Cinq raisons pour lesquelles Erdoğan sortira vainqueur du référendum turc
La politique intérieure de la Turquie gagne progressivement une portée internationale en raison des efforts explicites déployés par l’Europe pour influencer le référendum à venir en empêchant la tenue de rassemblements pro-Erdoğan qui avaient été autorisés auparavant.
Les dirigeants européens ont mis les forces d’opposition turques dans une situation difficile après que celles-ci ont été contraintes de condamner les nations européennes pour avoir interdit les rassemblements et empêché des ministres et des diplomates turcs détenteurs de passeports diplomatiques d’organiser des rencontres avec des ressortissants turcs.
« Si un ministre turc a été refoulé, les Pays-Bas doivent nous présenter leurs excuses », a déclaré Kemal Kılıçdaroğlu, chef du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition, lors d’un rassemblement à Istanbul. « C’est aussi simple que cela. »
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Ce que les adversaires d’Erdoğan n’ont peut-être pas compris, c’est que les fortes chances de victoire d’Erdoğan reposent sur des questions pour lesquelles ses adversaires extérieurs ne peuvent être d’aucune aide aux militants opposés au référendum.
La meilleure chose que l’Europe aurait pu faire pour contribuer au « Non » aurait été de souligner la possibilité crédible de l’adhésion de la Turquie à l’UE, bien que celle-ci soit bloquée depuis des années.
Cependant, étant donné la réaction européenne, les forces laïques turques, qui sont pour la plupart du côté de l’opposition et dont les idéaux politiques ont été inspirés par la démocratie européenne, ne voient aucune raison de soutenir le discours occidental sur la politique turque.
Au contraire, il existe parmi les Turcs un consensus de plus en plus important quant au fait que tous les partenaires occidentaux du pays et leurs alliés nationaux ne sont pas dignes de confiance, ce qui donne à Erdoğan un avantage en vue du prochain référendum.
Voici cinq raisons spécifiques pour lesquelles ces dynamiques sont susceptibles d’amener les électeurs conservateurs, nationalistes et indécis derrière Erdoğan :
1. Les adversaires d’Erdoğan ne peuvent garantir l’adhésion de la Turquie à l’UE
Tous les rapports que l’UE a publiés entre 2004 et 2014 sur les progrès de l’adhésion de la Turquie ont explicitement et généreusement reconnu le rôle joué par Erdoğan et son gouvernement dans la démocratisation des institutions turques.
En 2006, par exemple, le rapport de l’UE a salué le lancement d’émissions en kurde, dont des programmes spécialisés produits par et pour les communautés kurdes, permettant aux Kurdes d’exercer leurs droits culturels et éducatifs.
Lorsqu’Erdoğan dit à son peuple que ce sont les membres de l’UE qui trahissent la Turquie et qui retardent l’adhésion de la Turquie à l’UE, ses propos sont crédibles
Le Rapport 2007 sur les progrès accomplis par la Turquie a également salué le fait que la démocratie a prévalu cette année-là sur les tentatives de l’armée visant à interférer dans le processus politique et reconnu les progrès accomplis par les institutions publiques et les organisations de la société civile en matière de protection des femmes contre la violence.
En 2014, le rapport a fait l’éloge des mesures de démocratisation présentées en septembre 2013 par le gouvernement et salué la création de nouvelles institutions protégeant les droits et les libertés des individus.
En 2015, le Parlement européen a salué l’adoption en mars 2014 du plan d’action sur la prévention des violations de la Convention européenne des droits de l’homme, qui constituait une étape importante vers l’alignement du cadre juridique de la Turquie sur la convention.
Compte tenu des années de rapports reconnaissant les réussites d’Erdoğan et de son gouvernement, les pays européens ont vraiment besoin de travailler dur pour convaincre les électeurs turcs que ces mêmes progrès qu’ils ont vantés ont été renversés.
Ainsi, lorsqu’Erdoğan dit à son peuple que ce sont les membres de l’UE qui trahissent la Turquie et qui retardent l’adhésion de la Turquie à l’UE, ses propos sont attrayants et crédibles. Il a déjà été très proche d’obtenir l’adhésion, ce qu’ont bloqué la chancelière allemande Angela Merkel et le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy. Si Merkel perd les élections, Erdoğan pourrait potentiellement prendre un nouveau départ plus pragmatique sur cette question.
