L’interdiction des partisans du BDS est incompatible avec une démocratie de type occidental
Le parlement d’Israël a commencé l’année avec une volée de projets de loi visant à renforcer son occupation des territoires palestiniens, à insulter la population palestinienne indigène et à faire payer un prix considérable à quiconque critique ses politiques.
Ce qui est particulièrement fâcheux, c’est que pour y parvenir, il s’est servi de sa prétention à être une démocratie de type occidental, qu’il vante haut et fort.
L’année a débuté avec l’adoption du « projet de loi de régulation » le 6 février 2017, conçue ouvertement dans le but de « légaliser » rétroactivement 4 000 logements israéliens juifs qui étaient considérés auparavant comme illégaux en vertu des propres lois israéliennes.
Le projet de loi, soutenu par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, a été condamné par le groupe de défense des droits de l’homme Peace Now, qui l’a décrit comme un « coup fatal porté à la démocratie » qui, s’il était adopté, « [transformerait] les citoyens israéliens en voleurs et [salirait] les livres de droit d’Israël ».
Alors que le procureur général d’Israël, Avichai Mandelblit, a bel et bien jugé la loi anticonstitutionnelle et que la Cour suprême israélienne devrait finalement l’invalider, son adoption initiale montre une direction dangereuse dans laquelle la démocratie israélienne pourrait se diriger.
L’appel à la prière réduit au silence
Le 12 février, les ministres israéliens ont approuvé un projet de loi qui limiterait l’appel musulman à la prière. Dans l’ébauche, l’athan, l’appel musulman à la prière – qui fait partie intégrante de la culture et de l’histoire palestiniennes depuis le siège de Jérusalem en 637 après J.-C. –, a été injurieusement qualifié de « pollution sonore ».
Les initiateurs du projet de loi ont soutenu que celui-ci dérange les non-musulmans – ou plus précisément les colons illégaux qui se sont installés dans des zones majoritairement palestiniennes, dont Jérusalem-Est.
Avec ces deux projets de loi et sous le couvert d’une démocratie et d’une réponse aux souhaits de ses citoyens, Israël se sert de ses votes israéliens majoritairement juifs au sein de la Knesset pour cibler l’histoire musulmane et la culture palestinienne.
Une « menace pour l’État »
L’impact du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) sur Israël a été minimisé par les dirigeants israéliens jusqu’en 2015, au dixième anniversaire du lancement de l’appel au boycott par la société civile palestinienne.
Ce mouvement a soudainement été identifié comme une « menace stratégique pour l’État » que les dirigeants israéliens et les partisans d’Israël dans le monde entier ont décidé de combattre. En réponse, Netanyahou a nommé Gilad Erdan au poste de ministre de la Sécurité publique, des Affaires stratégiques et de la Diplomatie publique, afin de s’attaquer à l’activisme du mouvement BDS et au programme nucléaire iranien. Plusieurs organisations et individus pro-israéliens se sont réunis pour trouver les moyens les plus efficaces d’étouffer le mouvement, qui cherche selon eux à délégitimer Israël et qu’ils ont plus tard qualifié de mouvement antisémite. Quelque 25 millions de dollars ont été alloués à leur combat.
En mars dernier, lors de la conférence de Yediot Aharonot à Jérusalem, le ministre israélien du Renseignement Yisraël Katz a appelé à l’« assassinat civil ciblé » de dirigeants du BDS tels qu’Omar Barghouti. Quelques mois plus tard, les autorités israéliennes ont imposé une interdiction de voyage à Barghouti. Son statut de résident en Israël continue d’être menacé.
Alors que le mouvement BDS ne montre aucun signe d’affaiblissement, Israël s’est mis depuis à faire pression sur ses alliés afin que ces derniers l’étouffent et le criminalisent dans leur pays. Israël s’est également évertué à riposter contre le soutien croissant pour la cause palestinienne et contre ses politiques oppressives sur les campus universitaires en Occident.
Certains États américains ont adopté des mesures visant à criminaliser les boycotts, comme la Californie et New York. La plus haute cour d’appel de France a statué que les défenseurs d’un boycott contre Israël étaient « coupables d’incitation à la haine ou à la discrimination », tandis que la municipalité de Paris a récemment adopté des résolutions anti-BDS. Le gouvernement britannique a expressément interdit aux autorités locales d’utiliser leurs politiques de pensions pour participer au mouvement.
L’interdiction des boycotteurs
Les partisans du mouvement BDS, toutefois, ont été pour la plupart libres d’entrer en Israël – pour observer la situation sur le terrain et s’engager avec les groupes prônant les boycotts. Mais cela a changé le 6 mars, lorsque la Knesset a adopté une loi interdisant l’entrée à tout citoyen étranger qui soutient ou encourage le boycott d’Israël.
