a été irréversible. Sur le plan politique, la réforme du fonds d’indemnisation a constitué une carte politique dangereuse à jouer dans le climat économique actuel.

Le gouvernement a ensuite entrepris une suspension progressive des subventions, notamment sur les produits pétroliers, malgré les critiques de l’opposition. L’argent économisé a été réaffecté à l’aide sociale pour les couches les plus défavorisées de la société et à la réduction du déficit public, aidant le gouvernement à alléger le budget de l’État. Les populations riches et les entreprises sont maintenant contraintes de payer le juste prix des produits subventionnés qui leur avaient auparavant permis d’économiser des millions de dirhams.

Les mesures de non-indemnisation entreprises par le gouvernement ont conduit à une réduction significative du poids des subventions sur le budget de l’État, le ramenant à son niveau d’avant 2007.

Cette décision fait partie d’une politique de libéralisation des prix exigée par le Fonds monétaire international, laquelle a déjà été appliquée à des produits tels que le lait, le beurre et le diesel.

Libéralisation des prix du carburant

Le gouvernement a pris une décision audacieuse il y a un an en libéralisant les prix du carburant pour alléger d’un fardeau énorme les finances publiques du pays après des décennies de prix subventionnés.

Depuis le 1er décembre, les sociétés pétrolières fixent leurs propres prix, mais dans la limite fixée par le gouvernement. Ce plafond varie également en fonction de l’évolution du marché et des taux de change. Cette libéralisation des prix est la dernière étape d’une solution à un problème qui a étouffé l’économie marocaine.

La libéralisation du marché des carburants est une étape vers la réforme du fonds d’indemnisation puisque davantage d’argent peut être utilisé afin de parvenir à davantage d’équité sociale. Il permettra d’alléger le fardeau fiscal des subventions gouvernementales et de diriger cette manne vers les secteurs sociaux, notamment la santé et l’éducation.

Au total, des dépenses publiques de 21 milliards de dirhams (environ 1,9 milliard d’euros) ont été nécessaires pour la subvention du diesel depuis l’ascension du gouvernement dirigée par les islamistes. En 2014, celle-ci n’a coûté que 8,5 milliards de dirhams (soit environ 781 millions d’euros).

Le fait que le gouvernement n’indemnise plus les hydrocarbures aura l’effet inverse que prévu si les prix du pétrole augmentent de manière significative, comme on l’a vu entre 2008 et mi-2014.

Allocations chômage

Depuis janvier 2015, le gouvernement marocain accorde aux demandeurs d’emploi une allocation chômage tant attendue. Les chômeurs doivent remplir plusieurs critères afin de recevoir une prestation mensuelle qui représente 70 % du salaire mensuel perçu au cours des 36 mois précédant la perte d’emploi : ils doivent justifier de 780 jours de cotisation au cours des trois années précédant la perte d’emploi (dont 260 jours sur la dernière année et avoir perdu leur emploi involontairement).

Cependant, la loi précise que le plafond ne doit pas dépasser le salaire minimum. Ainsi, l’indemnisation ne doit pas dépasser 2 600 dirhams (environ 240 euros). En outre, plus de 580 000 chômeurs ne bénéficieront pas de cette allocation parce qu’ils n’ont jamais cotisé à la sécurité sociale. Ce chiffre pourrait être bien plus élevé puisque l’enquête menée par le Haut-Commissariat au plan note que seulement 27,8 % des chômeurs se sont retrouvés dans cette situation suite à un licenciement par leur employeur ou à la cessation de l’activité de l’entreprise. La première condition pour avoir droit à l’allocation chômage est précisément d’avoir perdu son emploi involontairement, ce qui donne un pourcentage de demandeurs d’allocation assez faible.

RAMED

Le Régime d’assistance médicale aux populations indigentes (RAMED) a maintenant atteint plus de son objectif. Le nombre de personnes inscrites au RAMED s’élève à plus de 9 millions de personnes, soit plus de 3,4 millions de foyers à la fin novembre 2015, couvrant 113 % de la population cible trois ans après sa généralisation.

