Pour Claude Mangin, la cause sahraouie est le combat de toute une vie
IVRY, France - « C’est plus simple depuis qu’il est en prison, au moins je sais où il est ! », rit Claude Mangin, 60 ans. « Il », c’est son époux, Naama Asfari, séparatiste sahraoui accusé d’avoir participé au meurtre de onze policiers marocains en novembre 2010, lors du démantèlement du camp de Gdeim Izik, où des milliers de sahraouis manifestaient (pour revendiquer leurs droits socio-économiques dans un premier temps, avant que le mouvement ne prenne une tournure plus politique ensuite).
Plus simple en prison ? C’est qu’avant sa dernière arrestation, son mari qui vivait entre la France et le Maroc, était déjà régulièrement arrêté par les autorités marocaines. Claude Mangin vivait alors dans une incertitude quotidienne, une « attente lancinante », décrit-elle à Middle East Eye.
Elle attend impatiemment les vacances scolaires pour rendre visite à son époux
Aujourd’hui, sa vie à 200 à l’heure est presque mieux rythmée : quand elle n’est pas en salle de classe pour enseigner l’histoire géographie, elle parcourt la France et le monde pour défendre les thèses séparatistes, et rencontre députés et ONG pour les rallier à sa cause… en attendant impatiemment les vacances scolaires pour rendre visite à son époux emprisonné à Salé, au nord de Rabat. Portrait de cette ennemie du royaume chérifien qui reconnaît fièrement « bien emmerder les autorités marocaines en rendant visite à ces prisonniers ».
Establishment chrétien
Cette Bourguignonne a épousé le combat des séparatistes bien avant de rencontrer son mari, et un peu par hasard. Elle découvre le conflit opposant le Maroc au Front Polisario (les deux parties revendiquent le contrôle de cette ex-colonie espagnole, contrôlée par le royaume depuis 1975) en 1989, lorsqu’elle est nommée chargée de mission Afrique du Nord/Afrique de l’Ouest pour le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD).
L’une de ses premières rencontres de travail est avec les Amis de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et le Polisario. Elle adhère immédiatement à leurs thèses. D’après elle, le Polisario cherche à ce moment-là à trouver des soutiens catholiques alors que les communistes, historiquement alliés, déclinent partout dans le monde. Claude Mangin, par ailleurs très investie chez les Scouts, fait justement partie de cet « establishment chrétien ». En 2002 et 2003, elle travaille dans les camps de Tindouf, successivement salariée de plusieurs ONG.
Un an avant son retour, elle loue son appartement d’Ivry, en banlieue parisienne, à un inconnu… du nom de Naama Asfari. Un Noël, elle rentre en France et lui demande l’autorisation d’emprunter son appartement pour un dîner entre amis. Il propose de cuisiner, elle tombe amoureuse du tajine… et de l’homme.
Très vite, ils décident de se marier, en cachette. « Il n’osait pas l’avouer à son père : son destin était de se marier avec sa cousine germaine », nous confie la Française, assise sur son fauteuil Louis XV recouvert d’une tapisserie noire et blanche sur laquelle « paix » est écrit dans toutes les langues.
Le couple vit ensuite en France mais se déplace régulièrement au Maroc. Lui, pour rendre visite à sa famille et gérer son entreprise de location de voitures, elle pour des voyages militants, accompagnée de membres associatifs, de députés français ou de journalistes.
Lobbying à tous les niveaux
Dès le début, Claude Mangin sort du cadre humanitaire pour militer et donc, faire du lobbying contre le Maroc. En vingt-cinq ans, elle s’est constituée un sérieux carnet d’adresses. Elle connaît par exemple l’ensemble des journalistes français correspondants ou envoyés au Maroc… et leur reproche quasi unanimement leur prétendue position pro-Marocaine. « C’est une question taboue dans les médias français », affirme-t-elle avec conviction.
Elle a déjà été entendue par le Comité contre la torture de l’ONU à Genève (qui a condamné le Maroc à indemniser Naama Asfari), et comme elle ne perd jamais une occasion de faire du lobbying, elle a profité de vacances aux États-Unis pour rencontrer une députée américaine à Washington et le patron de Human Rights Watch (HRW) à New-York.
Quelques jours après l’arrivée de Jean-Marc Ayrault à Matignon en 2012, elle s’empresse de décrocher un rendez-vous avec son équipe, puisque le socialiste, d’après elle, a déjà témoigné son soutien aux thèses séparatistes. Reçue, entendue, certes, mais rarement écoutée, reconnaît-elle.
