Catalans et Kurdes : deux mondes différents mais un même rêve d’indépendance
BARCELONE, Espagne – Des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues de la Catalogne cette semaine pour protester contre la violence qui a marqué le référendum pour l’indépendance de la région.
Selon la police locale de Barcelone, gérée par la mairie, 700 000 personnes se sont rassemblées au centre-ville pour lancer une grève générale à l’initiative de plusieurs syndicats et partis politiques.
Mardi, une manifestation de masse s’est organisée à peine 48 heures après l’envoi par le gouvernement espagnol à Madrid de 10 000 policiers et agents anti-émeute – de la police nationale et de la Garde civile – pour empêcher la tenue du référendum sur l’indépendance organisé par la région, car il le juge illégal.
Cette initiative a déclenché des violences. Bilan : 840 civils blessés, selon les autorités catalanes. Madrid prétend que plus de 400 de ses agents ont eux aussi été blessés.
Pendant le scrutin, Barcelone s’est parée de milliers de drapeaux : non seulement de la Catalogne mais aussi d’autres régions en quête d’autonomie, dont le Pays basque et l’Écosse.
On a aussi vu des Kurdes brandir des drapeaux. Ils avaient organisé un scrutin semblable une semaine plus tôt – mais sans la violence constatée en Catalogne.
Mohammed Hussein, 37 ans, est un journaliste kurde qui vit dans la capitale catalane, où, depuis septembre, il prépare une maîtrise en économie.
« Ce qui s’est passé à Barcelone pendant le référendum m’a profondément surpris et choqué », confie-t-il. « Je n’aurais jamais imaginé une violence policière d’une telle ampleur dans un pays européen comme l’Espagne, et simplement à cause d’idées politiques ».
En quoi diffèrent-ils ?
Les dirigeants du Kurdistan irakien et de la Catalogne ont beau vouloir tous les deux obtenir leur indépendance – ces deux jeunes États sont très différents.
Lors du référendum du 1er octobre, environ 2,2 millions d’électeurs – 42 % des inscrits – ont voté en Catalogne, presque 90 % d’entre eux en faveur de l’indépendance, d’après les autorités catalanes.
Comparé à un taux de participation de 72 % constaté au Kurdistan irakien, où 92 % des électeurs ont voté pour l’indépendance.
La Catalogne est l’une des régions les plus riches d’Espagne, grâce à sa florissante économie, fondée sur l’industrie et le tourisme. À elle seule, cette région contribue pour 19 % au PIB de l’Espagne et pour plus d’un quart, aux exportations étrangères du pays.
Quant au Kurdistan irakien, il représente environ 20 % de la population irakienne : son économie repose principalement sur le pétrole, bien qu’il cherche aussi à diversifier ses activités dans les secteurs du ciment et de l’immobilier, entre autres.
« Si les contextes politiques respectifs sont très différents, Catalogne et Kurdistan tiennent à former leur propre État », relève Hussein. « Malheureusement, leurs dirigeants, à Madrid comme à Bagdad, ne respectent pas le droit à l’autodétermination ».
Bagdad rend la vie dure aux Kurdes
Le gouvernement irakien a jugé le scrutin kurde, qui n’est pas exécutoire, illégal. À l’image de quelques pays voisins, dont l’Iran et la Turquie, il a imposé des sanctions au Gouvernement régional du Kurdistan (KRG).
Parmi les premières mesures, Bagdad a imposé un embargo sur les vols internationaux, à partir et à destination du Kurdistan.
Hussein s’inquiète de ne pas pouvoir retourner dans sa ville natale, Souleimaniye, suite à la fermeture des aéroports internationaux de cette ville et d’Erbil. « Puisque, ethniquement, je suis Kurde, il s’avère dangereux pour moi d’emprunter des vols domestiques via Bagdad », conclut-il.
La Turquie et l’Iran ont tous les deux fermé quelques postes de contrôle aux frontières ainsi que l’espace aérien commun avec la région kurde, et ont effectué des manœuvres militaires le long de leurs frontières. Et le parlement de Bagdad a demandé à la cour fédérale de lever l’immunité parlementaire des députés kurdes pro-indépendance, pour qu’ils soient passibles de poursuites.
Sa’di Ahmed Pira, membre du bureau politique de l’Union patriote du Kurdistan (PUK), affirme qu’il est « irresponsable d’aller imposer des sanctions illégales et créer un problème entre Kurdes et chiites au parlement irakien ».