Cependant, la couverture est relativement inégale, dépassant 100 % dans dix régions et étant insuffisante dans les deux autres.

Les zones rurales représentent 48 % des personnes inscrites et la répartition des bénéficiaires par catégorie révèle une prééminence de personnes vivant dans la pauvreté avec un taux égal à 86 %, selon le dernier rapport publié par l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM).

Allocation pour les veuves

En octobre 2014, le gouvernement a adopté un projet de décret fixant les conditions d’éligibilité pour les veuves avec enfants souhaitant obtenir une allocation mensuelle.

Ce projet de décret prévoit d’octroyer une aide à 300 000 veuves pour un montant variant de 350 dirhams à 1 050 dirhams (entre 32 et 96 euros) par mois pour les personnes ayant jusqu’à trois enfants, sans possibilité de combiner ce soutien avec d’autres aides de toute nature.

Cependant, les orphelins pris en charge par leurs mères doivent être scolarisés jusqu’à l’âge de 21 ans. En ce qui concerne les enfants ayant des besoins spéciaux, il n’y a aucune limite d’âge pour leur allocation.

Cette allocation ne suffit pas à subvenir aux besoins des veuves issues de milieux relativement pauvres, contraignant des orphelins à abandonner l’école afin de joindre les deux bouts.

Qu’est-ce qui doit être réformé ?

Des réformes importantes doivent encore être menées en particulier dans les secteurs de la santé, de l’éducation et des retraites. L’opposition a critiqué le gouvernement de coalition pour sa « lenteur » à répondre aux préoccupations de ses citoyens alors que le coût de la vie flambe et que les salaires stagnent.

Fin 2013, le roi Mohammed VI a vivement critiqué le gouvernement qui n’en fait pas assez sur l’éducation, le tenant responsable du déclin de ce secteur vital.

Éducation

Le secteur de l’éducation a désespérément besoin d’une refonte majeure : les écoles publiques sont en train de perdre du terrain face à l’enseignement privé en raison de la baisse de qualité.

De plus en plus de Marocains mettent leurs enfants dans des écoles privées parce qu’ils ont perdu confiance dans le système public qui est paralysé par des classes surchargées et un enseignement et des infrastructures en-dessous de la normale.

Le ministre de l’Éducation, Rachid Belmokhtar, a déclaré au début de l’année 2015 que la priorité serait d’assurer la maîtrise des compétences de base grâce à l’introduction d’un nouveau programme pour les quatre premières années de l’école primaire ; celui-ci est totalement centré sur la lecture, l’écriture, l’arithmétique et l’éveil intellectuel.

Cette révolution éducative donnera la priorité à la formation et l’encadrement des enseignants. Les directeurs d’école seront également formés afin de parvenir à plus de professionnalisme dans les institutions.

Des échecs et des lacunes existent au niveau de la gouvernance, des ressources humaines, de l’intégrité et du rôle de l’informatique dans le système éducatif. Le Maroc a connu une série de réformes de l’éducation depuis des décennies sans construire un modèle distinctif capable de renforcer ce secteur.

Dans un débat houleux sur la chaîne de télévision marocaine 2M en novembre dernier, l’opposition a réprimandé le gouvernement pour ne pas être parvenu à réformer les systèmes d’éducation et de santé.

« La vie des Marocains a-t-elle changé depuis que vous avez accédé au pouvoir ? À l’hôpital, la prise en charge des citoyens est-elle meilleure ? Lorsque ces mêmes citoyens envoient leurs enfants à l’école publique, sont-ils satisfaits ? » a demandé Mohamed Sajid, secrétaire général de l’Union constitutionnelle.

Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Mustapha el-Khalfi a répondu que le gouvernement avait hérité d’un énorme déficit qui a presque conduit à la faillite des finances publiques du Maroc.

Soins de santé

Le système de santé requiert toujours urgemment une réforme, malgré les progrès notables en ce qui concerne l’extension de la couverture de santé et une baisse de la mortalité infantile et juvénile. Il existe toujours des disparités d’une région à l’autre en matière de santé et un manque de qualité des soins, en plus des problèmes entre le ministère de la Santé et les médecins résidents et les internes en ce qui concerne la rémunération et les conditions de travail.

