Jordanie : les manifestants en veulent aussi à leur roi, ce « demi-dieu »
DHIBAN, Jordanie– Dhiban, petite ville jordanienne située à 70 kilomètres au sud de la capitale Amman, à l'est de la mer Morte, est célèbre pour ses histoires politiques, anciennes et modernes.
Avant le IXesiècle avant Jésus-Christ, Dhiban était la capitale de Mesha, roi de Moab. La stèle Mesha, découverte à Dhiban en 1870 par une mission archéologique britannique, raconte comment le roi Mesha vainquit les Israélites et libéra les terres de Moab de leur domination.
Selon la stèle de Mesha, actuellement exposée au Louvre à Paris, la soumission des Moabites aux Israélites (et ensuite leur libération) fut un acte de colère et de vengeance de la part de Kemoch, leur dieu.
Aujourd’hui, Dhiban est célèbre pour être le berceau des manifestations du « Printemps arabe » jordanien en 2011
Dhiban s’élève sur des collines montagneuses entourées de champs de blé et de pâturages à moutons.
La route menant à al-Hidan, vallée bien connue à Dhiban, passe par le site présumé du château de Mesha, ruines en partie recouvertes d'herbe et de terre.
Aujourd’hui, Dhiban est célèbre pour être le berceau des manifestations du « Printemps arabe » jordanien en 2011.
Les protestations incessantes de Dhiban exigeant des réformes politiques et économiques furent à l'origine de la démission de quatre Premiers ministres entre le 1erfévrier 2011 et le 11 octobre 2012.
Sabry Mashaleh, habitant de Dhiban et l’un des manifestants les plus actifs de la ville, est fier de cette histoire.
Lorsque des protestations ont éclaté en Jordanie en juin contre les réformes économiques controversées soutenues par le Fonds monétaire international (FMI) – dont des hausses d'impôts sur le revenu et de prix du carburant et de l'électricité, il a, avec d’autres habitants de sa ville rebelle, loué des bus pour aller participer à des manifestations dans le quartier du Quatrième cercle à Amman, où se trouve le bureau du Premier ministre.
« Nous avons une réputation aux yeux de la police. Quand ils ont appris l'arrivée des bus de Dhiban, les gendarmes se sont préparés au pire », raconte Mashaleh à Middle East Eye.
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La dernière vague de protestations en Jordanie a commencé par une grève syndicale le 30 mai ; elle s’est ensuite transformée en manifestations quotidiennes dans tout le pays, auxquelles ont participé des milliers de personnes, entraînant la démission du Premier ministre, Hani Moulki, le 4 juin.
Le lendemain, le roi nomma à sa place Omar Razzaz, et le nouveau Premier ministre eut tôt fait d’abandonner les projets de hausse des impôts sur le revenu.
L'économie jordanienne est en grande difficulté.
Jusqu’à fin janvier, la dette publique globale du royaume s’élevait à 27,4 milliards de dinars jordaniens (33 milliards d’euros), soit 95,6 % du PIB (chiffres publiés par le ministère des Finances).
« Le hirak tombe malade mais ne meurt pas »
Pour tenter de résoudre ses problèmes, la Jordanie a obtenu en 2016 une ligne de crédit de 723 millions de dollars (615 millions d’euros) sur trois ans du FMI. Depuis lors, les mesures d’austérité convenues avec le FMI ont entraîné une hausse constante du prix des produits de base tels que pain, carburant, électricité et gaz.
Mashaleh rappelle que les manifestations à Dhiban contre la hausse des prix ont commencé en janvier.
« Nous avons protesté et prononcé des discours sur la place principale de Dhiban avant même le coup d’envoi des manifestations d’Amman, en mai » rappelle-t-il.
Lors de manifestations en février, Ali al-Brizat, avocat et fondateur du hirak (nom du mouvement de protestation) de Dhiban – alliance de militants politiques et de groupes contestataires – fut arrêté pour avoir prononcé un discours critiquant le roi Abdallah.
« Ces décisions [réformes économiques réduisant les subventions et augmentant les prix] sont irresponsables. La véritable irresponsabilité, c’est celle du roi et de personne d’autre que lui. Il n’y a rien de pire que cette situation », assure Brizat, libéré en mars, dont la déclaration avait été filmée lors de la manifestation.