« Quand je sors d’une rencontre, je suis souvent désappointée », nous raconte la Bourguignonne. Son plaidoyer, elle le distille aussi depuis quelques mois lors de projections publiques d’un film documentaire consacré à son mari, « Dis-leur que j’existe », une histoire sahraouie, réalisé par une petite boîte de production française.
Du pain béni pour cette femme, puisqu’en général, le public n’a bien souvent jamais entendu parler de la situation au Sahara Occidental. La militante présente donc le conflit, non sans quelques approximations, comme par exemple ce 10 janvier, à Paris, lorsqu’un spectateur demande sur quels faits historiques se fonde le Maroc pour revendiquer la « marocanité » du Sahara, et qu’elle ne répond qu’en citant l’idée du « Grand Maroc » du parti l’Istiqlal, en oubliant d’évoquer les allégeances de tribus sahraouies aux sultans marocains. Ou encore lorsqu’elle raconte sans nuance que « le Maroc traite les Sahraouis comme des moins que rien […] Il n’y aucune liberté là-bas ».
Femme de prisonnier…
Depuis que son mari est en prison, Claude Mangin se rend tous les trois mois au Maroc. Les dernières tentatives ont échoué. Le 12 mars dernier, l’activiste a été arrêtée à l’aéroport de Casablanca.
Mais en général, pendant une semaine, elle passe la matinée en prison, avec son époux et ses co-accusés, avant de consacrer son après-midi à la visite des ambassades et de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Le lobbying n’attend jamais. « En général, les familles amènent de la nourriture, moi, de la nourriture spirituelle : des livres ».
« Claude, ce n’est pas une Française, c’est une Sahraouie originaire de France ! »
- Ali Roubiou, un cousin de son mari
Ces visites sont aussi l’occasion pour Claude de prendre note, sur des post-it, des récits de son mari. « Je le fais pour ne pas oublier. Un jour, peut-être, je publierai tout cela », imagine-t-elle. Des moments éreintants, à cause du brouhaha notamment : environ 300 personnes sont réunies dans une même pièce.
Mais elle se souvient aussi de « quelques instants de joie volés », comme en 2013, lorsqu’elle amène un gâteau et des fleurs pour célébrer les dix ans de ce mariage hors du commun. Un souvenir qui émeut la sexagénaire. Lorsqu’elle l’évoque, ses yeux pétillent enfin, alors que cette femme aux cheveux courts a plutôt des airs de dame de fer.
Pour preuve : elle ne préfère pas s’épancher sur l’état physique de Naama Asfari lorsqu’elle l’a revu pour la première fois après les événements de Gdeim Izik, au parloir de Salé. Elle n’en dit pas plus sur les actes de torture dont il prétend avoir fait l’objet les jours qui ont précédé. « Je suis sortie en état de choc » lance-t-elle seulement avec pudeur.
... mais militante avant tout
Comme un réflexe, à chaque question personnelle, ses deux leitmotivs reviennent : le combat des séparatistes d’abord, et la libération de son mari, ensuite. « Même sans lui, j’aurais continué », assure-t-elle.
« Elle fait toujours passer le peuple en premier, pas forcément le cas de Naama », admet Ali Roubiou, cousin germain de Naama Asfari. Le jeune homme est en admiration devant celle qu’il qualifie de « vrai symbole de résistance » : « Elle n’arrête jamais, je ne sais pas où elle trouve l’énergie, mais à chaque fois qu’elle tombe, elle se relève ».
Jean-Paul Le Marec, compagnon de lutte, confirme : « J’en connais des militants qui militent un jour et abandonnent ! Elle, en plus d’être sincère, est vraiment tenace ». Plus prosaïquement, Ali Roubiou détaille : « Elle connaît aussi bien la situation politique au Sahara Occidental qu’en France. Elle nous apporte de nouveaux outils ». « C’est elle qui a construit la relation avec les avocats », précise Nicole Gasnier, secrétaire générale des amis de la RASD. Avocats que Claude Mangin tutoie et appelle par leur prénom. Elle le concède, cette troupe forme sa « famille ». « Claude, ce n’est pas une Française, c’est une Sahraouie originaire de France ! », conclut Ali Roubiou.
Le procès de Naama Asfari et de ses 24 co-accusés, condamnés dans un premier temps par le tribunal militaire à des peines de prison allant de vingt ans à la perpétuité, a repris le 13 mars à Salé.
« Je t’attends. Ici, tout est prêt », a-t-elle récemment écrit à son époux, alors que les travaux de rénovation de son petit appartement prennent fin. D’après elle, le couple ne parle jamais d’avenir. Mais elle le reconnaît : « Quand il va sortir, on risque de se marcher sur les pieds », et prophétise : si son combat politique aboutit un jour, elle devra se trouver une autre cause.
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