Londres admet ne pas avoir évalué les présumés crimes de guerre de l’Arabie Saoudite
Le ministère britannique des Affaires étrangères est revenu sur les déclarations de trois ministres suggérant que le Royaume-Uni avait estimé que l'Arabie saoudite ne s’était rendue coupable d’aucune violation du droit international humanitaire au Yémen.
Dans une déclaration écrite publiée la semaine dernière, le ministre aux Affaires étrangères chargé de la région MENA, Tobias Ellwood, a avoué que les déclarations antérieures faites par ces responsables ne tenaient pas pleinement compte du fait que le gouvernement n’avait procédé à aucune évaluation sur une éventuelle violation de la loi par les Saoudiens.
Cette déclaration, rendue publique lors de la dernière session du Parlement et qui faisait partie des trente réponses écrites par les ministres jeudi dernier, a entrainé le dépôt d’une requête, à l’initiative du Parti libéral-démocrate d’opposition, d’ouvrir une enquête sur la politique saoudienne au Yémen et de suspendre les ventes d'armes britanniques au royaume.
L’une des rectifications portait sur une déclaration de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Philip Hammond, indiquant en janvier n’avoir « aucune preuve que le DIH [droit international humanitaire] ait été violé », suite à certains rapports sur une frappe aérienne de la coalition saoudienne qui aurait ciblé un hôpital de Médecins sans Frontières à Saada.
Dans une autre déclaration, en juin, David Lidington, l’un des secrétaires d’État au ministère des Affaires étrangères, avait à tort déclaré que le ministère de la Défense avait estimé que la coalition dirigée par l'Arabie n’avait pas ciblé des civils.
Voici la déclaration corrigée : « Pour ce qui est des allégations relatives à des violations du droit international humanitaire, le ministère de la Défense analyse la façon d’agir des Saoudiens pour déterminer si la coalition respecte le droit international humanitaire.
« Le ministère de la Défense n'a pas estimé que la coalition menée par l’Arabie avait visé des civils. Nous avons jugé que les protocoles et procédures saoudiens ont été mis en place pour assurer le respect des principes du droit international humanitaire ; et que les Saoudiens ont été et sont toujours véritablement déterminés à respecter le droit international humanitaire. »
La déclaration a également rappelé que le gouvernement britannique n’était pas en mesure de conduire des investigations pour savoir si des violations du droit humanitaire avaient été commises lors de conflits auxquels il n’avait pas participé ; elle a conclu en disant qu’aux yeux des Britanniques le gouvernement saoudien était « le mieux placé pour évaluer ses propres procédures militaires ».
« Nous encourageons régulièrement l'Arabie saoudite à commanditer des enquêtes sur toute allégation de violations du droit international humanitaire dont elle est l’objet, et à tout mettre en œuvre pour obtenir des investigations approfondies et concluantes. L’Arabie Saoudite a déclaré publiquement qu'elle enquête sur les violations présumées, et qu’elle tiendra compte de toutes les enseignements qu’elle en aura tiré. »
Cette déclaration fait suite à la publication d’un rapport par la commission du Parlement britannique sur le développement international. Il suggérait que l'Arabie saoudite n’était peut-être pas la mieux placée pour enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par ses propres militaires. La commission estime que l’obstination du gouvernement à nier l’éventualité d’une violation du droit international humanitaire avait « contribué à la mentalité du 'tout est permis' des deux belligérants ».
« Des éléments s’accumulent et tendent à prouver l’existence de bombardements aveugles perpétrés en violation du DIH par la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen. Ils soulèvent de graves questions quant au maintien de la licence de transferts d'armes à l'Arabie Saoudite [auxquelles] le gouvernement britannique doit répondre », déclare le rapport.
« S’il s’avérait que cela pourrait contrevenir aux obligations du Royaume-Uni en vertu des lois qui régissent le commerce international des armes, le Royaume-Uni se devrait de ne plus fournir d'armes à l'un des belligérants. »
Cette annonce fait également suite au déclenchement d’une procédure juridique, menée par la Campagne contre le commerce des armes (Campaign Against the Arms Trade, CAAT), visant à faire cesser les ventes d’armes à l'Arabie Saoudite par le gouvernement britannique.
D’après CAAT, le gouvernement britannique a approuvé des ventes d'armement à hauteur de 2,8 milliards de livres sterling (3,7 milliards de dollars) à l'Arabie Saoudite, ce qui fait de ce pays le plus gros client des fabricants d'armes britanniques.
Fin juin, un juge de la haute Cour a autorisé un contrôle judiciaire des ventes et le lancement d’une enquête sur une éventuelle violation par le Royaume-Uni des lois européennes sur les exportations d’armes.
Les audiences commenceront le 1er février 2017, a statué le juge.
Tom Brake, porte-parole des libéraux-démocrates en affaires étrangères, a déclaré à Middle East Eye que Tobias Ellwood « s’était pris les pieds dans le tapis » en défendant la position « hypocrite » du gouvernement sur la question de l’Arabie Saoudite et du Yémen.
« Après avoir assuré pendant un avoir effectué toute les évaluations nécessaires pour savoir si l'Arabie saoudite enfreint ou non le droit international humanitaire au Yémen, voilà qu’on nous apprend qu’aucune évaluation n'a été en fait effectuée, et qu’en l’occurrence les députés ont été trompés », a déclaré Tom Brake.
« Cette affaire sordide ternit la réputation de la Grande-Bretagne dans le monde. Il est temps d’obtenir une pleine et entière transparence sur cette question. Le gouvernement doit immédiatement ouvrir une enquête indépendante sur la violation du droit humanitaire par l'Arabie saoudite et leurs alliés au Yémen ; et, dans l'intervalle, il doit suspendre tous les contrats d’armement avec un pays accusé d'utiliser des armes britanniques pour cibler de malheureux civils innocents. »
Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré à MEE qu’il avait soumis cette correction afin de clarifier la position du gouvernement d'une manière transparente et exhaustive.
Au début de la semaine dernière, MEE a révélé que des cartouches de fusil fabriquées au Royaume-Uni avaient été utilisées pour éliminer un dissident chiite en Arabie Saoudite, déclenchant des appels en faveur d’un embargo sur les livraisons d’armes à ce pays.
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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