Selon Brizat, les manifestants auraient un soutien dans des milieux inattendus. « Pour combien de temps encore ? Les services secrets ne peuvent pas nous faire taire. Leurs agents s’assoient avec nous et nous demandent de nous exprimer. Certains sont de la police, du renseignement et de l’armée, et pourtant ils meurent de faim. »
« La véritable irresponsabilité, c’est celle du roi et de personne d’autre que lui. Il n'y a rien de pire que cette situation »
- Ali al-Brizat, fondateur du hirak de Dhiban
Interrogé sur la possibilité de reprise des protestations si le gouvernement de Razzaz ne parvenait pas à sortir de la crise économique, Mashaleh répond : « Le hirak tombe malade mais ne meurt pas ».
Mashaleh appartient aux Beni Hamaideh, le deuxième plus grand clan de Jordanie après Beni Hasan, tribu connue pour compter un million de personnes. Beni Hamaideh est le clan le plus important de Dhiban et s’étend jusqu’aux villes de Madaba, Karak et Tafilah.
Le district de Dhiban se compose de 42 villages, qui abritent une population de 32 000 habitants. Près de la moitié d’entre eux vivent dans la ville centrale de Dhiban.
Selon Mashaleh, 60 % de la population de Dhiban est sans emploi.
Il se souvient d’avoir eu une conversation avec un agent du renseignement en 2016, lorsque, avec d’autres jeunes chômeurs de Dhiban, il a dressé un chapiteau de protestation sur la place principale, afin de réclamer des emplois au gouvernement.
« Selon lui, c’est la jeunesse de Dhiban qu’ils redoutent le plus. Je lui ai demandé pourquoi, et il a répondu : Dhiban a le pourcentage le plus élevé dans le royaume de personnes ayant fait des études universitaires, ainsi que le pourcentage le plus élevé d’opprimés. Ils savent que c’est le signe qu’il y a quelque chose qui cloche », raconte Mashaleh.
Pain, liberté et justice sociale
Le chapiteau de protestation était une émanation des événements du 7 janvier 2011, jour où les manifestations ont commencé à Dhiban, au moment des soulèvements du « Printemps arabe », et qui se sont étendues à l’ensemble du royaume.
« Nos revendications se résument à réclamer pain, liberté et justice sociale. À première vue, il s’agit de revendications économiques et sociales, mais c’est bien un problème politique. Ces exigences sont au cœur de toute protestation. Ce sont des revendications simples, et tout le monde les comprend », souligne Mashaleh.
Mashaleh est actuellement sans emploi, bien qu'il ait obtenu une licence de consultant en psychologie et santé mentale à l’Université de Jordanie à Amman. Le taux de chômage dans le pays est de 18,2 %.
« J’ai trouvé un emploi, mais j’ai été licencié sous la pression des services de sécurité en raison de mon activité politique », déplore-t-il.
Le chapiteau de protestation à Dhiban est resté debout 58 jours. Les forces de police jordaniennes l’ont finalement détruit en juin 2016 et des affrontements ont éclaté dans la ville, laissant plusieurs blessés par balles réelles, des deux côtés.
« Ce chapiteau est devenu le symbole des protestations en Jordanie. On y mangeait, on y dormait et on y faisait des déclarations. Nous avons aussi fait une vidéo en direct, via Facebook, et transformé le chapiteau en studio de télévision, où nous avons tenu des interviews. Cela a contrarié le gouvernement », se souvient Mashaleh.
« Nos revendications se résument à exiger pain, liberté et justice sociale. À première vue, il s’agit de revendications économiques et sociales, mais elles sont avant tout politiques »
- Sabry Mashaleh, porte-parole du chapiteau de Dhiban
Le chapiteau a créé une atmosphère de solidarité et de fraternité entre les participants – qui persiste jusqu’à aujourd’hui, selon le manifestant.
Il raconte qu’avec d’autres diplômés de l’université partageant ses vues, ils nettoyaient les rues, peignaient les murs et gardaient les quartiers.
En qualité de porte-parole du mouvement, il s’est entretenu avec le chef de la police de Dhiban le 21 juin 2016, huit jours après la destruction du chapiteau et sa remise en place dès le lendemain.
« Il nous a accusés de vouloir faire tomber le régime et la famille royale, mais tout ce que nous avons réclamé, ce sont des emplois. Nous ne voulons la chute de personne. Je lui ai dit : ‘’puisque le pays est corrompu, essayez de nous pistonner en recourant à ces méthodes de corruption’’. Mais il n’y a pas d’emplois. Nous ne voulons pas travailler dans une usine à Amman, car le salaire mensuel est de 230 dinars [276 euros]. Vous ne ramènerez pas beaucoup d’argent à la maison », conclut-il.
Selon l’Economist Intelligence Unit, Amman a été déclarée en mai « ville la plus chère du monde arabe et 28e du monde entier.