Le ministre de la Santé el-Houssaine Louardi a promis de consacrer l’année 2016 aux ressources humaines et à la révision des salaires des salariés. Il a déclaré que ces efforts seront axés sur des stages et la formation continue ainsi que sur les actions sociales telles que l’acquisition de logements et l’amélioration des conditions de travail.

Le ministère de la Santé a réussi à développer un nouveau programme de restructuration des hôpitaux régionaux et provinciaux qui entrera en vigueur à partir de 2016 dans le cadre de ses réformes, avec un budget annuel d’un milliard de dirhams (près de 91,9 millions d’euros) sur cinq ans.

Caisse de retraite

La caisse de retraite est l’un des dossiers les plus difficiles dont le gouvernement a hérité de son prédécesseur. Le Premier ministre Abdelilah Benkirane a proposé le mois dernier au Parlement un projet de loi de réforme des retraites qui va augmenter progressivement l’âge de départ à la retraite malgré la forte opposition des syndicats.

L’idée est de le porter à 61 ans à compter du 1er janvier 2017, puis à 62 ans à compter du 1er janvier 2018 et 63 ans à compter du 1er janvier 2019.

Benkirane a déclaré que cette réforme ne peut pas attendre compte tenu de la situation critique de la caisse de retraite du pays dont le déficit a atteint 3 milliards en 2015 et devrait doubler en 2016.

Le projet de loi, qui a été adopté par le gouvernement le 7 janvier, a provoqué un tollé parmi les syndicats marocains qui ont organisé des manifestations le 12 janvier devant le parlement.

Le Premier ministre a prévenu que le niveau minimum de réserves financières requises par la loi sera épuisé et que les réserves financières disponibles ne seront pas en mesure de couvrir pendant plus de deux ans les droits des retraités, à moins qu’une action sérieuse soit entreprise concernant la réforme des retraites.

Benkirane a expliqué que les principales causes qui ont conduit à la situation actuelle des caisses de retraite sont le déséquilibre de la tarification appliquée (sachant que le système de retraite paie 2 dirhams pour 1 dirham de cotisation prélevé) et l’augmentation de la période d’allocation de la retraite de 17,8 ans en 1980 à 21 ans, en parallèle à une baisse de la durée de cotisation en raison d’un recrutement plus tardif, passé de 24 à 27 ans pendant la même période.

Le facteur démographique est aussi en cause. Le Premier ministre a expliqué qu’en 2007 il y avait quatre cotisants pour un retraité alors qu’il n’y en a plus que deux en 2016.

Si le Parlement approuve le projet de réforme avant les élections législatives de septembre, le gouvernement résoudra l’un des problèmes les plus impopulaires qui pourrait décider de sa foi en l’avenir.

Plusieurs questions devraient être soulevées au cours des prochains mois, notamment : le gouvernement dirigé par les islamistes abordera-t-il courageusement les réformes complexes qui doivent être menées au détriment de sa popularité ? Les partis d’opposition aideront-ils le gouvernement à les atteindre ou vont-ils être tentés de lui mettre des bâtons dans les roues pour marquer des gains politiques en vue des élections à venir ?

Le niveau de participation des Marocains aux élections législatives de 2016 sera certainement la réponse aux réalisations du gouvernement tout au long de sa gouvernance, en particulier alors que les Marocains ont débuté la nouvelle année avec une hausse des prix de l’électricité, des billets de train et du sucre.

- Saad Guerraoui est rédacteur en chef de Middle East Online et un auteur régulier du journal Arab Weekly. Il a étudié à l’université de Newport (campus de Londres) et est titulaire d’un doctorat en administration des entreprises. Il est déjà intervenu publiquement sur plusieurs chaînes de télévision par satellite en tant qu’analyste.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Photo : le nouveau siège de Maroc Telecom photographié le 17 juin 2013 à Rabat (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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