Le premier aquarium de Palestine apporte la vie marine à la Cisjordanie enclavée
AL-BIREH, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie) – Un navire géant a largué ses amarres à al-Bireh, la ville jumelle de Ramallah, capitale palestinienne de facto de la Cisjordanie. L’architecture de l’édifice semble quelque peu déplacée au regard des maisons en pierre et des immeubles d’appartements aux alentours. Mais si le navire de béton attire l’attention, c’est également parce que la Cisjordanie est dans les faits totalement enclavée.
Aujourd’hui, le navire abrite le premier aquarium de Palestine, géré et détenu par Sofian Qawasmeh.
Qawasmeh et son partenaire en affaires, Amjad Amer, ont utilisé les fonds qu’ils ont épargnés dans le cadre de leurs précédentes activités commerciales pour lancer leur nouvelle entreprise.
En prenant l’ascenseur jusqu’au cinquième étage de l’immeuble, après être passé devant un hôtel chic et divers autres magasins, les portes s’ouvrent sur un long hall d’entrée dont les murs, le sol et le plafond sont complètement noirs.
À l’intérieur de l’Aquarium de Palestine, des projecteurs éclairent les enclos pour alligators et tortues, tandis que des lumières bleu néon illuminent les aquariums de poissons tropicaux et de coraux multicolores.
Alors que de la musique d’orchestre pompeuse est diffusée en boucle, des familles se promènent dans les couloirs labyrinthiques en montrant du doigt à leurs enfants une vie marine qu’ils n’ont jamais vue de près auparavant.
Des bancs de poissons et de créatures de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel traversent les aquariums ou attendent immobiles. Pour charmer le public palestinien, certains ont fait le voyage depuis des contrées aussi lointaines que l’Asie du Sud-Est, à l’instar du gourami géant, un poisson qui peut atteindre 70 cm de long. Même un iguane, reptile originaire d’Amérique centrale et du Sud ainsi que des Caraïbes, accueille les visiteurs curieux avec son regard solennel.
Sofian Qawasmeh estime que tout le monde devrait pouvoir voir ce type de créatures.
« Les gens ici ne peuvent pas visiter notre mer, qui est occupée par Israël, alors nous l’amenons en Palestine pour que tout le monde puisse la voir », a-t-il déclaré à MEE.
En 1948, lorsque l’État d’Israël a été créé – lors de ce que les Palestiniens appellent la Nakba (catastrophe) –, plus de 750 000 d’entre eux ont été déplacés de force de leurs maisons et de leurs villages, laissant à Israël le contrôle de 78 % de la Palestine historique.
Depuis l’occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967, après la guerre des Six jours, et la construction du mur de séparation en 2002, de nombreux Palestiniens disposant de documents d’identité cisjordaniens ne reçoivent pas d’autorisations d’accès à Israël, ni donc à ses plages.
Si la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas, s’étend sur 45 km le long de la côte méditerranéenne, les Gazaouis ne peuvent s’éloigner que de six à neuf milles marins (11-17 km) du rivage en raison du blocus israélien, en vigueur depuis 2007. Dans cette limite, l’eau est contaminée par les eaux usées.
De l’Argentine à la Palestine
L’Aquarium de Palestine compte plus de 150 espèces différentes de poissons, d’animaux et de plantes dans un espace d’environ 200 mètres carrés.
Quatre-vingt-dix pour cent des espèces sont vues ici en Palestine pour la première fois et sont importées de pays tels que l’Argentine, l’Amazonie, l’Indonésie et l’Afrique du Sud.
Selon Sofian Qawasmeh, l’aquarium attire 250 à 350 visiteurs par jour. Les billets d’entrée coûtent 20 shekels (5,40 dollars) pour les enfants de moins de 10 ans et 30 shekels (8 dollars) pour les autres visiteurs.
Juliana Dabes, récemment diplômée en biologie à l’Université de Birzeit, en Cisjordanie, travaille à l’aquarium en tant que guide.
« J’ai suivi un cours sur la vie marine à l’université et j’ai une idée générale de la vie marine, mais ici, je peux acquérir de l’expérience et voir ce à quoi cela ressemble réellement », a-t-elle déclaré.
Initialement prévue pour avril, l’ouverture a été retardée jusqu’en juillet car de nombreuses importations de poisson avaient été « arbitrairement détenues » dans les ports israéliens, raconte Qawasmeh.
Les animaux auraient dû être amenés à l’aquarium dans un délai maximum de quatre jours, a-t-il expliqué, mais ils ont été gardés au port entre dix et vingt jours. Ils ont en outre été transportés dans des seaux où il ne leur était possible de survivre que six jours maximum.
Beaucoup de créatures sont mortes ou sont arrivées malades à l’aquarium en raison du temps d’attente, entraînant une perte financière de 50 000 dollars, a précisé Qawasmeh.
Lui et d’autres hommes d’affaires palestiniens accusent les autorités israéliennes d’immobiliser les importations pour réduire les chances de succès des entreprises palestiniennes. Israël prétend pour sa part qu’il s’agit de mesures de sécurité. L’Administration israélienne des douanes n’avait pas répondu à la demande de commentaires de MEE au moment de la publication de cet article.
Une eau de mer artificielle
Outre ces retards, le premier aquarium de Palestine a dû faire face à un autre obstacle : l’accès à l’eau.
« Notre aquarium est situé dans une ville où il n’y a ni plage, ni mer, ni rivière. C’est le premier aquarium situé dans un pays qui en est dépourvu », a indiqué Qawasmeh.
À défaut de pouvoir prendre de l’eau de mer, l’Aquarium de Palestine fabrique donc sa propre eau salée à Saffa, un village situé près de Ramallah.
Avec l’aide d’une société palestinienne, Flora – l’une des principales entreprises d’élevage et de commercialisation de poissons d’ornement du Moyen-Orient –, l’aquarium mélange des sels chimiques et de l’eau douce de la municipalité.
Le processus est coûteux et s’élève à environ 135 000 dollars. Les Palestiniens sous occupation israélienne sont depuis longtemps confrontés à un accès inéquitable à l’eau, y compris l’eau potable. Les Israéliens consomment quatre fois plus d’eau par personne que les Palestiniens.
Les Israéliens exploitent par ailleurs 80 % de l’eau de l’aquifère de montagne, une source essentielle d’eau souterraine partagée par les Israéliens et les Palestiniens.
Après avoir occupé la Cisjordanie en 1967, Israël a contrôlé 80 % des ressources palestiniennes en eau et a en outre refusé aux Palestiniens le droit de creuser des puits sur leurs propres terres.
L’Aquarium de Palestine nécessite plus de 15 000 litres d’eau mais, selon Qawasmeh, cela est autant que ce qui est nécessaire pour remplir une piscine privée.
L’aquarium recycle 10 à 20 % de l’eau qu’il utilise chaque semaine, a-t-il expliqué, ce qui lui permet de rester une entreprise viable. En dépit des coûts de fonctionnement élevés, tout cela en vaut la peine, selon son propriétaire.
« Nous avons lancé ce projet parce que nous en avons besoin, et parce que cela profitera aux Palestiniens », a-t-il déclaré.
L’entrepreneur déplore que la plupart des Palestiniens n’aient ni accès à la mer, ni la possibilité de voyager à l’étranger.
« Nous devons apprendre à connaître le monde sous-marin, a-t-il déclaré. Nous devons pouvoir vivre comme le reste du monde. Et même si notre terre est occupée, nous ne cesserons d’essayer de faire de notre pays le meilleur. »
Traduit de l’anglais (original).
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