Malgré la brève ouverture du poste-frontière, les Gazaouis atteints de cancer restent captifs
POSTE-FRONTIÈRE DE RAFAH, Territoires palestiniens occupés – Tenant vaguement ses papiers dans ses mains, Wafa Abunukira reste tranquillement assise avec son mari au poste-frontière. Ces 85 derniers jours, cette mère d’une cinquantaine d’années attendait un miracle, ou que s’ouvrent les portes.
« J’ai rempli une demande pour quitter [Gaza] par Israël, mais on ne nous a jamais accordé l’autorisation », a rapporté à Middle East Eye Wafa Abunukira, qui souffre d’un cancer et dont la vie dépend de traitements médicaux indisponibles dans les hôpitaux mal équipés de l’enclave palestinienne soumise au blocus.
Aujourd’hui, sa seule option est de quitter Gaza via le poste-frontière de Rafah avec l’Égypte. Lorsque les autorités égyptiennes ont annoncé que la frontière serait ouverte ce mercredi et ce jeudi, Wafa Abunukira était au nombre de ceux qui attendaient patiemment dès l’aube derrière les portes fermées.
Cependant, elle n’est pas la seule à souhaiter partir et seul un nombre restreint – généralement quelques centaines – de personnes sont autorisées à passer en Égypte chaque jour, même pendant les rares périodes où la frontière est ouverte. En tant que patiente atteinte d’un cancer, on pourrait penser qu’elle serait prioritaire, mais il n’en est rien.
Wafa fait partie des plus de 30 000 Palestiniens qui sont inscrits auprès du ministère de l’Intérieur pour voyager, la plupart sont des malades, des étudiants ou des titulaires de permis de séjour dans d’autres pays, selon Iyad al-Buzum, porte-parole de facto du ministère de l’Intérieur de Gaza.
« À trois reprises, j’ai obtenu un rendez-vous à l’hôpital en Israël et, à chaque fois, j’ai attendu une autorisation de sortie, mais rien n’est arrivé », a-t-elle raconté, tenant un document montrant un rendez-vous pour son traitement anticancéreux par radiothérapie à l’hôpital Augusta Victoria de Jérusalem-Est occupée.
Mercredi, des milliers de personnes se sont rendues à Rafah avec l’intention de quitter Gaza alors que les portes s’ouvraient pour la première fois en 85 jours, la plus longue période de fermeture continue depuis 2007 selon le BCAH, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies.
« On pourrait penser que toutes les nations reconnaissent la nécessité de lutter contre le cancer, mais pas pour les malades de Gaza », a déclaré le mari de Wafa, Oussama.
« Il est catastrophique qu’Israël ait fermé la frontière aux cas humanitaires, mais c’est une plus grande catastrophe encore lorsque l’Égypte le fait également », a-t-il ajouté, inspectant la scène de la misère humaine à travers des lunettes maculées de poussière soulevée par des milliers de personnes foulant le sol.
Il n’a ni la force ni les relations pour assurer à sa femme une place dans ce terminal où ceux assez chanceux pour pouvoir entrer attendent de poursuivre leur voyage.
« Tout le monde est prioritaire ici ! », lui a répondu un policier alors qu’il tentait d’expliquer l’urgence de la situation de sa femme.
Ici, tout le monde a aussi une histoire à raconter à propos de vies bouleversées par le blocus. Nadine Mohsen (24 ans) a expliqué à MEE qu’elle était fiancée à un Palestinien vivant au Qatar, mais avait attendu plus d’un an avant de pouvoir se marier et s’installer à Doha.
« Pourquoi nous traitent-ils de cette façon ? Nous ne sommes ni le Hamas ni le Fatah », a-t-elle demandé, en se référant aux deux principaux groupes politiques palestiniens.
Nadine était accompagnée de sa mère, qui n’a pas de visa pour entrer en Égypte. « Existe-t-il un endroit au monde où on reste coincé sans pouvoir partir ? » a-t-elle demandé.
Une autre mère (62 ans) a répondu avec un accent égyptien : « Oui, ici et mon gouvernement est celui qui impose le blocus. »
Cette femme a refusé de donner son nom, mais a confirmé être égyptienne. Elle a indiqué être mariée à un Palestinien et devoir faire la navette régulièrement pour prendre soin de sa famille des deux côtés de la frontière.
Alors que le trajet en voiture prend seulement 40 minutes environ, elle peut parfois passer des mois piégée d’un côté ou de l’autre de la frontière.
« J’implore mon président Sissi de ne plus permettre ces mauvais traitements et cette humiliation. Ouvrez maintenant les portes de Rafah puisque nous partageons le sang et le pain des Palestiniens », a-t-elle déclaré.
Tandis qu’elle parlait, la première ambulance a été autorisée à passer par la première porte. De toute évidence, l’état des personnes à l’intérieur était plus critique que celles atteintes d’un cancer.
Il y a encore plusieurs portes à passer et trois bus se dressent devant l’ambulance, en attente depuis 85 jours car ils étaient censés traverser mais n’y étaient pas parvenus avant la fermeture des portes.
Dans un communiqué publié mardi, les autorités égyptiennes ont annoncé que la décision d’ouvrir la frontière avait été prise à la suite d’une réunion lundi entre le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.
Cependant, Ashraf al-Qudra, un responsable du ministère de la Santé à Gaza, a exhorté les autorités égyptiennes à étendre l’ouverture du poste-frontière, précisant que deux jours étaient à peine suffisants pour aider les habitants de Gaza devant se déplacer après une si longue période de fermeture.
Pendant ce temps, Wafa Abunukira tendait ses papiers à travers la clôture de barbelés. Mais il est vite devenu clair que même le fait d’être atteinte d’un cancer et en route pour sa radiothérapie ne serait pas suffisant pour assurer son passage.
Ce jeudi pourrait être sa dernière chance de sortir de Gaza étant donné qu’il peut se passer des mois avant que le poste-frontière (qui a été fermé pendant 344 jours en 2015 et n’a été ouvert que pendant 42 jours depuis octobre 2014) ouvre à nouveau.
Pourtant, la porte de Rafah est aussi un lieu de contradictions. En plus de ceux qui essaient de forcer le passage pour en sortir, il y a aussi ceux qui sont désireux de revenir dans la bande de Gaza et des milliers de personnes qui attendent de les accueillir chez eux.
Abu Yousef a confié à MEE qu’il avait passé huit mois à l’étranger après être parti pour recevoir un traitement pour son insuffisance rénale alors qu’il avait prévu d’être absent trois semaines.
« Nous ne sommes à l’aise ni chez nous, ni à l’étranger. Mais telle est la définition de l’apatridie et ce que signifie être Palestinien », a déclaré ce quinquagénaire tandis qu’il était étreint par ses proches.
Au petit matin, avant l’aube, Wafa Abunukira a embrassé ses filles dans l’espoir que ce serait le jour où elle partirait, mais il est plus que probable qu’elle les embrasse à nouveau ce soir.
« C’est le prix à payer quand on est Palestinien, c’est le prix que ma femme paie », a déclaré son mari en se mordant la lèvre inférieure.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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