Au sein de l’opposition turque, il n’existe pas de tel programme d’adhésion solide et convaincant sur lequel l’électeur turc pourrait se reposer. En l’absence d’adhésion de la Turquie à l’UE, ils préféreraient un chef pouvant présenter plus d’alternatives que les partis laïcs ou kurdes.
2. L’opposition n’a pas de plan pour améliorer l’économie turque
L’économie turque traverse actuellement une tempête. La valeur de la lire enregistre une baisse historique par rapport au dollar et les investisseurs vivent des nuits blanches depuis le coup d’État manqué du 15 juillet. Mais qui pourra mieux gérer cette situation ?
Lors des récentes élections, Erdoğan a surtout été en mesure de conserver sa popularité en raison de sa capacité à soutenir la croissance économique du pays et à le protéger de la crise économique mondiale de 2008. Rien n’indique que les Turcs ont perdu confiance en sa capacité à gérer l’économie, pas plus que les militants favorables au « Non » n’ont proposé d’alternatives attrayantes. À court et moyen terme, Erdoğan et son parti constituent encore leur meilleur espoir.
Rien n’indique que les Turcs ont perdu confiance en sa capacité à gérer l’économie, pas plus que les militants favorables au « Non » n’ont proposé d’alternatives attrayantes
Alors que la normalisation des relations de la Turquie avec la Russie et Israël se poursuit, la reprise du tourisme est espérée pour cet été et les petits investisseurs, les milieux d’affaires et les grands groupes s’inquiètent de l’impact qu’un revers pour Erdoğan pourrait avoir sur eux.
Les relations extérieures de la Turquie sont désormais façonnées de telle sorte que son volume commercial se développe et se diversifie au-delà de l’Europe et de la Chine. Dans son commerce avec les pays du Golfe, la Turquie a obtenu un excédent de 85 milliards de dollars entre 2012 et 2015. Lors du récent sommet de l’Organisation de coopération économique à Islamabad, la Turquie a cherché à augmenter le volume des échanges commerciaux avec les pays d’Asie centrale.
Avec une économie moins dépendante de l’Europe, la Turquie jouit d’une plus grande influence pour négocier avec l’UE sur ses relations. Néanmoins, la rhétorique récente d’Erdoğan visant à se diriger vers un référendum de type « Brexit » sur le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE est une démarche que la majorité des électeurs turcs pourraient ne pas soutenir, dans la mesure où l’UE reste au centre des perspectives culturelles, sociales et économiques de la Turquie, si ce n’est de sa politique.
3. Erdoğan jouit d’une certaine confiance pour améliorer la situation sécuritaire en pleine détérioration
Avec les attentats terroristes fréquents qui ont touché le pays au cours des dernières années, la question la plus importante à l’heure actuelle pour les Turcs est peut-être la situation sécuritaire. La plupart des électeurs pensent que les groupes armés kurdes en Syrie et en Turquie, l’État islamique, al-Qaïda et le réseau de Fethullah Gülen sont responsables des attentats terroristes survenus à partir de 2015.
Les Turcs voient d’un très mauvais œil le soutien apporté par les États-Unis et l’Europe aux militants kurdes en Syrie
Compte tenu de ces attentats, les Turcs voient d’un très mauvais œil le soutien apporté par les États-Unis et l’Europe aux militants kurdes en Syrie. De même, la politique solitaire de la Turquie à Jarablus puis à al-Bab a envoyé un message fort aux Turcs indiquant que le gouvernement actuel peut progresser vers la défaite de l’État islamique sans compter sur le soutien américain. Et les alliés occidentaux de la Turquie sont considérés comme des complices de forces que le pays accuse de recourir au terrorisme contre la Turquie, en particulier le réseau güleniste et les militants kurdes basés en Europe.
Il est très peu probable que les électeurs turcs adhèrent au discours des médias occidentaux, russes et iraniens selon lequel la Turquie a contribué à aider et à promouvoir l’État islamique. Il y a seulement quelques mois, la CIA s’est officiellement excusée auprès de la Turquie pour des allégations qu’elle avait formulées en 2014 au sujet d’un commerce de pétrole entre Ankara et l’État islamique.
