« Ils font de notre vie un cauchemar » : les Palestiniens confrontés à la violence des colons
URIF, Cisjordanie occupée – Dans le nord vallonné de la Cisjordanie, sur les collines entourant la ville palestinienne de Naplouse et une douzaine de plus petits villages, se dresse une ceinture de colonies israéliennes notoirement violentes, semblables à des tours de guet.
La plus tristement célèbre de ces colonies, qui ont toutes été construites en violation du droit international, est celle de Yitzhar qui, avec ses avant-postes contigus, abrite plus de 200 militants israéliens.
Pour les Palestiniens vivant dans les six villages de la vallée située en contrebas de Yitzhar, plusieurs attaques de colons se produisent chaque mois. Et au cours des dernières semaines, les colons ont intensifié leur offensive contre les villages, faisant subir à la population des attaques quasi quotidiennes.
Selon des activistes et des habitants de ces villages qui se sont entretenus avec Middle East Eye, les attaques, et les événements qui s’ensuivent, se déroulent presque toujours de la même manière : des colons font irruption dans un village, des jeunes palestiniens tentent de les repousser vers les collines et des soldats israéliens arrivent pour protéger les colons et réprimer les Palestiniens avec des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des tirs à balles réelles.
Ce schéma bien documenté a atteint son paroxysme le samedi 10 mars, lorsqu’Omeir Shahada, 19 ans, a été tué par des soldats israéliens au cours d’un de ces raids de colons dans le village d’Urif, où un groupe de maisons palestiniennes se trouve à seulement 200 mètres de Yitzhar.
« Nous risquons toujours de mourir »
Juste avant le coucher du soleil, un groupe d’une trentaine de colons est descendu dans la périphérie d’Urif et a commencé à attaquer les habitants et leurs maisons avec des pierres, selon plusieurs témoins.
Shahada et ses amis, qui, comme lui, travaillent dans la construction dans le village, ont été informés des attaques et ont pris la route vers le sommet de la colline avec plusieurs autres jeunes du village.
Comme d’habitude, des affrontements ont éclaté entre les colons et les jeunes qui tentaient de les repousser et en l’espace de quelques minutes, les forces armées israéliennes sont arrivées dans le secteur.
Ahmad Sabah, 21 ans, l’un des meilleurs amis de Shahada, était sur les lieux avec lui ce jour-là.
« Quand les soldats sont arrivés, ils ont couvert les colons, comme ils le font habituellement », a-t-il raconté à MEE en marchant là où Shahada a été tué, avant d’ajouter que les soldats lançaient depuis le début des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes en direction des jeunes.
« Il ne leur a pas fallu longtemps pour commencer à nous tirer dessus à balles réelles. Beaucoup ont vu les lasers des snipers pointés sur eux pendant les affrontements. »
L’armée israélienne a reconnu avoir tiré à balles réelles et soutient que l’incident fait actuellement l’objet d’une enquête.
Durant l’agitation et alors que les jeunes essayaient de repousser les colons et d’esquiver les tirs des soldats, Shahada a reçu deux balles dans le torse – une de chaque côté –, tandis qu’un autre garçon de 16 ans a reçu une balle à la jambe, selon sa famille et ses amis.
« Bien sûr, je me dis que si les soldats ne nous avaient pas arrêtés au check-point, ces quinze minutes supplémentaires auraient peut-être pu lui sauver la vie »
– Ahmad Sabah, ami d’Omeir Shahada
Sabah et un autre ami ont évacué Shahada et quitté le village à la hâte à bord d’une voiture privée pour rallier l’hôpital le plus proche – situé à quinze kilomètres, dans la ville de Naplouse.
« Lorsque nous sommes arrivés au poste de contrôle militaire de Huwwara, les soldats ont arrêté notre voiture et refusé de nous laisser passer. Nous avons eu affaire à eux pendant quinze minutes avant qu’ils ne nous laissent passer », a raconté Sabah à MEE.
Mais à leur arrivée à l’hôpital, il était trop tard. Shahada avait succombé à ses blessures et Sabah avait perdu son meilleur ami.
