Face à une recrudescence de la violence en Cisjordanie, l’Autorité palestinienne est sous pression
RAMALLAH, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie) – Après une semaine de fusillades au volant et d’attaques au couteau, de meurtres de Palestiniens commis par les forces israéliennes, de raids militaires, d’arrestations et de démolitions, l’incertitude persiste quant aux conséquences politiques et sécuritaires de cet épisode pour la Cisjordanie occupée.
Tandis qu’Israël a attribué les différentes attaques au Hamas, des analystes interrogés par Middle East Eye expliquent que ces incidents ont impliqué des assaillants isolés et reflètent plutôt les tensions entre Palestiniens de Cisjordanie, qui ont atteint un point critique.
« Les gens ont perdu tout espoir. Ce n’est pas le Hamas, c’est le peuple »
– Mohammad Daraghmeh, analyste
Selon eux, l’Autorité palestinienne (AP), qui gouverne la Cisjordanie depuis plus de deux décennies, est de plus en plus proche d’un tournant critique et sera contrainte de procéder à des changements audacieux pour rester en place.
« Ces événements me rappellent la première Intifada. Il y a eu de nombreuses attaques individuelles, mais la colère est généralisée », a indiqué à Middle East Eye Mohammad Daraghmeh, analyste politique basé à Ramallah. « Les gens ont perdu tout espoir. Ce n’est pas le Hamas, c’est le peuple. »
À partir de mercredi soir, l’armée israélienne a tué quatre Palestiniens dans des opérations séparées en l’espace de 24 heures, affirmant qu’ils étaient responsables d’attaques contre des colons et les services de police israéliens.
Parmi les victimes figure Ashraf Naalweh, que l’armée israélienne a abattu à Naplouse après une chasse à l’homme de deux mois ; l’homme de 23 ans était accusé d’avoir tué deux colons en octobre.
Durant la même nuit, l’armée a également tué Saleh Barghouthi, 29 ans, qu’elle accusait d’avoir été à l’origine d’une fusillade au volant survenue près de la colonie d’Ofra et blessé sept colons le dimanche précédent. Un bébé né prématurément d’une femme blessée au cours de l’attaque est décédé à l’hôpital.
Naalweh et Barghouthi étaient des partisans du Hamas, le mouvement de résistance armée qui gouverne la bande de Gaza occupée. Le groupe a salué les attaques et déclaré que la résistance était toujours vivante en Cisjordanie occupée, sans aller jusqu’à affirmer qu’il avait directement ordonné les attaques.
Israël a réagi en lançant une campagne d’arrestations, en bouclant Ramallah et en lançant ses forces sur les territoires palestiniens pour rechercher d’autres Palestiniens coupables d’avoir perpétré des attaques et fui les lieux.
Des jeeps israéliennes se sont engouffrées dans les centres-villes, se sont postées près du complexe présidentiel à Ramallah et ont effectué des descentes dans les bureaux de l’agence de presse officielle palestinienne dans la ville ainsi que dans des habitations et des commerces.
Les raids et les arrestations menés par Israël se sont poursuivis au cours du week-end. Tôt ce samedi, l’armée a fait exploser un immeuble résidentiel de quatre étages dans le camp de réfugiés d’al-Amari, à Ramallah. L’immeuble appartenait à la famille Abu Hmeid, dont le fils, selon Israël, aurait tué un soldat en mai.
Dimanche soir, l’armée a également démoli le domicile d’Ashraf Naalweh dans le village de Tulkarem, quatre jours après l’avoir abattu.
Le pouvoir limité de l’Autorité palestinienne
Ces mesures ont renforcé l’esprit de communauté en Cisjordanie. Alors que les soldats tentaient de s’emparer d’enregistrements pour identifier les auteurs d’attaques, des activistes ont téléphoné aux magasins et aux domiciles munis de caméras de sécurité afin de faire effacer les enregistrements et détruire les caméras de manière à protéger l’identité des combattants palestiniens.
Selon Daraghmeh, le contraste entre leur solidarité et l’inaction générale de l’AP a des conséquences sur les agissements à venir de cette dernière, notamment quant à savoir si elle choisira de continuer de partager des renseignements avec Israël, comme elle le fait depuis plusieurs années.
Pour remédier à la situation, l’AP devra ramener sa coordination en matière de sécurité « à un niveau beaucoup plus bas », a affirmé Daraghmeh.
Ce sont les accords d’Oslo, signés en 1993 et 1995 entre l’Organisation de libération de la Palestine – alors dirigée par Yasser Arafat – et Israël, qui ont créé l’AP.
Selon les accords, l’AP devait servir de gouvernement intérimaire jusqu’à la création d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est comme capitale.
Pourtant, 25 ans plus tard, l’idée d’un État palestinien semble de plus en plus hors de portée. La sphère de contrôle de l’AP a été restreinte aux centres-villes et l’institution agit systématiquement dans le but de mettre à mal toute résistance à l’occupation, se pliant aux menaces et aux pressions israéliennes.
Dans le même temps, Israël étend ses colonies de peuplement illégales et continue de violer les droits de l’homme fondamentaux des Palestiniens.
