La mort de Rafsandjani crée un faux sentiment d’unité en Iran
La mort inattendue de l’ancien président iranien Ali Akbar Hachémi Rafsandjani suite à une crise cardiaque dimanche clôt un chapitre de l’histoire tumultueuse de l’Iran après la révolution.
Doté de références révolutionnaires impeccables, Rafsandjani, avec l’actuel guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei, était le dernier membre du cercle rapproché du leader révolutionnaire, l’ayatollah Khomeini.
Sa mort éloigne encore plus les jours fastes de la révolution iranienne et prépare le terrain pour l’émergence de nouveaux dirigeants politiques. Bien qu’il fût une figure controversée et clivante au cours de sa vie, dans la mort, Rafsandjani a, au moins à court terme, engendré un étrange sentiment d’unité dans le paysage politique iranien profondément divisé.
L’establishment, qui depuis huit ans avait constamment mis à l’écart Rafsandjani, l’a adopté après sa mort comme leader révolutionnaire et partisan de l’ayatollah Khomeini ainsi que de l’ayatollah Khamenei.
Pour leur part, les réformistes et les alliés du président centriste Hassan Rohani se revendiquent de Rafsandjani et ont apparemment l’intention de l’élever à titre posthume au statut de chef spirituel.
Politicien avisé avec une capacité exceptionnelle à manipuler l’opinion publique, même dans la mort Rafsandjani continue à profiter de la révolution iranienne.
Akbar Shah
Pendant près de vingt ans, Hachémi Rafsandjani dirigeait la suprématie cléricale dans la République islamique. En tant qu’influent président du Majlis (parlement) dans les années 1980 et plus tard, en tant que commandant des forces armées pendant les dernières années de la Guerre Iran-Irak, Rafsandjani a été largement reconnu comme le deuxième homme le plus puissant au cours de la décennie troublée des années 1980.
Son pouvoir et son influence se sont maintenus dans les années 1990 lorsqu’il a effectué deux mandats en tant que président et a initialement joué un rôle clé dans la consolidation de la position du nouveau guide suprême Ali Khamenei qui a succédé à Khomeini en 1989.
La relation entre ces deux hommes formait la dialectique du pouvoir dans la République islamique. Pendant une courte période au début des années 1990, Rafsandjani a eu le dessus : le guide et la majeure partie des loyalistes de la République islamique ont été relégués au rôle d’opposition dans la cour de Rafsandjani.
L’ampleur de l’influence de Rafsandjani peut être glanée par le surnom populaire d’Akbar Shah, ce qui signifie que, pour l’opinion publique, ce religieux avisé avait acquis l’aura – sinon le pouvoir réel – d’un monarque iranien.
Mais cet apogée fut de courte durée. Deux développements ont mis un terme à l’ascendant de Rafsandjani. Premièrement, au milieu des années 1990, la dialectique du pouvoir au sommet de la République islamique a penché de manière décisive et irréversible en faveur de l’ayatollah Khamenei. Deuxièmement, au niveau de la base, l’essor des réformistes dans les années 1990 a éclipsé l’approche technocratique de Rafsandjani en matière de réforme économique.
Les réformistes qui se sont rassemblés autour de l’ancien président Mohammad Khatami ont remonté leur généalogie politique jusqu’à l’aile gauche originale de la République islamique. Socialistes par instinct et persuasion politique, les réformistes avaient adopté le discours de la démocratie comme le moyen le plus efficace de percer l’emprise conservatrice sur le pays.
L’émergence du mouvement réformiste en tant que centre de pouvoir en République islamique a déplacé de façon spectaculaire les lignes de bataille politique d’une lutte relativement modeste entre technocrates et conservateurs à un féroce conflit idéologique entre les réformistes (Eslah Talaban) et les radicaux (Osoolgerayan).
Ce conflit a culminé avec les manifestations et les émeutes post-électorales de juin 2009 qui ont abouti à la défaite définitive du mouvement réformiste tant au niveau de la rue qu’au niveau politique.
Contrairement à leur position opportuniste actuelle, les réformistes étaient à l’origine farouchement opposés à Hachémi Rafsandjani et ont utilisé leur influence dans la presse à la fin des années 1990 pour assassiner constamment son personnage en rendant l’ancien président responsable d’une multitude de choses allant de la mauvaise gestion de la guerre Iran-Irak à la complicité dans l’assassinat des dissidents.
Fondamentalement, la haine réformiste envers Rafsandjani était motivée par des visions très divergentes de la réforme économique. La philosophie économique néolibérale de Rafsandjani s’étendait à l’adoption du modèle de réforme chinois, où la libéralisation économique a pris le dessus sur les ouvertures politiques. En revanche, les réformistes favorisaient les percées politiques et culturelles en vue de développer une économie plus socialiste.
Héritage confus
La vue des piliers de l’establishment, menés par le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, se tenant aux côtés de personnalités centristes et réformistes à côté du cercueil de Rafsandjani évoque un sentiment momentané d’unité dans la république islamique.
Il serait trop cynique de rejeter totalement le chagrin ; Rafsandjani, après tout, était une figure révolutionnaire fondatrice qui a utilisé ses talents extraordinaires pour consolider la République islamique nouvellement établie. À cette fin, Rafsandjani avait un lien fort avec l’ayatollah Khamenei qui remonte à soixante ans. Son décès est véritablement déploré dans les plus hautes sphères de l’État.
Pourtant, il y a une impression manifeste de théâtralité et d’opportunisme dans l’empressement apparent des factions opposées à instrumentaliser les funérailles de Rafsandjani en faveur de leurs propres objectifs politiques.
Cet opportunisme reflète en partie la dextérité politique du défunt, qui se prévalait de ses compétences de résolution des problèmes entre factions et qui, dans le climat politique post-2009, a tenté de se réinventer en tant qu’homme du peuple en s’alignant sur le mouvement vert.
Sur le plan pratique et immédiat, la mort de Rafsandjani peut être interprétée comme un coup psychologique au président Rohani alors qu’il se prépare à participer aux élections présidentielles dans quatre mois. Mais les effets ne sont ni profonds, ni durables. Rafsandjani avait perdu depuis longtemps toute réelle influence dans le système.
Quant à l’héritage de Rafsandjani, il apparaît que les grands réformistes et les centristes sont déterminés à le transformer en icône de la réforme et de la résistance. Il est peu probable que ce récit tienne compte du fait que Rafsandjani n’était pas un réformiste et que son virage apparent vers le peuple était nuancé et peu enthousiaste au mieux.
Conformément à son approche d’équilibriste, Rafsandjani avait jusqu’à la fin tenté de son mieux de rester en bons termes avec l’establishment.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei (à droite), assiste à une cérémonie funéraire en hommage à Rafsandjani (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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