« J’étais dévasté et je le suis toujours, a-t-il confié. Bien sûr, je me dis que si les soldats ne nous avaient pas arrêtés au check-point, ces quinze minutes supplémentaires auraient peut-être pu lui sauver la vie. »
Secouant la tête d’incrédulité, Sabah a laissé apparaître un sourire timide sur son visage.
« Vous savez, pendant que nous montions vers la montagne, Omeir a plaisanté en disant que s’il devait devenir un martyr ce jour-là, il nous aurait fallu trouver quelqu’un d’autre pour travailler avec nous.
« Il savait et nous savions tous que nous risquons toujours de mourir en affrontant les colons. Comment pouvions-nous savoir que c’était lui qui allait mourir ce jour-là ? »
Au conseil du village où la famille de Shahada recevait des habitants endeuillés pour la troisième journée consécutive, Sabah s’est assis à côté du frère aîné de son ami défunt, Ibrahim, et de son père, Omar.
Pour la famille, les colons sont tout aussi responsables de la mort de Shahada que les soldats qui l’ont abattu.
« Les soldats et les colons sont les mêmes, a déclaré Omar. Il n’y a pas de différence entre les deux. »
« Les soldats et les colons sont les mêmes […] Il n’y a pas de différence entre les deux »
– Omar Shahada, père d’Omeir Shahada
Interrogés quant à savoir s’ils comptaient réclamer justice pour le meurtre d’Omeir, Ibrahim a laissé échapper un léger rire, tandis qu’Omar a répondu avec indignation : « Pourquoi ? À quoi bon ? Les soldats qui ont tué mon fils seront ceux-là mêmes qui prendront la décision sur son cas au tribunal », a-t-il déclaré, en référence aux tribunaux militaires israéliens que des groupes de défense des droits de l’homme ont qualifiés de « tribunaux bidons ».
Le groupe israélien de défense des droits de l’homme Yesh Din a rapporté que 75 % des enquêtes menées par Israël sur des attaques commises contre des Palestiniens pour des raisons idéologiques étaient closes « en raison de défaillances policières ».
« Les soldats et les colons ont tué de nombreuses personnes avant Omeir et rien de mal ne leur est arrivé. Mon fils n’était pas leur première victime et ne sera pas la dernière », a déploré son père.
Les habitants craignent un nouveau « Dawabsheh »
Middle East Eye a échangé avec des habitants et des activistes de quatre des six villages entourant la colonie de Yitzhar : Urif, Madama, Burin et Asira al-Qibliya.
Racontant des décennies d’attaques lancées par des colons israéliens, dont plusieurs ont fait des victimes, tous les Palestiniens, y compris la famille de Shahada, ont mentionné la famille Dawabsheh.
En 2015, des jeunes colons israéliens sont entrés dans le village de Douma, situé dans la région de Naplouse, à une trentaine de kilomètres au sud-est d’Urif, et attaqué la maison de la famille Dawabsheh à la bombe incendiaire.
Âgé de 8 mois, Ali Dawabsheh a été brûlé vif dans l’incendie, tandis que ses deux parents ont succombé plus tard à leurs blessures. Seul Ahmad, alors âgé de 4 ans et gravement brûlé sur tout le corps, a survécu.
« Il y a cette peur constante que les gens éprouvent chaque fois que les colons attaquent nos villages, celle de subir le même sort que les Dawabsheh », a déclaré à MEE Hakmeh Hassan, directrice d’un conseil de femmes local dans le village d’Asira al-Qibliya.
Elle s’est exprimée avec agitation et franc-parler au sujet des attaques lancées depuis de nombreuses années sur le village par les colons, qui incendient et abattent des oliviers, tuent du bétail et détruisent constamment les propriétés des habitants.
« Deux garçons d’Asira, des frères, ont été tués à quelques années d’intervalle au début des années 2000 », a indiqué Hassan, qui estime qu’au moins dix Palestiniens ont été tués directement par des colons de Yitzhar ou par des soldats israéliens suite à des attaques lancées par les colons depuis la création de la colonie en 1984.