Meshaleh a été détenu pendant cinq jours par la police en raison de son implication dans le mouvement de protestation sous le chapiteau, et a fait l’objet d’une liste de douze chefs d’accusation, dont « atteinte au système politique » et « formation d’un gang d’hommes maléfiques ». Il a été innocenté de ces accusations par la Cour de Sûreté de l'État.
« Aucune volonté sérieuse de lutter contre la corruption »
Mashaleh a connu les deux côtés de la fracture politique. En 2011, il manifestait en faveur du gouvernement à Amman.
« Auparavant, je taxais les manifestants de perturbateurs palestiniens, je leur lançais des pierres et je scandais des slogans en faveur du roi », se souvient-il. Et puis un jour, il a eu « une soudaine prise de conscience ».
Il a réalisé, selon lui, que les fonctionnaires tentaient de faire porter la responsabilité des protestations aux Palestiniens, aux Frères musulmans et aux agents étrangers. Une tactique qui, selon lui, ne mène nulle part.
« J’ai modifié mes convictions après avoir compris qu’en Jordanie, le peuple pâtit de la corruption systémique. Je ne savais pas que la corruption existait parce que les médias officiels n’en font pas état », explique-t-il.
« Or, après diffusion sur les réseaux sociaux, le nombre d’affaires de corruption qui ont été dénoncées m’a choqué. Il n’y avait aucune volonté sérieuse de lutter contre la corruption, et les gens s’appauvrissaient. Cette vérité m’a donné envie de défendre la Jordanie et de lutter contre l’injustice ».
En février, sur la place principale de Dhiban, Mashaleh a prononcé un discours pour dire que, s’il y avait un Premier ministre et un gouvernement élus en Jordanie, aucune protestation ne serait dirigée contre le roi.
« Nous n’accepterons plus que vous [le roi Abdallah] cumuliez les fonctions de roi, Premier ministre, ministre de la Défense, chef de la police et gouverneur »
- Fares al-Fayez, figure de l’opposition
« Comme nous n’avons pas de gouvernement élu, c’est le roi qui est responsable. Toutes ces décisions gouvernementales sont prises avec le consentement du roi. Nous demandons d’élire le gouvernement et le Premier ministre : ensuite, nous leur reprocherons toutes leurs décisions, parce qu’au bout du compte, nous les aurons élus. Nous savons que c’est le roi qui les nomme », précise Mashalaeh.
Dans son discours controversé sur la place Dhiban, Brizat a taxé les ministres et parlementaires jordaniens de « marionnettes » et déclaré que le roi Abdallah portait la responsabilité de ce qui se passe dans le pays.
Selon la Constitution jordanienne actuelle, le roi est le commandant suprême, et il a donc directement autorité sur toutes les forces terrestres, aériennes et navales. Il a aussi le pouvoir de nommer et limoger les Premiers ministres, ainsi que de dissoudre le Parlement selon son bon plaisir.
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De nombreux Jordaniens auxquels s’est adressé MEE ont exprimé le souhait qu’une partie de ce pouvoir soit transféré à un gouvernement démocratiquement élu.
Fares al-Fayez, universitaire et figure éminente de l’opposition dans la ville occidentale de Madaba, a été arrêté puis relâché en juin, après avoir été filmé en train de critiquer le roi dans un discours réclamant la désignation d’un gouvernement jordanien par la tenue d’élections libres.
« Nous voulons changer la composition politique. Nous n’accepterons plus que vous [le roi Abdallah] cumuliez les fonctions de roi, Premier ministre, ministre de la Défense, chef de la police et gouverneur ». Vous êtes tout. Aux termes de cette Constitution, vous êtes devenu un demi-dieu, et nous, des esclaves », a déclaré Fares al-Fayez dans son discours.
La reine Rania, « Satan »
L’arrestation de Fayez a fait beaucoup de vagues à Madaba. Les membres de sa tribu, les Beni Sakhr, menaçaient de bloquer la route principale entre Amman et Madaba et de perturber les vols à partir de l'aéroport principal de Jordanie, tant qu’il ne serait pas libéré.
Mashaleh assistait à la conférence de presse à Madaba lorsque le fils de Fayez a menacé de mettre ces menaces à exécution.
« Je suis d’accord avec ce que Fayez a dit, mais pas avec l’expression qu’il a utilisée pour décrire la reine Rania. C’était gratuit », a regretté Mashaleh. Fayez, qui appartient à la droite politique jordanienne, a appelé la reine Rania, épouse du roi, « Satan ».
