Les détecteurs de bombe de Bagdad n’ont pas été utilisés « en raison de querelles politiques »
BAGDAD – Des dizaines de véhicules de détection de bombe avancés sont restés inutilisés pendant seize mois en raison de jeux de pouvoir politiques, de rivalités ministérielles et de négligences bureaucratiques, alors que de violentes attaques du groupe État islamique (EI) frappaient Bagdad, ont confié des sources gouvernementales à Middle East Eye.
Des responsables irakiens et des membres de la commission parlementaire de sécurité et de défense ont déclaré à MEE que le ministère de l’Intérieur avait acheté 40 véhicules de détection Rapiscan Mobile Eagle M60 et 54 petits systèmes d’inspection VACIS M6500 il y a trois ans.
Tous deux se servent de rayons X pour détecter des objets suspects dans un véhicule et surpassent de loin les détecteurs portables en service dans les forces de sécurité irakiennes.
Cependant, ils restent confinés dans les entrepôts du ministère de l’Intérieur en dépit d’une campagne meurtrière menée par l’EI qui a tué des milliers de civils, dont 323 lors d’une attaque dans la zone chiite de Karrada le 5 juillet – de loin la plus grande en son genre depuis l’invasion américaine de 2003.
Douze Rapiscan ont depuis été déployés aux six entrées de Bagdad, mais tous les autres restent dans les entrepôts.
« Ces véhicules sont très avancés. Le plan était de déployer les gros véhicules à l’entrée de la ville et d’utiliser les plus petits pour patrouiller dans la rue », a déclaré Adnan al-Assadi, membre de la commission parlementaire et ancien adjoint au ministre de l’Intérieur impliqué dans les négociations visant à acheter les véhicules.
« L’utilisation de ce type de systèmes d’inspection déboussolerait les terroristes – ils sont mobiles et passent d’une rue à l’autre – et pourrait réduire les dommages de 90 %. »
Shikhwan Abdulla, un autre membre du comité, a déclaré : « Nous avons une centaine de véhicules. On en a désespérément besoin. Notre problème est la négligence et des systèmes techniques et administratifs faibles. »
Cependant, d’autres sources au sein de l’appareil de sécurité et d’autres députés de la commission parlementaire ont affirmé que ces véhicules avaient été laissés de côté en raison des rivalités entre le Premier ministre Haïder al-Abadi et son ancien ministre de l’Intérieur, Mohammed al-Ghabban, qui a démissionné le jour de l’attaque à Karrada.
Deux jours plus tard, Abadi a ordonné le déploiement des véhicules Rapiscan à Bagdad et a ouvert une enquête sur la raison pour laquelle ils étaient restés à l’arrêt pendant un an. Une enquête a également été ouverte par la commission parlementaire.
Des sources ont indiqué que Ghabban avait refusé de faire sortir les véhicules tant qu’il n’avait pas pris le contrôle de la sécurité de Bagdad au « commandement conjoint des opérations militaires » – s’assurant ainsi qu’on attribuerait à lui seul tout succès dans la capitale.
« Si ces véhicules étaient déployés à Bagdad et rencontraient des succès, les gens attribueraient cela au commandant du centre opérationnel de la sécurité de Bagdad supervisé par Abadi, et non à Ghabban », a déclaré un responsable de la sécurité proche d’Abadi, qui a parlé sous couvert d’anonymat.
« Ghabban avait demandé la pleine autorité sur la sécurité de Bagdad pendant un an. Il cherchait à obtenir ce succès », a rapporté ce responsable.
Un membre de la commission parlementaire, qui s’est également exprimé sous couvert d’anonymat, a déclaré que donner le contrôle total de la sécurité à Ghabban aurait « donné carte blanche » à l’organisation Badr, avec laquelle il s’est aligné « pour faire ce qu’elle veut à Bagdad ».
Badr est l’une des plus puissantes milices chiites soutenues par l’Iran en Irak et est considérée par beaucoup comme fortement impliquée dans la guerre sectaire de 2006-2008.
Ces querelles et jeux de pouvoir ont apparemment laissé la capitale mal protégée contre les attentats à la bombe.
Les forces de sécurité irakiennes se sont appuyées sur deux détecteurs de fabrication britannique depuis 2007 : ADE 650 et ADE 651, achetés pour plusieurs dizaines de millions de dollars alors que la capitale faisait face à une campagne d’attentats-suicides à la bombe par le précurseur de l’EI, connu sous le nom d’al-Qaïda en Irak, qui a tué des dizaines de milliers de personnes.
Le gouvernement a admis en 2011 que tous deux étaient totalement inefficaces et Jihad al-Jabiri, le commandant des démineurs, a été condamné à sept ans de prison la même année pour corruption autour de leur achat.
Cependant, l’ADE 651 est resté en service jusqu’au mois dernier quand Abadi l’a retiré et a ordonné la réouverture de toutes les enquêtes sur les contrats dans le cadre d’une nouvelle campagne anti-corruption.
Les véhicules Rapiscan ont été achetés par l’intermédiaire du système américain de vente militaire à l’étranger, tandis que les systèmes VACIS ont été achetés directement par le ministère de l’Intérieur.
Ils ont coûté 190 millions de dollars au total – les contrats ont été signés à la fin du mandat de Nouri al-Maliki en tant que Premier ministre et les véhicules ont été livrés après que Haïder al-Abadi a pris ses fonctions en septembre 2014.
L’ex-ministre rejette les allégations
Ghabban a néanmoins démenti avoir refusé de faire sortir les véhicules, affirmant que les systèmes Rapiscan avaient eu « 17 problèmes techniques » qui ont empêché leur déploiement pendant qu’il était ministre de l’Intérieur.
« Ce ne sont pas des détecteurs d’explosifs. Ce sont des systèmes à rayons X pour inspecter la cargaison et ils dépendent totalement de l’expérience de l’opérateur. Donc, ne dites pas qu’il s’agit de détecteurs d’explosifs », a déclaré Ghabban à MEE.
« Les 17 problèmes techniques dont je parlais ne sont pas liés à la fabrication ou à la qualité de ces véhicules. Ils se rapportent aux exigences opérationnelles », a poursuivi Ghabban.
Il a ajouté que 18 des 54 systèmes VACIS n’avaient pas encore été livrés et que tous étaient encore techniquement la propriété du fournisseur et ne pouvaient pas être déployés, bien qu’ils soient en la possession du ministère de l’Intérieur.
Ghabban s’est plaint que la sécurité de Bagdad était un « bazar » en raison des interventions de différents organes de l’État impliqués dans le « commandement conjoint des opérations militaires », y compris l’Intérieur, la Défense et le chef d’état-major général des forces armées.
Il a nié qu’une quelconque motivation politique était à l’origine de son refus de déployer ces systèmes.
« Cette question est loin de la politique et n’a rien à voir avec la rivalité politique ou la rivalité entre fonctions. Le retard dans le déploiement était purement technique et professionnel », a déclaré Ghabban à MEE.
« Cependant, il a été exploité par des personnes au sein de la sécurité et de la commission parlementaire de défense. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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