L’anéantissement de Falloujah en Irak ne se résume pas à vaincre l’EI
La semaine dernière, le gouvernement irakien a commencé ses opérations visant à « libérer » Falloujah des fanatiques de l’État islamique (EI), le Premier ministre Haider al-Abadi annonçant dimanche que les forces de sécurité irakiennes (FSI) entreraient dans la ville « deux jours » plus tard.
Grands discours mis à part, le résultat final de cette opération ne fait aucun doute en termes militaires. L’EI ne peut pas tenir Falloujah car il ne dispose pas des hommes nécessaires et il lui manque la capacité technologique pour atténuer les effets dévastateurs de l’aviation américaine. Enfin, il est complètement encerclé et son ravitaillement est coupé par des forces dont les membres se comptent en dizaines de milliers.
De ce fait, ceux qui veulent simplement voir l’EI perdre peuvent être tranquilles, car cela se produira tôt ou tard, même avec l’incompétence des FSI et de leurs milices chiites alliées, les Hashd al-sha’abi (Forces de mobilisation populaire – FMP).
Cependant, la bataille de Falloujah ne se résume pas à vaincre l’EI, et ne peut être considérée comme une libération dans le vrai sens du terme non plus. Un coup d’œil sur l’histoire récente est instructif et permet de comprendre ce qui se passe depuis un certain temps maintenant, sans grande réaction de la communauté internationale, et ce qui se produira certainement à Falloujah.
Lorsque le gouvernement irakien a annoncé qu’il reprendrait Tikrit en 72 heures l’année dernière, il lui a fallu près de deux mois en réalité pour prendre une ville occupée par environ 200 combattants de l’EI, et les estimations de temps enthousiastes ont également été données pour les batailles de Baïji, de Ramadi et d’autres villes.
Que s’est-il passé après la « libération » ? Les combattants des FSI et FMP ont présidé le massacre des Arabes sunnites et, à un moment donné, ont même été filmés en train de découper le cadavre brûlé d’un sunnite avec une épée « comme un chawarma ».
Falloujah n’a même pas encore été prise et, déjà, les FMP massacrent des civils dans des exécutions sur le terrain qui constituent sans aucun doute des crimes de guerre. Après la prise de la ville de Karma, juste au nord de Falloujah, les FMP ont exécuté 17 hommes et garçons après les avoir accusés d’être des militants de l’EI.
Les chefs tribaux sunnites craignent que des dizaines d’autres, enlevés par les FMP à Karma, subiront bientôt le même sort et ont demandé à la communauté internationale et aux politiciens irakiens de faire quelque chose pour faire cesser ces crimes terribles. Quelqu’un a-t-il entendu leur requête ? Bien sûr que non, le sang des Irakiens vaut encore moins que celui des Syriens ou des Palestiniens.
En état de siège
L’histoire de Falloujah est presque légendaire parmi les Arabes sunnites de l’Irak car elle est considérée comme une ville qui s’est rapidement soulevée contre l’occupation et l’invasion en 2003. Une coalition de combattants révolutionnaires irakiens a pris le contrôle de la ville en janvier 2014. Cette coalition se composait de groupes tels que le Conseil général militaire des révolutionnaires irakiens qui se sont formés après que l’ancien Premier ministre on ne peut plus sectaire, Nouri al-Maliki, a ordonné que des manifestants arabes sunnites pacifiques soient abattus tout au long de l’année 2013. Falloujah n’était pas, comme les médias le disent aujourd’hui, contrôlée uniquement par l’EI jusqu’à l’époque où les forces américaines ont été entraînées dans le conflit à l’été 2014.
Depuis le début de 2014, Falloujah a été soumise à un siège presque total, avec le bombardement régulier de ses installations médicales par le gouvernement irakien, encore un autre crime de guerre puisqu’il ne s’agit pas d’une cible militaire légitime.
Avant la récente tentative de reprendre la ville, le siège a également aboutit à une politique d’affamer les habitants de Falloujah comme un autre exemple de l’assimilation par le gouvernement des Arabes sunnites à l’EI. Des images effroyables ont récemment fait surface sur les réseaux sociaux irakiens, montrant des femmes et des enfants affamés et bombardés à mort par le gouvernement qui est censé les protéger de la violence. Pire encore, le HCR a récemment rapporté que l’EI exécute maintenant des hommes qui refusent de se battre pour lui.
