Un nouveau départ pour un chef cuisinier d'Alep... à Gaza !
BANDE DE GAZA – L’Alep que Wareef Hamedo se remémore et chérit est loin des images tragiques qu'il voit aux informations aujourd'hui. Dans l’Alep d’aujourd'hui, les hôpitaux sont bombardés, les médecins sont débordés et, rien que depuis le 19 septembre dernier, qui a marqué l’échec d’une trêve négociée par les États-Unis et la Russie, le nombre total de décès a atteint un pic d’au moins 400 personnes, dont plus de 100 enfants.
Ce dont rêve Hamedo, c’est l’Alep « des jours paisibles ».
« Je me souviens des cris des vendeurs de réglisse et de légumes dans la rue devant ma fenêtre, de l'odeur du saj frais [pain sans levain cuit sur des grilles en métal en forme de dôme], des voix amicales de mes voisins », raconte Hamedo, qui fait aujourd'hui partie des 22 familles de réfugiés syriens qui ont trouvé un nouveau foyer dans la bande de Gaza - aussi insensé que cela puisse paraître.
La vie en Syrie était belle pour Hamedo, qui était chef dans un restaurant syrien traditionnel appelé le Melaas Café. Bien qu'il ait fait des études universitaires de génie mécanique pour faire plaisir à son père, la cuisine est son grand amour depuis qu’il a 15 ans, âge auquel il a commencé à travailler en cuisine. Son passe-temps, qui est rapidement devenu une profession, l'a conduit à Lattaquié, Damas, Homs et Le Caire ; mais c’est à Alep qu’il s’est toujours senti chez lui.
Enfin, jusqu'à ce que la guerre civile n’éclate. Les affaires se sont effondrées, et les attaques de plus en plus nombreuses ont forcé le restaurant à fermer. Puis vint l'attaque qui a dispersé sa famille.
« Il était 18 h », raconte Hamedo en frissonnant. « Je me trouvais au deuxième étage de notre maison avec mon frère. J’étais assis sur le balcon et lui était couché sur le sol à côté de moi. Soudain, nous avons entendu un sifflement aigu suivi d'une explosion. Tout le quartier s’est illuminé. Nous avons couru pieds nus dans la rue. Les femmes criaient. Nous avons découvert que la maison de nos voisins avait été touchée. Nos voisins, une mère et ses deux enfants, gisaient au sol, couverts de sang. Nous avons compris tout de suite que l'un des enfants était mort et nous avons transporté les deux autres jusqu’à une voiture pour qu'un autre voisin les emmène à l'hôpital. Mais nous avons ensuite appris que la mère avait succombé elle aussi »
Pénétrer dans Gaza
Peu de temps après, ses frères et sœurs ont fui en Turquie - ses deux parents étaient décédés avant la guerre. Hamedo est le plus âgé d’une fratrie de dix enfants - mais il a tenu bon. « Ma famille avait tellement peur d'une autre attaque soudaine. Mais moi je préférais attendre un peu plus, et ce fut un soulagement de ne pas avoir à me soucier de mes frères et sœurs. Dans mon cœur, je priais pour que les combats cessent. »
Mais ce ne fut pas le cas. Et quand la violence frappa de nouveau près de chez lui, il sut qu'il était temps de partir.
« Il était 16 h et je me trouvais avec mon cousin devant un magasin de falafels », se souvient-il. « Nous n’avions plus de pain depuis environ deux semaines et nous étions sortis pour acheter un sandwich de falafels – au prix de 125 livres syriennes (0,50 euro), par rapport à 25 (0,10 euros) avant le début des combats. Nous étions assis sur les marches du magasin et le fils du voisin nous a rejoints. Nous avons fini de manger et nous nous sommes mis sur le chemin du retour. Environ cinq minutes plus tard, nous avons entendu un coup de feu. Un tireur d'élite venait de tirer sur le fils du voisin, le touchant à l’œil ».
« La Syrie sera toujours ma mère et Alep mon amour »
« Quitter Alep n'a pas été facile. Je manque de mots pour décrire à quel point ce fut douloureux. Mais la mort était la seule alternative. J’ai l’impression d’avoir laissé mon cœur là-bas. La Syrie sera toujours ma mère et Alep mon amour ».
Hamedo a parcouru à pied le long voyage jusqu’à la maison de son oncle, puis s’est fait conduire jusqu’à la frontière turque pour rejoindre sa famille. « Mais je n’ai pas pu trouver de travail en Turquie. La barrière de la langue, le manque d'argent rendaient la vie trop difficile. Je ne savais pas comment survivre dignement. »
Après avoir entendu dire que davantage d’opportunités d'emploi étaient disponibles en Égypte, un pays arabophone, il entreprit le voyage de trois jours par la mer, tout ça pour se retrouver finalement confronté aux sentiments anti-syriens grandissants et aux mauvaises conditions de travail.