Le coup d’État manqué du 15 juillet a été un grand jour pour la popularité d’Erdoğan, qui a atteint un sommet historique. Bien que celle-ci ait progressivement diminué depuis, la confiance des Turcs en sa capacité à gérer la sécurité du pays demeure en grande partie intacte.
4. Erdoğan a déjà fait ses preuves en Syrie
La Turquie aurait été mise en échec en Syrie si Erdoğan n’avait pas entrepris une série de mesures correctives, dont la normalisation des relations avec la Russie et la nomination d’un nouveau Premier ministre qui aurait été selon lui plus souple et plus pragmatique en matière de politique étrangère que son prédécesseur Ahmet Davutoğlu.
Il est difficile d’imaginer que le populisme anti-immigration puisse s’avérer aussi payant en Turquie qu’au Royaume-Uni, aux États-Unis ou aux Pays-Bas
Les Turcs désapprouvent-ils réellement la politique syrienne d’Erdoğan ? Après l’augmentation de la coopération turco-russe en Syrie, leur confiance dans le leadership d’Erdoğan a également crû. Après tout, la Syrie est désormais un problème d’ordre national pour la Turquie, qui abrite trois millions de réfugiés syriens alors que l’accord UE-Turquie pour les réfugiés est pratiquement à l’arrêt.
Dans un récent discours, Kemal Kılıçdaroğlu, le chef du CHP, a joué la carte anti-immigrés syriens : « La première chose qu’ils feront si le "Oui" l’emporte sera d’accorder la citoyenneté aux Syriens. Si le "Non" l’emporte, ils ne pourront pas le faire. Si vous vous dites "Laissez mes enfants au chômage, laissez les petits commerçants devenir pauvres", alors vous voterez "Oui". »
Il est difficile d’imaginer que ce type de populisme anti-immigration puisse s’avérer aussi payant en Turquie qu’au Royaume-Uni, aux États-Unis ou aux Pays-Bas. Pour de nombreux Turcs, les Syriens sont les véritables victimes et l’ouverture humanitaire que la Turquie leur adresse revêt un intérêt à la fois religieux et politique.
5. Les électeurs sont plus intéressés par une « Turquie forte » que par une « Turquie démocratique »
Il y a toujours eu un consensus parmi les Turcs sur le fait que la constitution de 1982, rédigée et approuvée par les chefs du coup d’État militaire de cette année-là, devrait être complètement remplacée. Mais depuis lors, aucun parti politique n’a pu atteindre une majorité assez importante pour lancer le processus. En cas de « Oui » majoritaire, le référendum apportera enfin ce changement.
Parmi les nombreux amendements proposés à l’occasion du référendum, un aspect concerne la transformation du système parlementaire de la Turquie en une présidence exécutive. Mais le débat autour du référendum s’est polarisé et s’est réduit à une attention portée sur Erdoğan lui-même et son ambition d’acquérir de plus grands pouvoirs, ce qui ne permettra pas de mobiliser suffisamment les électeurs favorables au « Non ».
Les Turcs nationalistes considèrent que la campagne anti-Erdoğan en Europe est en grande partie gérée par des groupes indépendantistes pro-kurdes abrités par des pays de l’UE, tandis que dans leur campagne en vue du référendum, le MHP et l’AKP parviennent tous deux à exploiter l’hystérie occidentale contre la Turquie et l’islam. Ce discours politique en Turquie ainsi que le discours politique des alliés occidentaux du pays sur la Turquie sont source de motivation pour les jeunes électeurs turcs, qui préfèrent nettement un discours plus conservateur, plus nationaliste ou plus antioccidental au discours occidental hostile, favorable à Gülen et à l’indépendance kurde.
Tout dépend donc de la façon dont la jeune génération, désormais éduquée et prospère, interprètera la politique mondiale. Le discours occidental, qui provoque inutilement des sentiments nationalistes, pourrait pousser les jeunes électeurs à se positionner en faveur d’une Turquie forte et résistante plutôt que d’une Turquie opprimée par l’Occident. Les partis d’opposition pourraient bien ne pas sortir gagnants de cette concurrence nationaliste.
- Omair Anas, titulaire d’un doctorat en études de l’Asie occidentale, est un analyste basé à Delhi. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @omairanas
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Photo : le président turc Recep Tayyip Erdoğan au milieu de confettis lors d’un rassemblement à Istanbul, le 11 mars 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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