La vie de l’autre côté du mur : Israël néglige les résidents palestiniens de Jérusalem
Bien que faisant techniquement partie de Jérusalem, le village de Kufr Aqab (à l’extrême nord de la municipalité) se retrouve ignoré des services municipaux et n’est pas desservi ; il se trouve qu’il est coupé en deux par le mur de séparation qui délimite la frontière entre Cisjordanie et Israël.
Devant la quincaillerie de Raed Abdullah, dans le village palestinien, la puanteur des déchets en feu est épouvantable – l’odeur âcre colle au palais, et démange le palais de ceux qui jeûnent en ce mois du Ramadan.
Abdullah rappelle avoir, il y a cinq jours, sollicité la municipalité pour se plaindre de la situation.
« J’ai appelé pour leur préciser où se trouvait les ordures et que celles-ci propagent des maladies, mais personne n’a daigné se déranger », dit-il à Middle East Eye.
Suite à la guerre des Six jours, Kufr Aqab est, depuis 50 ans cette semaine, occupé par Israël. Il a alors été intégré à l’intérieur des nouvelles frontières municipales, à l’extrême nord de Jérusalem. De ce fait, quand Israël a annexé unilatéralement la moitié orientale de Kufr Aqab, cette zone a de facto fait partie de ce qu’Israël considère sa « capitale éternelle et indivisible ».
Cependant, quand Israël a, au début des années 2000, construit le mur qui traverse de nombreux territoires de la Cisjordanie occupée, Kufr Aqab s’est retrouvé au nombre des quartiers palestiniens de Jérusalem qui se sont retrouvés coupés de la ville.
La vie avant le mur
Les 60 000 villageois ont conservé leur carte d’identité attestant qu’ils habitent bien Jérusalem – et continuent d’y payer leurs impôts – mais ils ne bénéficient plus de la plupart des services municipaux, objectent nombre de résidents.
« Avant le mur, la vie était très agréable ici », se souvient Abdullah. « Les rues étaient propres, nous étions bien desservis et vivions dans un état de droit. Mais du jour où sont arrivés le mur et son poste de contrôle, tout s’est compliqué. »
Les résidents de cette région habitent désormais une espèce de no-man’s land : l’armée israélienne y entre quand il s’agit de procéder à des arrestations pour motifs de sécurité, mais la police israélienne refuse d’y intervenir pour lutter contre la criminalité, alors même qu’Israël a décrété que la police palestinienne n’a pas le droit d’y intervenir.
Sameh Abu Rumeilah, élu municipal de la partie du village sous contrôle de l’Autorité palestinienne (AP), explique à Middle East Eye que les taux de criminalité sont extrêmement élevés hors de la juridiction de l’AP.
« Il n’y a pas de sécurité ici. On y trouve des drogues, de l’agitation sociale, des violences contre les femmes. Tout ce que vous cherchez, vous le trouverez ici à Kufr Aqab, malheureusement. »
Il explique que des centaines de fugitifs des autorités palestiniennes vivent dans la région, parce qu’ils savent qu’ici ils ne risquent pas de se faire arrêter.
Les constructions illégales poussent comme des champignons ; c’est l’une des conséquences de cette anarchie.
« Il n’y a pas de sécurité ici. On y trouve des drogues, de l’agitation sociale, des violences contre les femmes. Tout ce que vous cherchez, vous le trouverez ici à Kufr Aqab, malheureusement. »
- Sameh Abu Rumeilah, élu local
La municipalité fournit bien quelques services – dispensaires et petit entretien des routes – mais plus aucun inspecteur immobilier n’intervient dans la région. Ce qui signifie qu’à la différence d’autres régions de Jérusalem-Est, où les chantiers palestiniens sont surveillés de très près, le bâtiment est en pleine expansion ici.
On voit partout des grues, des camions de ciment, et s’élever une foule de très hautes tours, tapissées de plaques en pierre blanche et surmontées d’une batterie de réservoirs d’eau peints en noir.
« Tous ceux qui bâtissent ici sont des escrocs. Les terrains ne leur appartiennent pas légalement, et je ne vous parle pas des permis de construire », regrette Abu Rumeilah.
Les enfants n’ont aucun endroit où jouer
Manal, une résidente, s’indigne des affreuses conditions de vie offertes à ses enfants. « Aucune aire de jeu n’a été prévue ; ils en sont donc réduits à s’amuser dans la rue ou dans les immeubles. Les rues ne sont pas sûres, pas plus que les bâtiments », déplore-t-elle, évoquant la mort récente d’une fillette, tombée du septième étage d’un bâtiment à proximité.
Cette région peut sembler peu attrayante, mais les régions comme Kufr Aqab offrent un refuge aux Palestiniens de Jérusalem. Dans une ville où quatre Palestiniens sur cinq vivent au-dessous du seuil de pauvreté, le gouvernement israélien estime maintenant qu’au moins 140 000 personnes habitent les zones situées à l’extérieur du mur – sur les 316 000 résidents palestiniens de Jérusalem Est.
Dans les commerces, les prix sont jusqu’à 30 % inférieurs et les loyers considérablement moins chers que dans quartiers plus proches du centre de Jérusalem, avant le mur.
