Bénédiction ou malédiction colossale ? Ce que signifie être Israélien aujourd’hui
Quand j’ai quitté Israël il y a dix ans, les médias n’étaient pas encore saturés par une agression sans pitié envers tout ce qui était palestinien. On pouvait encore entendre, ici et là, des voix dissidentes.
Quel genre d’être humain peut résulter d’une vie remplie d’actes de vol et d’oppression organisés ?
Aujourd’hui, regarder ou écouter un programme d’information israélien est devenue une tâche pénible. Tous les journalistes israéliens, presque sans exception, se sont érigés en défenseurs de la patrie, avec passion et violence.
Le journalisme à proprement parler a presque disparu. Certains appellent explicitement à un massacre aveugle des manifestants palestiniens, tandis que d’autres – dans la presse écrite – ont même encouragé, dans leurs tribunes, les soldats israéliens à violer des adolescentes palestiniennes.
Sionisme et Holocauste
Il va sans dire qu’aucun journaliste israélien n’a jamais été poursuivi ni interrogé pour incitation à la violence. Bien sûr, les médias israéliens ne sont pas une bulle de colère au sein d’une société aimante. Ils font écho à toutes les autres sphères de la société.
J’en suis venu à me demander dans quelle mesure le sionisme est comparable, en ce qui concerne son impact – catastrophique – sur le peuple juif, à l’Holocauste. Dans l’histoire moderne, rien n’a davantage influencé la vie juive que ces deux phénomènes.
Je ne me penche pas ici sur la terrible situation existentielle que le sionisme a engendrée pour les Palestiniens, mais sur la façon dont la vie des Israéliens a été façonnée et, plus généralement, dont la judéité a été affectée au cours du processus de création et de maintien de cette situation.
Dès leur naissance, les Israéliens sont entraînés à devenir des oppresseurs actifs
Nous ne devrions pas supposer que les Israéliens ne retirent qu’avantages et privilèges de leurs actes de colonisation des Palestiniens. La question que je pose est la suivante : quel genre d’être humain peut résulter d’une vie remplie d’actes de vol et d’oppression organisés ?
La « réponse juive » que le sionisme a laborieusement construite au cours des cent dernières années corrompt les âmes de ceux qui le pratiquent et le soutiennent. Dans le projet de dépossession des Palestiniens, les Israéliens ont choisi d’être ceux qui dépouillent.
Dans le monde entier, le poing du sionisme est venu hanter les juifs sous de nouvelles formes. Des communautés juives de la diaspora qui font face à une sorte d’antisémitisme qui est un mélange confus de vieux élans raciaux et religieux, relevé d’un reproche envers un Israël devenu fou, à une autre forme de judéité extrêmement déconcertée par l’admiration inquiétante de l’extrême droite pour Israël.
Cependant, pour lever tout doute, mes pensées ici ne dérivent pas, ni ne revendiquent, aucune sorte d’équivalence de la souffrance et de la victimisation entre colonisateurs et colonisés, entre colons et indigènes. C’est plutôt la pathologie de l’oppresseur que j’examine.
Oppresseurs actifs
Dès leur naissance, les Israéliens sont entraînés à devenir des oppresseurs actifs. Être soldat est un moment charnière dans cette formation, mais pas le seul. Dans la société israélienne, être de bons parents signifie sacrifier, corps et âme, sa progéniture, tandis que les enseignants participent à l’endoctrinement formel au quotidien.
Dans un système qui vous forme aux arts de la violence physique et politique en contrepoint du privilège et du plaisir, on est destiné à devenir un oppresseur enthousiaste.
Du point de vue des opprimés, la diversité raciale, ethnique, religieuse et de genre de l’oppresseur n’a aucune signification tant qu’elle sert une cause commune. Peu importe pourquoi des juifs israéliens d’origine diverses ont adhéré à cette cause commune, ou à quel point ils se sentent satisfaits de leur part du butin.
Idéologie, pragmatisme ou juste inertie, le résultat est le même : les juifs israéliens partagent une tragédie et ils en ont infecté leurs frères de la diaspora. C’est la tragédie d’un peuple qui a incarné la haine comme condition de vie, en chair et en os, en pratique, en émotion et en pensée.
Et telle une malédiction colossale de Dieu, cette tragédie n’est pas combattue mais célébrée.
Comment un peuple se libère-t-il des plaisirs de l’oppression ? Pas à pas, en abandonnant les rôles, les fonctions et les avantages fournis au cours du processus par lequel on devient israélien
Pendant les périodes catastrophiques, la première question significative est comment guérir. La monstruosité de l’Holocauste juif n’a pas décimé toutes les ressources émotionnelles. Certains parmi les juifs du monde ont – en raison de leurs terribles expériences en Europe – créé un endroit d’amour universel.
Ce faisant, ils ont laissé un héritage au monde : nous avons survécu à l’Holocauste et vaincu la haine qui l’a imprégné. Mais ce n’est pas le cas d’Israël.
Malédiction ou bénédiction ?
Le sionisme s’est approprié l’Holocauste juif pour en faire une excuse à la violence juive, et les Israéliens, en embrassant leur propre catastrophe dans une vie consacrée à la pratique de l’oppression, abandonnent l’idée de se débarrasser de cette tragédie.
En d’autres termes, la malédiction a été transformée en bénédiction.
Ainsi, ce qui est accompli au nom de Sion ne fait pas l’objet d’un déni, comme certains le prétendent. Prétendre que les Israéliens sont dans le déni face à l’horreur de leurs actions ne signifie pas simplement renoncer à l’idée que le sionisme est un projet respectable qui – à un moment donné – a mal tourné, et que ce mal doit être reconnu, comme si cette reconnaissance consciente était le seul obstacle à la transformation de la réalité.
À LIRE : Le véritable problème est le sionisme, pas l’occupation
La vérité doit être dite à haute voix : dans la constitution pratique du sionisme en Palestine, tout était faux. Depuis longtemps, la paralysie de l’existence palestinienne a été intériorisée comme une condition du progrès juif. Deux qui sont un.
Comment un peuple se libère-t-il des plaisirs de l’oppression ? Pas à pas, en abandonnant les rôles, les fonctions et les avantages fournis au cours du processus par lequel on devient israélien.
Les pratiques sionistes doivent être retirées de notre menu social. Il n’y a vraiment pas d’autre moyen. Contre les tentatives de la société pour vous maintenir dans ses rangs, il faut persévérer dans ce long travail.
Mais on n’est jamais seul, car les pionniers sont là. Aux côtés de la lutte ardue que mènent les Palestiniens, laisser derrière nous les pratiques et les modes d’existence qui ont fait des Israéliens les maîtres de l’oppression dans le monde est le moins que l’on puisse faire pour contribuer à la libération de toutes les personnes vivant du fleuve à la mer.
- Marcelo Svirsky est maître de conférences à la School for Humanities and Social Inquiry de l’Université de Wollongong en Australie. Il étudie les sociétés colons-colonisés, en particulier Israël et la Palestine, et se concentre sur les questions de transformation sociale et de décolonisation.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des personnes se rassemblent pour assister aux funérailles de la plus haute autorité spirituelle des juifs ultra-orthodoxes en Israël et dans le monde, le rabbin Aaron Yehuda Leib Shteinman, dans la ville israélienne de Bnei Brak, le 12 décembre 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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