Dans une déclaration qui a suivi l’adoption du projet de loi, le parlement a indiqué : « Aucun visa ou aucune autorisation de séjour de quelque type que ce soit ne sera accordé à une personne n’étant ni un citoyen israélien ni un résident permanent si elle, ou l’organisation ou l’institution dans laquelle elle milite, a sciemment lancé un appel public à boycotter l’État d’Israël ou s’est engagée à prendre part à un tel boycott. »
La loi a rapidement été condamnée par des groupes juifs du monde entier, dont Jewish Voice for Peace et l’Anti-Defamation League (ADL). L’ADL a tweeté : « La démocratie, le pluralisme, la société ouverte d’Israël sont la meilleure défense contre le mouvement BDS. La nouvelle loi est plus nuisible qu’utile. »
En Grande-Bretagne, des groupes juifs, dont le Conseil des représentants des juifs britanniques, le Conseil des dirigeants juifs et l’Union des étudiants juifs, ont critiqué cette mesure, la jugeant « antidémocratique », « aveugle » et « profondément problématique ».
La première interdiction
La première victime de la nouvelle interdiction de voyage a été Hugh Lanning, président de la Campagne de solidarité avec la Palestine basée au Royaume-Uni. Militant de longue date dans la défense des droits de l’homme, Lanning a été interdit d’entrer en Israël dimanche 12 mars, moins d’une semaine après l’adoption du projet de loi.
Lanning, qui se rend fréquemment en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, n’avait jamais été interdit d’entrée auparavant : il est donc raisonnable de supposer que la nouvelle loi est à l’origine de l’interdiction qu’il a reçue. Peu de temps après que son entrée a été refusée, Yiftah Curiel, porte-parole de l’ambassade d’Israël à Londres, a tweeté : « Lanning est le président de la PSC, une organisation qui mène la campagne au Royaume-Uni visant à diaboliser et à boycotter Israël. »
Lundi, dans une déclaration, Ben Jamal, directeur de la PSC, a indiqué : « En introduisant cette loi, Israël viole des libertés fondamentales essentielles à une démocratie – le droit à la liberté d’expression, le droit de critiquer des politiques gouvernementales et des violations des droits de l’homme, le droit de défendre des actions non violentes pour combattre les violations des droits de l’homme et le droit de se déplacer et de voyager librement. Un pays démocratique ne se comporte pas comme Israël. »
« Quel honneur d’être le premier à avoir été expulsé par le biais de la loi », a déclaré à MEE Hugh Lanning, qui est aujourd’hui arrivé à bon port au Royaume-Uni. Il a ajouté que son interrogatoire a été « long et bizarre, principalement axé sur les personnes que j’avais rencontrées, ce que j’ai fait en tant que président, la question de savoir si j’étais actif sur le plan politique ». En outre, Lanning n’a « jamais été inculpé ou accusé de quoi que ce soit à ce sujet lors de [ses] visites précédentes. »
Il a réitéré la déclaration de Jamal : « Si Israël croit qu’en introduisant ces lois draconiennes antidémocratiques, il intimidera et fera taire ses détracteurs, il se trompe. La PSC ne cessera pas de faire entendre sa voix pour mettre en lumière la violation systématique des droits de l’homme palestiniens à Gaza, en Cisjordanie et en Israël même. »
Des messages de soutien en faveur de Lanning et de condamnation de l’interdiction et de l’expulsion ont afflué en privé et sur les réseaux sociaux. Les syndicats PCS, UNITE et ASLEF ont par exemple tenu à réagir.
Même parmi les partisans d’Israël, le sentiment est que cette interdiction va trop loin. La liberté d’expression fait partie intégrante de toute démocratie de type occidental. L’objection initiale d’Israël aux boycotts universitaires était qu’ils limitaient la possibilité de débattre et de critiquer.
Désormais, en adoptant cette loi, Israël a lui-même fermé la porte du dialogue qui pourrait avoir lieu en Israël et dans les territoires occupés. Non seulement la démocratie en ressort perdante, mais Israël perd aussi le soutien de ceux qui lui ont accordé le bénéfice du doute lorsqu’il s’est autoproclamé « seule démocratie au Moyen-Orient ». Cela inclut le soutien de Juifs ayant un lien réel avec Israël par le biais de membres de leur famille, qui peuvent désormais se voir refuser l’entrée parce qu’ils soutiennent un boycott limité de marchandises fabriquées dans les colonies illégales.
La prochaine fois que vous entendrez Israël faire l’éloge de ses valeurs démocratiques, prenez cela avec des pincettes.
- Kamel Hawwash est un professeur britannico-palestinien d’ingénierie à l’université de Birmingham et un militant de longue date pour la justice, en particulier pour le peuple palestinien. Il est vice-président du British Palestinian Policy Council (BPPC) et membre du Comité exécutif de la Campagne de solidarité avec la Palestine (PSC). Hawwash apparaît régulièrement dans les médias comme commentateur sur les questions du Moyen-Orient. Il dirige le blog www.kamelhawwash.com. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @kamelhawwash. Il a rédigé cet article à titre personnel.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une femme brandit un drapeau palestinien alors qu’un camion passe, lors d’une manifestation contre le musicien américain Pharrell Williams primé aux Grammy Awards, près du GrandWest Casino, au Cap (Afrique du Sud), où il se produisait en concert, le 21 septembre 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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