De nombreux partisans de l’indépendance catalane, tout en s’impliquant dans leur propre campagne, ont soutenu les Kurdes.
Selon Cèlia Appel, porte-parole du SEPC, principal syndicat étudiant en Catalogne, « l’attitude de Bagdad est un nouvel exemple d’une répression mise au service d’un État afin de contrôler son peuple. Il est indispensable de le souligner et de le condamner. Les Kurdes doivent continuer à combattre et descendre dans la rue parce que c’est comme cela que ça se passe. Si l’on suit la voie institutionnelle, on n’arrive à rien ».
Madrid s’oppose au projet catalan
Ces sept derniers jours, les événements en Catalogne se sont emballés avec autant de frénésie qu’à des milliers de kilomètres, au Kurdistan irakien.
Au cours des dernières semaines, des centaines d’étudiants ont occupé les principales universités publiques pour manifester leur désapprobation face à l’attitude du gouvernement espagnol.
Felipe IV, roi d’Espagne, dans une rare allocution télévisée à la nation mardi soir, en a appelé à l’unité et a déploré l’« extrême gravité » de la situation. Il a accusé les dirigeants catalans à l’initiative du référendum « d’enfreindre les principes démocratiques de l’État de droit » et a exprimé des mises en garde contre le risque de « fracture de la société catalane ».
Mardi 10 octobre, le président séparatiste Carles Puigdemont a signé une déclaration d’indépendance qu’il a immédiatement suspendue en vue d’un très hypothétique dialogue avec Madrid.
Vendredi, la cour constitutionnelle d’Espagne avait décidé de suspendre la séance du parlement régional pour empêcher le gouvernement catalan de faire une déclaration unilatérale d’indépendance.
Pour manifester sa solidarité avec les Catalans, Brino Tamo, homme d’affaires de 60 ans originaire de Kobané (région kurde de la Syrie) mais résidant en Catalogne depuis trente ans, a baissé le rideau de ses cinq magasins de prêt à porter à Barcelone, en soutien à la grève générale.
« Après être allé voter, j’ai passé toute la journée à protéger les bureaux de vote et à aider les organisateurs du référendum », raconte Brino – qui a voté pour l’indépendance catalane.
Eulalia Reguant, député catalan au CUP (parti de gauche séparatiste), dit avoir reçu le soutien des organisations kurdes et de plusieurs partis politiques. Le CUP entretient des liens étroits avec le Parti démocratique des peuples (HDP) en Turquie.
« Après être allé voter, j’ai passé toute la journée à protéger les bureaux de vote et à aider les organisateurs du référendum »
- Brino Tamo, homme d’affaires kurde
« Le mouvement HDP sait bien que l’État turc est répressif, mais jamais il n’aurait cru possible une telle violence dans un État membre de l’UE », déplore-t-elle.
De nombreux Kurdes relèvent que les violences en Catalogne ont été d’une intensité supérieure à celles au Kurdistan.
Pira souligne que les Kurdes ont soutenu le droit des Catalans à l’autodétermination et selon lui, la façon dont la police espagnole a essayé de maintenir l’ordre et la sécurité pendant le scrutin était inhumaine. « Au Kurdistan, nous n’avons eu à déplorer aucun incident violent pendant le référendum – que nous avons célébré il y a huit jours », précise-t-il.
Hussein poursuit : « Le référendum kurde a été organisé et s’est déroulé sans problèmes parce que les forces peshmergas, curieusement, peuvent s’avérer plus fortes que l’armée irakienne. En Catalogne, il n’y a pas de militaires, seulement une police ».
Violences à l’horizon
Les Kurdes qui résident en Catalogne nourrissent de grands espoirs pour l’avenir du Kurdistan irakien. Tamo explique à MEE que la région se comporte depuis des années comme un État semi-indépendant. « Son armée est puissante et les Kurdes ont le contrôle des frontières. Ils ont aussi aidé le gouvernement irakien à déloger l’EI d’un grand nombre de territoires. Le Kurdistan irakien déclarera très bientôt son indépendance. »
De même, Hussein se veut optimiste et espère que la situation ne dégénèrera pas dans ces deux pays.
Cependant, prévient-il, « les violences sont moins probables en Catalogne qu’au Kurdistan, où l’éventualité d’une guerre civile est toujours d’actualité ».
Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.
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