Il ne restait plus à Hamedo que deux options : payer un passeur pour entreprendre le dangereux voyage vers l'Europe par bateau ou aller à Gaza, où un ami palestinien qu’il avait rencontré au Caire lui offrait un emploi dans un restaurant. En mai 2013, il pénétra dans la bande de Gaza par l'un des tunnels de contrebande.
« Les gens pensaient que j'étais fou », admet Hamedo, qui ajoute n’avoir dit à sa famille en Turquie qu'il était à Gaza que quatre mois après son arrivée. « Je ne voulais pas les inquiéter... Mais les Palestiniens sont les gens les plus chaleureux que je n’ai jamais rencontrés ; ils me font sentir comme l’un d’entre eux, comme si j’étais à nouveau ‘’à la maison’’. »
« Les Palestiniens sont les gens les plus chaleureux que je n’ai jamais rencontrés ; ils me font sentir comme l’un d’entre eux, comme si j’étais à nouveau ‘’à la maison’’ »
En fait, Hamedo fut tellement bien accueilli qu'il épousa une journaliste palestinienne de Gaza. Il rencontra Maha Abualkass quand elle l'interviewa pour un reportage sur les réfugiés syriens et ils se marièrent en mai 2014. En septembre naquit leur premier enfant, Eilia'a.
Sur Facebook, Hamedo a dédié ce statut à sa nouvelle fille : « Avec l'aide de YouTube, je vais nettoyer tes petites oreilles avec la mélodie de la grande mosquée d’Alep. Je vais te montrer chaque centimètre de la ville. Je vais te raconter des histoires sur mon village, et nous allons feuilleter mes photos de famille. Je vais tout te dire sur la Syrie et ta mère te dira tout sur la Palestine et Jérusalem. »
Différent lieu, davantage de guerre
Cependant, la vie à Gaza n'a pas été sans difficultés, c’est le moins que l’on puisse dire. Hamedo travailla dans le restaurant de son ami jusqu'à la guerre de 52 jours menée par Israël contre Gaza à l'été 2014. Le restaurant ferma et Hamedo passa ses journées à accompagner sa femme lorsqu’elle sortait faire ses reportages, lui servant en quelque sorte de « protecteur ».
« Chaque situation me rappelait ma Syrie meurtrie », se rappelle Hamedo. « Mais même ça, ce n’était pas aussi terrible que ce que j’avais vécu en Syrie, où des tireurs étaient embusqués dans les rues et sur les toits des immeubles presque partout, et où il y avait des enlèvements et des viols... Aucun avertissement n’était donné quand les bombes frappaient ».
Le restaurant où travaillait Wareef n’a jamais rouvert et il n'a pas retrouvé d’emploi stable depuis. L'Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) est très présent à Gaza, mais son mandat consiste à aider les Palestiniens, pas les Syriens, et il ne peut donc lui fournir aucune aide.
Un autre problème pour les Syriens est qu’Israël contrôle le registre de population de la bande de Gaza. Étant donné que le gouvernement israélien n’a jamais entretenu de relations avec le gouvernement de Bachar al-Assad en Syrie, ils sont, peut-être, encore plus apatrides à Gaza que nulle part ailleurs. Dans la mesure où ils ne figurent pas sur le registre de population, les agences gouvernementales locales et même les organisations internationales peuvent difficilement récolter des données sur les Syriens de Gaza et leur offrir une aide.
Selon Wafa al-Kafarna, directeur du projet information, conseil et assistance juridique de la branche de Gaza du Conseil norvégien pour les réfugiés, les réfugiés peuvent quitter Gaza via l'Égypte s’ils ont des documents de voyage valides. Mais les réfugiés affirment qu'un accord existe entre le Caire et Damas pour les renvoyer et leur faire subir un interrogatoire. Donc pour le moment, les Syriens restent à Gaza.
N’étant pas du genre à s’avouer vaincu, Wareef a encore des rêves. Son but est de produire sa propre émission de télévision et de partager son amour à la fois de la culture et de la nourriture syriennes avec d’autres. Il enseigne comment préparer des plats traditionnels sur sa propre chaîne YouTube et est à la recherche de soutien pour passer au niveau supérieur.
Reportage supplémentaire/traduction de Basman Derawi.
Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.
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