En bref, les habitants de Falloujah sont écrasés entre le marteau des milices chiites soutenues par l’Iran et l’enclume des sauvages brutaux de l’EI dont j’ai déjà interrogé l’obédience à l’islam.
Nettoyage sectaire
Personne ne devrait avoir le moindre doute sur ce qui se passera une fois que Falloujah sera « libérée ». Le nettoyage sectaire est un programme bien établi en Irak, sous l’égide et les encouragements des mollahs radicaux d’Iran. En fait, les zones autour de Samarra sont activement nettoyées du moindre Arabe sunnite afin de créer un couloir sans sunnite qui va de la frontière iranienne à ce que les chiites considèrent comme leurs sanctuaires et lieux saints dans la ville à majorité sunnite.
Le monde entier reste silencieux devant cela et, au lieu de défendre les droits de l’homme et les libertés dont il nous rebat les oreilles, ferme les yeux sur les crimes contre l’humanité qui se déroulent dans les zones sunnites et sur la poursuite de l’Holocauste irakien dont l’instigation et la perpétuation doit beaucoup à l’Occident et aux Iraniens, de même qu’à d’autres voisins de l’Irak, que ce soit les Turcs ou Arabes.
Puisque Falloujah est la dernière grande ville à être contrôlée par l’EI à part Mossoul, ce qui s’y produit fournit une indication de ce qui se passera quand l’assaut contre l’EI à Mossoul commencera. Comme je l’ai écrit dans mes dernières recherches publiées par le RUSI, les sunnites ne font aucunement confiance au gouvernement de la zone verte à Bagdad et auraient peur d’une « libération » de Mossoul pour des raisons compréhensibles, dont les FMP et la brutalité du gouvernement contre les sunnites qui dure depuis plus de dix ans.
Il en découle une idée intéressante : des forces de maintien de la paix approuvées par l’ONU et qui comprendraient les pays arabes voisins et la Turquie accroîtraient la confiance des sunnites de Mossoul dans toute opération visant à déloger l’EI, car cela voudrait dire qu’il y aurait des observateurs et des troupes sur le terrain pour les protéger contre les excès sectaires.
Il est toutefois peu probable que la communauté internationale aura le cran nécessaire à une mission de maintien de la paix sur le terrain à Mossoul. Bien qu’elle ait déclaré qu’elle veut débarrasser le monde de la violence de l’EI, elle ne semble pas se soucier des violences infligées à la communauté sunnite, gardant le silence sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité du gouvernement irakien et des FMP puisque, semble-t-il, la fin justifie les moyens.
Toutefois, l’élimination de l’EI ne détruira pas l’extrémisme, tout comme l’affaiblissement d’al-Qaïda n’a diminué en rien le terrorisme. En fait, le terrorisme a prospéré et a évolué au point qu’al-Qaïda est à peine mentionnée dans les médias aujourd’hui puisque l’organisation semble presque normale par rapport au territoire nouvellement tracé de l’extrémisme qui a été forgé par l’EI.
Falloujah tombera entre les mains du gouvernement irakien. Les habitants de Falloujah subiront des souffrances indicibles, la mort, les destructions et les violences que le gouvernement et ses milices alliées – qui sont censés les protéger – feront s’abattre sur eux. Falloujah sera un prélude à la reprise de Mossoul et, si les choses continuent ainsi, l’EI reviendra au terrorisme traditionnel asymétrique qui sera par nature à la fois régional et international, ou bien les horreurs infligées à la communauté sunnite produiront un groupe encore plus terrifiant à côté duquel l’EI fera pâle figure.
- Tallha Abdulrazaq est chercheur à l’Institut de sécurité et de stratégie de l’Université d’Exeter. Il a été récompensé par le Young Researcher Award de la chaîne Al Jazeera. Vous pouvez consulter son blog à l’adresse thewarjournal.co.uk et le suivre sur Twitter (@thewarjournal).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des familles irakiennes sont photographiés près du village d’al-Sejar, dans la province d’Anbar, après avoir fui la ville de Falloujah, le 27 mai 2016, pendant une opération de grande envergure des forces pro-gouvernementales pour reprendre la ville des militants de l’État islamique (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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