« Elle est venue avec sa famille comme réfugiée du Koweït, et maintenant leur fortune se compte en millions. Elle et sa famille ont pillé le pays », a dénoncé Fares al-Fayez.
La reine Rania vient d’une famille palestinienne bannie par les autorités koweïtiennes après l’approbation par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de l’invasion de ce pays du Golfe par l’Irak, en 1990.
Hesham al-Haiseh, éminent militant politique de Dhiban, a lui aussi convenu de la nécessité de changer le système.
« Nous expérimentons les décisions du roi depuis vingt ans et nous constatons qu’elles sont toutes immatures », explique-t-il à MEE. « En exigeant d’élire un Premier ministre, nous demandons au roi de nous transmettre l’initiative de prendre les décisions de notre choix. Nous ne verrions pas d'inconvénient à ce qu’il reste roi, mais il faut qu’il nous laisse libres de choisir ».
Derrière toutes ces revendications et débats, se cache une grande question : les Jordaniens sont-ils ceux qui dirigent la Jordanie ?
Derrière toutes ces revendications et débats, se cache une grande question : les Jordaniens sont-ils ceux qui dirigent la Jordanie ?
Le roi Abdallah est issu de la tribu hachémite originaire de la région du Hedjaz, en Arabie saoudite. Sa famille a été chassée par les Saoud dans les années 1920, au terme de plusieurs années de conflit dans la péninsule arabique.
Après la Première Guerre mondiale, les Hachémites ont été accueillis par d’autres tribus en Jordanie, telles que les Beni Hamaideh, Beni Sakhr et Beni Hasan, et ont été institués famille dirigeante du pays, avec le soutien militaire et politique britannique.
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Aux côtés de la domination hachémite, les autochtones de Jordanie ont vu des postes politiques occupés par d’autres personnes non-autochtones, comme des Syriens, des Palestiniens et des Circassiens – accueillis par la population locale alors qu’ils fuyaient la guerre ou la répression et cherchaient une terre d’accueil.
Historiquement, la plupart des Premiers ministres jordaniens sont d’origine syrienne.
Mashaleh et Haiseh ont tous les deux souligné que les Jordaniens se félicitaient de la présence des Hachémites, mais que le peuple jordanien devait jouer un rôle de premier plan dans la gestion du pays. Ce point a été repris par Fayez et Brizat dans leurs discours.
Redéfinir la relation avec la cour royale
Selon Mashaleh, les relations entre la cour royale d’Amman et les tribus jordaniennes ont changé depuis 2011.
Maintenant, les tribus critiqueraient plus ouvertement le roi, comme en témoigne cette chanson folklorique pleine de messages politiques, interprétée à Dhiban en novembre 2012.
Avant 2011, explique Mashaleh et Haiseh, les membres des tribus se voyaient généralement offrir des postes dans les institutions de l’État, avec sécurité de l’emploi et avantages, en échange de leur loyauté. Cependant, ces avantages et ces postes ont commencé à disparaître, regrettent-ils.
Maintenant, expliquent Mashaleh et Haiseh, leur génération cherche à redéfinir la relation avec la cour royale, pour en arriver à une relation fondée sur les droits et les devoirs.
« Nous sommes des citoyens et avons des droits », insiste Mashaleh.
Même si la cour royale a su rallier le soutien des tribus pendant une grande partie de l’histoire du royaume, Mashaleh tient à relever qu’elles ont connu des moments de rébellion par le passé.
« Le régime envoie toujours le message que nous lui sommes loyaux. Il n’empêche que nous nous sommes rebellés de nombreuses fois », a-t-il tenu à rappeler.
« [Pour en avoir une idée] lisez le roman d’Ayman al-Otoom, The Story of the Soldiers , qui raconte l’histoire d’une révolte à l’Université de Yarmouk, en 1986, à laquelle participaient les Jordaniens, aux côtés des Palestiniens », ajoute-t-il en faisant référence à une manifestation politique historique réprimée par les forces de sécurité jordaniennes. Haiseh a une licence en gestion de bibliothèques obtenue à l’Université de Jordanie à Amman et il gère maintenant une bibliothèque scolaire. Il a également ouvert un café et une crèche à Dhiban, pour contribuer à couvrir les frais. Trois de ses frères sont sans emploi.
« Le régime envoie toujours le message que nous lui sommes loyaux. Il n’empêche que nous nous sommes rebellés de nombreuses fois »
- Sabry Mashaleh
Haiseh vit et travaille à Amman mais se rend à Dhiban une fois par semaine. Il a été arrêté sept fois depuis 2011, en raison de son activité politique. La durée maximale de détention fut de cinq mois.
