La souffrance oubliée de la minorité bahá’ie au Yémen
« Vous êtes les fruits d’un seul arbre, les feuilles d’une même branche et les gouttes d’eau d’une même mer. » (Extrait du Kitāb-i Aqdas)
J’ai ouvert mon navigateur et j’ai commencé à faire des recherches sur Google car je voulais en apprendre plus sur la foi bahá’ie. Tout au long de ma vie, je n’ai rencontré que trois femmes bahá’ies. La première d’entre elles était amie avec une membre de ma famille : elle et ses proches avaient fui le racisme dominant en Iran dans les années 1990 et trouvé refuge au Yémen. À l’époque, j’étais trop jeune et trop naïve, et tout ce que je savais de l’amie de cette parente était que cette femme bahá’ie était une gentille personne qui avait une autre religion que la nôtre.
Les années passèrent et je fis la connaissance d’une autre bahá’ie, une femme dotée d’une douceur angélique qui avait vécu au Yémen pendant environ quinze ans. Elle et son mari avaient quitté le Yémen à cause de la dernière guerre, et, lorsqu’elle apprit que j’allais visiter Dubaï, elle voulut me voir. Nous avons parlé du Yémen, et les larmes qui brillaient dans ses yeux m’ont fait comprendre à quel point elle aimait ce pays.
Elle m’a aussi parlé de Hamed Kamal Haidara, un homme qui est détenu depuis son arrestation en 2013, en expliquant qu’elle préférait que son affaire ne soit pas rendue publique : elle en parlait comme d’un malentendu qu’il fallait résoudre à l’amiable sans importuner le gouvernement ni attiser la colère des fanatiques locaux. Par respect pour sa volonté, je n’ai rien écrit sur Hamed.
La plupart des bahá’is du Yémen travaillent dans les domaines de la médecine et de l’ingénierie. Ils ont joué un rôle important dans la construction des ponts de la capitale, Sanaa. Bien qu’ils n’aient rien fait pour mériter d’être accusés de trahison ou emprisonnés, les autorités ont commencé à les persécuter en 2008, lorsque quatre bahá’is ont été arrêtés. Après leur libération, la plupart d’entre eux ont quitté le Yémen, selon l’épouse de Hamed, qui a décidé de rendre publique son histoire.
Son mari était emprisonné depuis trois ans lorsque l’avocat de la défense est allé jusqu’à demander la peine de mort. Elham a alors décidé de briser le silence et de parler aux médias. « Il y a environ 1 000 bahá’is, et peut-être même plus, qui vivent au Yémen. Mon mari et moi sommes de nationalité yéménite, a-t-elle expliqué. Le Dr Kamal, mon beau-père, est venu sur l’île de Socotra, au sud du Yémen, pour y travailler en tant que médecin personnel du sultan de Socotra, Issa ibn Ali ibn Afrar. Le sultan a décidé de le récompenser de sa loyauté en lui accordant la nationalité yéménite. La famille s’est alors installée à Socotra jusqu’à ce que le régime communiste s’empare du pouvoir dans le sud du Yémen, d’où la décision de partir pour les Émirats arabes unis. »
En 1990, a-t-elle poursuivi, « Hamed, le fils du Dr Kamal, a décidé de rentrer travailler au Yémen. Nous y avons vécu en sécurité toutes ces années jusqu’au début des persécutions en 2008. Les bahá’is ont alors été accusés d’être des espions israéliens car le sanctuaire de la foi bahá’ie et le siège de la Maison universelle de justice, l’instance dirigeante de la foi bahá’ie, se situent en Palestine occupée. Notre présence en Palestine remonte à bien longtemps, de nombreuses années avant la création de l’État d’Israël… nous ne pouvons pas être des espions, puisque notre religion nous interdit toute activité politique ».
Pour appuyer son propos, Elham a cité les textes religieux suivants :
« Que nul ne lutte contre ceux qui détiennent l’autorité sur le peuple. Laissez-leur ce qui leur appartient, et dirigez votre attention vers le cœur des hommes. » (Verset 95 du Kitāb-i-Aqdas)
« Que nul n’agisse de sorte à s’opposer à l’opinion du chef de l’État. » (Vol. 3, p. 270 de l’Amr wa Khalq)
J’ai écouté Elham me parler du jour où les forces de sécurité sont venues fouiller sa maison sans aucune autorisation officielle. « Ils ont pris nos livres et nos ordinateurs. À ce moment-là, j’ai compris que mon mari, qui travaillait dans la ville de Bal’haf, avait été arrêté et qu’il était en danger. »
Plus tard, Elham a appris que son mari avait été arrêté par la Sécurité nationale, qui avait néanmoins nié le retenir prisonnier. Elle s’y est rendue plusieurs fois avec ses médicaments, car il souffrait de diabète, de cholestérol, d’hypertension et de calculs rénaux. À chaque fois, les officiers prenaient les médicaments en lui disant qu’ils ne savaient pas si son mari était là où non. Par la suite, il a été transféré à la prison centrale, où il a obtenu la permission de communiquer avec sa femme et ses fils.
Hamed a subi beaucoup d’actes de torture en prison, sans parler des insultes lancées à son épouse lorsqu’elle lui rendait visite. « Mon mari est ingénieur à Bal’haf, qui, comme vous le savez, est une région inhabitée. Donc qu’est-ce qu’on pourrait bien chercher à espionner là-bas ? Et qu’est-ce qui prouve qu’il a fait de l’espionnage ? Tout ce qu’ils ont trouvé, ce sont nos livres religieux. Je ne sais pas ce qui leur donne le droit d’infliger cette injustice à mon mari et de le jeter dans une cellule avec des terroristes. »
Jawad Mabrouki a écrit un article au sujet de Hamed sur CNNArabic : il l’a rencontré en prison lors de sa visite au Yémen, où il voulait mener une étude psychologique sur le comportement des prisonniers pour le compte d’une association de défense des droits de l’homme. Voici comment Jawad Mabrouki a décrit Hamed : « Chaque jour, dans la prison, nous remarquions un homme qui marchait avec des béquilles. Il avait une barbe blanche malgré son jeune âge. Il était soucieux de l’hygiène, discret, gentil, poli, serviable, et de lui émanaient l’amour et la bonté. » En effet, c’est bien ce Hamed-là qui est aujourd’hui emprisonné aux côtés de criminels, son seul crime étant l’affirmation d’une religion qui appelle à l’amour et à la paix.
« Votre Dieu compatissant aime à considérer les membres de l’Univers comme une seule âme et un seul corps. » – Hazrat Baha’u’llah
- Hind al-Eryani est une journaliste et présentatrice de radio yéménite. Par le passé, elle a mené une campagne contre le khat, et elle milite actuellement pour la paix au Yémen.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteure et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des agents de la sûreté yéménite montent la garde sur le toit du palais de justice de la capitale, Sanaa, le 29 décembre 2013 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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