Le Yémen risque de se dissoudre en un « État chaotique » ravagé par des mini-guerres et l’extrémisme
Les tentatives internationales pour mettre fin à la guerre civile au Yémen sont trop simplistes et tout accord conduirait à la dissolution de la « grande guerre » en une série de mini-conflits qui transformerait le pays en un « État chaotique » défini par guère plus que ses frontières, a indiqué un rapport accablant.
Publié mercredi par le think tank Chatham House, ce rapport affirme que le processus de paix mené sous l’égide des Nations unies est modelé sur la résolution d’un conflit entre deux coalitions distinctes et n’est pas structuré de façon à refléter le complexe sous-jacent de doléances tribales, d’histoires locales et de rivalités intestines du Yémen.
Intitulé « Yemen: Stemming the rise of a chaos state » (« Yémen : juguler l’essor d’un État chaotique »), le rapport avance que ce serait une « folie dangereuse » que de maintenir « l’illusion » selon laquelle le président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par Ryad, et ses adversaires les Houthis représentent une image exhaustive des intérêts concurrents au Yémen.
Les auteurs du rapport préviennent en outre que les groupes susceptibles de gagner le plus de l’escalade du chaos incluent al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPI) et l’État islamique (EI).
Cet avertissement survient alors que les délégations de Hadi et des Houthis continuent de parlementer dans le cadre du processus de paix soutenu par l’ONU au Koweït – sans résultat significatif jusqu’à présent.
Le rapport de Chatham House indique toutefois que tout accord conclu ne répondrait à guère plus qu’aux intérêts « des élites », risquant de créer une situation où le Yémen descendrait dans une série de guerres locales où les factions, parties et tribus s’affronteraient pour le pouvoir.
Des groupes comme le parti Islah proche des Frères musulmans, les loyalistes de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, les sécessionnistes du Sud, les salafistes, les tribus du Nord et les Houthis zaïdites ont tous leurs propres objectifs qui, s’ils ne sont pas pris en considération, résulteraient probablement en des guerres plus localisées.
« Il y a un vaste consensus […] selon lequel la seule façon de mettre un terme durable à ce conflit est la médiation politique », peut-on lire dans le rapport.
« L’incapacité à étendre la représentation […] conduira presque certainement à un renouveau des hostilités au niveau local, lesquelles pourraient pousser le Yémen un peu plus encore sur la voie d’une évolution vers un "État chaotique" – un pays défini par guère plus que ses frontières, et dans lequel des conflits régionaux complexes sont aggravés et prolongés par les intérêts et les actions d’acteurs externes. »
La guerre civile, selon le rapport, « a exacerbé ou calcifié les divisions préexistantes et a transformé des différences jusqu’alors essentiellement sans importance en de graves désaccords, une série de récits de victimisation concurrents qui devront être pris en considération ».
« Dans l’éventualité d’une fin de la ‘’grande guerre’’, une réplication d’anciens types de comportement – se focalisant sur les dynamiques et ignorant les questions localisées – entraînera probablement un effondrement du Yémen en une multitude de petites guerres », ont ajouté les auteurs.
L’étude a fait référence aux tensions courantes évoquées par Middle East Eye au sein du bloc anti-Houthis, où beaucoup ne veulent même pas de Hadi comme président. Les liens entre les partisans des Houthis, à l’instar des loyalistes de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, qui est lui-même un ancien ennemi des Houthis, pourraient aisément se défaire.
« Les groupes prenant part à la guerre civile sont systématiquement schématisés comme étant ‘‘pro-Hadi’’ et ‘’pro-Houthis’’ […]. La réalité est que la plupart des Yéménites ne soutiennent ni le président ni les rebelles du Nord [les Houthis] ; ils font plutôt partie de groupes beaucoup plus petits ayant leurs propres identité, idéologie, doléances et buts politiques, des sécessionnistes du Sud aux chefs tribaux du Nord en passant par les salafistes à Ta’izz et Aden ».
Selon le rapport, le processus de paix qui se déroule au Koweït réitère les erreurs commises durant le processus de « transition nationale » qui a débuté après la révolution de 2011 contre Saleh et s’est achevé en 2014 lorsque les Houthis ont chassé son remplaçant, Hadi, hors de la capitale Sanaa, menant au final à la guerre civile et à l’intervention de l’Arabie saoudite l’année dernière.
« L’effondrement final de la transition était dû en bonne partie à l’incapacité de ses partisans à répondre à des doléances élémentaires tant au niveau national que local », explique le rapport. Une répétition de ce processus « ne peut être tolérée. »
« L’éventail varié de groupes ayant émergé en opposition à l’alliance Houthi-Saleh ne s’est pas […] perçu comme un mouvement unifié de résistance mais comme des groupes identitaires locaux protégeant leurs zones propres des incursions de l’alliance Houthi-Saleh en provenance des montagnes ou du Nord. Il n’y a pas eu […] le sentiment que les groupes anti-Houthis se battraient en faveur du président Hadi. »
L’étude indique qu’en conséquence de la guerre civile, « des sphères d’influence émergentes » sont apparues au Yémen, comme l’alliance Houthi-Saleh dans les montagnes du nord-ouest, les tribus du centre-nord alignées avec l’actuel vice-président Ali Mohsin, les milices de l’Islah et des salafistes à Ta’izz, les éléments d’al-Qaïda dans l’Hadramaout et les sécessionnistes à Aden.
Ceux qui ont le plus gagné, selon le rapport, sont donc al-Qaïda et l’EI. Al-Qaïda, ajoutent les auteurs, était déjà « l’un des plus grands gagnants de la guerre, étendant son territoire tout en poursuivant son processus de changement d’image pour se présenter comme une alternative locale au gouvernement Hadi ou aux Houthis ».
En conclusion, le rapport recommande un processus en trois dimensions visant à garantir une paix durable : un processus international de médiation qui reconnaisse le rôle de la coalition menée par les Saoudiens, un processus de paix entre l’alliance Houthi-Saleh et le gouvernement Hadi, et un « dialogue politique plus large » impliquant tous les principaux groupes locaux qui ont un intérêt dans l’avenir du Yémen.
« La communauté internationale ne devrait pas abandonner l’actuelle approche descendante mais devrait plutôt reconnaître l’importance de coupler le niveau supérieur […] avec une approche significative à la base visant à comprendre et répondre aux doléances locales.
« Le pays le plus pauvre du monde arabe est au bord de l’effondrement, et l’une des pires crises humanitaires au monde a le potentiel de s’aggraver davantage au fur et à mesure que le pays s’engouffre dans une guerre encore plus meurtrière et plus complexe.
« Le Yémen n’est peut-être pas une priorité politique pour l’Occident aujourd’hui mais si on le laisse s’enfoncer davantage dans le chaos, la crise humanitaire et l’essor des groupes djihadistes forceront au final son ascension au sommet de l’ordre du jour international. »
Traduit de l’anglais (original).
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