« Quel est votre principal lieu de vie ? » demandent les autorités israéliennes aux Palestiniens de Jérusalem-Est. En cas de doute sur leur lieu de résidence, à eux de prouver où ils passent le plus clair de leur temps. Ces gens doivent donc montrer qu’Israël – et Jérusalem-Est en fait partie de l’avis même du gouvernement israélien – est bien la zone où ils vivent la plupart du temps. Les Palestiniens sont tenus de le prouver en produisant contrats de location, factures, règlements fiscaux et inscriptions des enfants à l’école
En outre, habiter une région toujours considérée par le gouvernement israélien comme faisant partie d’Israël permet aux résidents de passer avec succès le test du « lieu de vie principal », et leur garantit ainsi d’avoir droit aux prestations sociales israéliennes – mais aussi et surtout d’obtenir le statut de résidents.
S. et R., un couple de palestiniens a, au début des années 1980, déménagé à Ramallah, en Cisjordanie occupée. S est résident de Jérusalem-Est, alors que R est citoyenne israélienne. À cette époque, rien n’exigeait de maintenir leur lieu de vie principal à l’intérieur d’Israël, mais tout a changé après 1995.
La première fois que S a compris que son statut de résident – et donc toutes les prestations sociales ouvertes à sa femme – étaient remis en question, ce fut au dispensaire municipal.
« Je suis allé au dispensaire pour signaler qu’on m’avait supprimé mon assurance maladie », raconte S.
« Nous n’avions pas payé l’arnona [la taxe d’habitation israélienne] parce que nous résidions à Ramallah. »
Comme ce couple ne voulait pas abandonner la maison qu’il habitait depuis 30 ans, il a décidé de louer temporairement un autre appartement à Kufr Aqab, afin d’avoir droit aux prestations sociales israéliennes.
« C’est affreux de devoir louer un 40m² pour 600 dollars par mois, et payer aussi 2 300NIS [650 dollars] d’impôts chaque année, juste pour conserver ces avantages et ma carte d’identité », se lamente S.
Finalement, le couple a conservé ses prestations, non sans avoir subi (avec succès) toute une série de visites surprise par un inspecteur municipal – qui semblait néanmoins savoir dès le début qu’ils étaient propriétaires d’une maison à Ramallah. Pour ne pas risquer de devoir de nouveau recommencer ce processus, le couple continue de payer l’arnona sur sa propriété à Kufr Aqab.
Contrairement aux Palestiniens résidant à Jérusalem ou à ceux possédant la citoyenneté israélienne tout en vivant en Cisjordanie, il est considéré que les juifs habitant les colonies israéliennes en Cisjordanie – illégales aux termes du droit international – n’ont pas déménagé leur lieu de vie principal à l’extérieur d’Israël.
Il est certes courant de n’avoir droit aux services municipaux qu’en échange de régler la taxe d’habitation, mais perdre les autres prestations sociales – sans parler du droit d’accès à la ville où se trouve son propre lieu de résidence – est tout à fait anormal et, en l’espèce, cette mesure frappe les principalement les Palestiniens.
À partir de 2013, environ 14 000 Palestiniens de Jérusalem-Est ont perdu leur statut de résidents de la ville depuis 1967 – la majorité depuis 1995 –, estime B’Tselem, association israélienne de défense des droits de l’homme.
La municipalité de Jérusalem déclare avoir beaucoup investi dans la moitié est de la ville pendant le mandat du maire actuel, Nir Barkat, et affirme avoir dépensé des centaines des millions de shekels pour l’entretien des routes, l’ouverture de centaines de salles de classes et pour avoir récemment pris l’initiative d’installer des centaines de plaques indiquant le nom des rues.
Embarras gouvernemental
« Malheureusement, les problèmes de sécurité rendent d’autant plus difficiles les tentatives de réduire les disparités dans les zones situées désormais à l’extérieur de la clôture de sécurité », lit-on dans une déclaration fournie à Middle East Eye. « La municipalité s’efforce constamment de relever ces défis en s’adressant au plus haut niveau politique. »
Les résidents mettent en avant cette fameuse initiative de nommer les rues pour démontrer que les arguments sécuritaires de la municipalité sont irrecevables. « Des employés municipaux sont bien venus ici pour installer les plaques – Puisqu’ils l’ont fait sans problème, pourquoi donc serait-il impossible à d’autres d’intervenir ici ? », demande Abdullah.
Daniel Seidemann, avocat israélien spécialiste de géopolitique à Jérusalem, confirme combien cette situation embarrasse le gouvernement, mais qu’il n’est guère en mesure de changer quoi que ce soit.
« Ils ne seront pas en mesure de modifier le statut de ces gens pour en faire des résidents de Jérusalem. Il est désormais question de créer des sous-municipalités, pour donner l’apparence qu’elles relèvent de l’autonomie palestinienne. Mais on ne cherche là qu’à dégager Israël de ses responsabilités et ce n’est qu’une manœuvre de plus pour, en désespoir de cause, nier la réalité de l’occupation. »
« Cette ville était pleine de vie avant », se souvient Abu Rumeilah, élu local. « Les plus riches habitants de Jérusalem possédaient des maisons ici. On se connaissait bien entre voisins. Maintenant, on habite une ville fantôme. »
Traduit de l’anglais (original) par [email protected].
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