De l’avis de Haiseh, le roi Abdallah a profité de son règne pour affaiblir la position des tribus dans la vie politique et sociale jordanienne – principalement en nommant lui-même leurs dirigeants – les cheikhs.
Les néo-cheikhs du roi Abdallah
« Il a affaibli les tribus afin d’éviter de les voir se retourner un jour contre lui », indique Haiseh.
Le conseil tribal, organe de la cour royale hachémite, a pouvoir de choisir le chef de tribu.
« Dans notre tradition, le vrai cheikh ou chef de tribu, c’est celui qui a succédé à son père et à son grand-père. Nous n’accepterons pas quelqu’un nommé chef d’en haut, en vertu d’un cachet de la cour royale », relève Haiseh.
« Quand un cheikh est nommé, il cherche à utiliser sa position à son profit ou au bénéfice de ses enfants. Il obéira toujours [au roi] et ne défendra pas les membres de la tribu devant la cour royale, les forces de sécurité et les services du renseignement, comme le ferait un vrai cheikh. »
« Le roi Abdallah ne croit pas aux tribus. Il a reçu une éducation britannique et revendique son choix de renforcer la primauté du droit et d’abandonner les lois et règles traditionnelles. Mais il traite les tribus à la britannique : diviser pour régner »
- Hesham al-Haiseh, opposant
« Pendant le règne du roi Abdallah, un conflit d’intérêt s’est fait jour entre le désir du chef nommé à garder son poste et les volontés de sa tribu ».
Haiseh souligne que le roi Hussein, le père du roi Abdallah, soignait les tribus, respectait leurs traditions et n’intervenait pas dans le choix de leurs cheikhs.
« Le roi Abdallah ne croit pas aux tribus. Il a reçu une éducation britannique et revendique son choix de renforcer la primauté du droit et d’abandonner les lois et règles traditionnelles. Mais il traite les tribus à la britannique : diviser pour régner ».
Le roi Abdallah est né en 1962. Sa mère, la princesse Muna al-Hussein, est citoyenne britannique, née Antoinette Avril Gardiner. Le roi Abdallah a été scolarisé à Amman et a poursuivi ses études en Angleterre et aux États-Unis avant de monter sur le trône, en 1999.
Meshaleh et Haiseh rappellent que jusqu’en 2005, le roi Abdallah n’a pas rendu visite aux tribus dans leurs villes natales, comme en avait coutume le défunt roi Hussein.
« Contrairement à son père, il ne connaît pas le pays et les détails de la vie des gens », déplore Haiseh.
Loin d’avoir affermi sa position, expliquent Meshaleh et Haiseh, le roi Abdallah a tenté d’affaiblir les tribus mais n’a réussi qu’à les unir contre lui.
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« Depuis 2011, tribus et clans jordaniens sont solidaires entre eux parce qu’ils savent qu’ils sont ciblés », indique Haiseh.
Il pointe l’exemple de juillet 2017, lorsqu’un soldat jordanien originaire de la ville occidentale de Maan et membre de la tribu Huwaitat a été condamné à la perpétuité pour avoir tué trois soldats américains – soulevant des protestations de la part d'un certain nombre de tribus.
« Les tribus ont coupé les trois routes principales qui relient les villes jordaniennes : mer Morte, désert et routes royales. C’était pour exiger la libération du soldat », explique Haiseh.
« Le régime nous dépeint toujours comme des Bédouins incultes. Il envoie toujours ce message, en particulier à l’Occident. Mais la plupart d’entre nous ont abandonné ce mode de vie »
- Sabry Mashaleh
Parce qu’elles se côtoient sur leurs lieux de travail, à université et dans les villes jordaniennes, Meshaleh a déclaré que les liens entre les tribus et leurs membres s’en sont trouvé plus forts que jamais.
Selon lui, dans la Jordanie moderne, il fallait s’attendre à cet activisme politique et social des tribus car il ne s'agit plus d’un peuple nomade dépendant exclusivement de leurs moutons et des activités pastorales.
« Le régime nous dépeint toujours comme des Bédouins incultes. Il envoie toujours ce message, en particulier à l’Occident. Mais la plupart d’entre nous ont abandonné ce mode de vie », proteste Mashaleh.
« Vous trouverez beaucoup d’intellectuels parmi nous. Ils nous décrivent également comme agressifs et violents, alors que nos protestations ont été spontanées et non organisées par un parti politique. Pourtant, elles étaient pacifiques. »
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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