« Le mois dernier, des colons sont arrivés au milieu de la nuit et ont commencé à attaquer une maison avec de jeunes enfants à l’intérieur. Ils ont cassé toutes les fenêtres et ils allaient mettre le feu à la maison, mais Dieu merci, des gens du village sont arrivés à temps pour chasser les colons avant qu’ils ne brûlent la maison. »
Hakmeh Hassan a soupçonné les assaillants d’appartenir à l’organisation nationaliste religieuse des Jeunes des collines – qu’elle a qualifiée d’organisation terroriste. MEE n’a pas pu vérifier ses dires.
Les membres de cette organisation sont responsables de dizaines de crimes de haine, ou attaques du « prix à payer » (Price Tag), contre les Palestiniens et leurs possessions. Depuis plusieurs années, la colonie de Yitzhar est de fait étroitement liée au mouvement du « prix à payer ».
Nombreux sont ceux qui attribuent la fondation de Yitzhar à la yechiva Od Yosef Chai, une école aujourd’hui fermée. Située dans la colonie, l’école religieuse était dirigée par le rabbin Yitzhak Ginsburgh, inculpé en 2003 pour incitation au racisme pour son livre Tipul Shoresh, dans lequel il demandait l’expulsion des Palestiniens d’Israël et des territoires palestiniens. Les charges ont été abandonnées lorsqu’il a publié plus tard une « lettre de clarification ».
« Il y a cette peur constante que les gens éprouvent chaque fois que les colons attaquent nos villages, celle de subir le même sort que les Dawabsheh »
– Hakmeh Hassan, directrice d’un conseil de femmes local
C’était dans cette yechiva, a-t-on rapporté, que les rabbins encourageaient les étudiants à attaquer les Palestiniens et leurs possessions ainsi que les forces de sécurité israéliennes, certains colons semblant croire que les autorités « protègent » injustement les Palestiniens.
En 2010, un autre rabbin de Yitzhar, Yitzhak Shapira, a été arrêté, suspecté d’avoir incendié une mosquée. Il a été relâché quelques heures seulement après son arrestation.
Shapira est l’auteur d’un livre intitulé The King’s Torah, dans lequel il a affirmé que la loi juive autorisait les juifs à tuer des civils non juifs. Il a également plaidé en faveur de l’expulsion ou du génocide de Palestiniens de plus de 13 ans.
« À Yitzhar, ces jeunes colons sont radicalisés, on leur apprend à haïr les Palestiniens et à nous attaquer », a affirmé Hassan, qui a ajouté qu’à de nombreuses occasions, les colons transformaient ces raids dans les villages palestiniens en événements familiaux où les parents emportent leurs enfants avec eux.
Plus tôt ce mois-ci, Yesh Din a rapporté qu’au cours des dernières semaines, les colons avaient intensifié leurs attaques contre les Palestiniens dans les environs de Yitzhar.
Entre février et mars uniquement, les colons ont attaqué des habitations et des civils à Asira al-Qibliya et Huwwara avec des pierres, mais aussi battu des fermiers et massacré des moutons dans le village d’Einabus ; certains auraient également tenté d’enlever deux enfants palestiniens dans le village de Madama.
Début mars, les colons ont déclenché des affrontements dans le village de Burin lors desquels des soldats israéliens ont fini par lancer une grenade assourdissante sur un couple palestinien qui tentait d’évacuer les lieux avec son bébé de 5 mois, selon l’ONG.
Hakmeh Hassan ne s’attend pas à ce que ces attaques quasiment quotidiennes se calment de sitôt et accuse à la fois le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne (AP) d’être responsables de la poursuite des violences.
« Les colons deviennent chaque jour de plus en plus agressifs. Et malheureusement, l’AP est inutile, elle ne peut rien faire », a-t-elle soutenu, soulignant le fait que l’Autorité palestinienne n’avait aucune compétence à l’égard des 600 000 colons vivant en territoire palestinien occupé.
« Depuis des années, ils font de notre vie un cauchemar dans ces six villages et ils continueront d’agir ainsi tant que les deux gouvernements le leur permettront. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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