« Ce qui s’est passé avec les raids de l’armée israélienne effectués à Ramallah mercredi et jeudi aurait pu être fait de manière beaucoup plus respectueuse et humaine – sans mépriser totalement l’autorité du gouvernement palestinien », a déclaré à MEE Hani Masri, directeur de Masarat, organisation basée à Ramallah.
Selon Masri, la semaine écoulée a renforcé l’idée selon laquelle le pouvoir de l’AP est limité en montrant qu’Israël peut humilier les dirigeants « dès qu’elle le souhaite ».
« Cela intensifiera les pressions internes provenant de voix du parti politique au pouvoir, le Fatah – des voix qui soutiennent que nous devons sortir de ce “processus de paix” et des accords d’Oslo, puisque chaque fois que nous avons des martyrs, nous savons qu’Oslo meurt encore un peu plus », a ajouté Masri.
Résistance populaire ou Hamas ?
Alors qu’Israël pointe du doigt le Hamas, accusant le groupe d’avoir orchestré les attaques, la solidarité communautaire qui s’est manifestée en Cisjordanie au cours des événements du week-end a montré que la population se souciait peu de savoir qui était à l’origine des opérations.
En plus d’avoir cassé les caméras, des municipalités et des villes de toute la Cisjordanie ont ouvert leurs foyers à ceux qui étaient bloqués par la fermeture des postes de contrôle.
« Blâmer le Hamas, c’est le moyen pour Israël d’essayer de montrer que le peuple palestinien est une marionnette et ne souhaite pas réellement s’engager dans la résistance – qu’il y a des éléments extérieurs qui l’incitent à résister »
– Ibrahim Ibrash, analyste
Selon des analystes, si certains des hommes impliqués dans les attaques sont affiliés au groupe, ils agissent néanmoins de leur propre chef et leurs actes s’inscrivent dans une atmosphère plus vaste de colère et de frustration en réaction à l’occupation militaire.
« Le Hamas est épuisé en Cisjordanie. L’AP et Israël ne le laissent pas respirer », a indiqué Daraghmeh, qui a ajouté que les attaques étaient le fruit d’une résistance populaire sans chef.
Ibrahim Ibrash, analyste dans la bande de Gaza occupée, est du même avis : rien ne prouve que les attaques ont été organisées ou ordonnées par un quelconque groupe politique.
« Ce sont des individus qui prennent des initiatives d’eux-mêmes pour résister à l’occupation. Si l’un de ces martyrs ou de ces prisonniers a un quelconque lien avec le Hamas, cela ne signifie pas qu’il a agi sur ordre du groupe », a expliqué Ibrash à MEE.
« Blâmer le Hamas, c’est le moyen pour Israël d’essayer de montrer que le peuple palestinien est une marionnette et ne souhaite pas réellement s’engager dans la résistance – qu’il y a des éléments extérieurs qui l’incitent à résister. »
Selon Hazem Qassem, porte-parole du Hamas dans la bande de Gaza, « les jeunes de Cisjordanie ont toutes les raisons de mener des actes de résistance contre l’occupation et ses colons ».
Interrogé quant à savoir si les attaques faisaient partie d’une nouvelle stratégie pour le Hamas en Cisjordanie, Qassem a déclaré à MEE que le mouvement « focalis[ait] constamment son processus de résistance armée sur tous les fronts, y compris la Cisjordanie ».
« On ne peut pas parler d’une nouvelle stratégie, mais de la persistance d’une pratique fixe, enracinée et continue », a ajouté Qassem.
« Pas comme avant »
Depuis 2015, lorsqu’une campagne d’attaques individuelles a pris la forme d’attaques à la voiture-bélier, d’attaques au couteau et de fusillades au volant dans les territoires palestiniens occupés, beaucoup se sont demandé si la Palestine vivait une « nouvelle intifada », comme en 1987 et en 2000.
« Il est évident que la rue palestinienne est disposée à se battre »
– Mohammad Daraghmeh, analyste
Selon Masri, le directeur de Masarat, une troisième Intifada est déjà en cours mais difficile à identifier car elle n’a pas suivi le même schéma que les deux précédentes.
« Elle va et vient par vagues. Parfois, c’est au sujet des colonies. Parfois, c’est au sujet de Khan al-Ahmar [le village bédouin menacé de démolition]. D’autres fois, c’est au sujet des prisonniers ou encore de la Marche du retour. Ce n’est pas comme avant », a-t-il expliqué.
« Les attaques menées par des jeunes non affiliés sont plus fréquentes ces dernières années parce que les partis politiques ne veulent pas assumer la responsabilité de ces attaques. Ils ne sont peut-être pas en mesure de le faire. Chaque village et chaque ville mène sa propre bataille parce qu’il n’y a pas de leadership ou de vision. »
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Alors que les attaques de 2015 étaient principalement concentrées sur Jérusalem-Est occupée, la fréquence et le résultat des attaques de ce week-end en Cisjordanie occupée ont attiré l’attention.
Des jeunes sont arrivés sur le front, risquant leur vie pour affronter des soldats lourdement armés.
« Il est évident que la rue palestinienne est disposée à se battre », a estimé Daraghmeh.
« Toute initiative visant à lancer un mouvement de résistance populaire sera adoptée. Il portera ses fruits s’il y a quelqu’un pour le diriger, et s’il n’y en a pas, il sera fragmenté et dirigé par des jeunes et il sera mis en œuvre spontanément. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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