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Assassinat de Qasem Soleimani : Trump joue avec le feu pour sauver sa présidence

Pour consolider sa présidence en péril, minée par la procédure de destitution, Trump pousse à une autre guerre catastrophique au Moyen-Orient
Le général iranien Qasem Soleimani et le président américain Donald Trump (AFP)

L’assassinat par les Américains de Qasem Soleimani, premier commandant d’Iran, et de plusieurs chefs de milices irakiens, vendredi, représente une escalade significative équivalant à un acte de guerre aux conséquences graves à long terme.


La colère volcanique de l’Iran va inévitablement exploser en représailles, comme l’indique la déclaration du chef suprême du pays, et visera immanquablement les forces américaines en Irak.

Vu de Téhéran, il s’agit d’un comportement de voyou à l’américaine, d’un acte de guerre flagrant mené avec l’arrogance totale d’une superpuissance déclinante qui cherche à franchir n’importe quelle ligne rouge, à transgresser n’importe quelle règle de droit, pour atteindre ses fins hégémoniques.

Qasem Soleimani embrassé par l’imam Hussein, le petit-fils du prophète Mohammed, dans un montage photo fourni par le bureau de l’ayatollah Ali Khamenei, le 3 janvier 2020 (AFP)

Pour l’administration Trump, 2019 s’est terminée sur une note amère, avec un double coup dur : une crise politique intérieure provoquée par la procédure de destitution, et une escalade dangereuse et volatile en Irak qui pourrait, à la lumière de ce dernier développement, transformer facilement 2020 en une autre année de guerre pour les États-Unis au Moyen-Orient.Le timing de l’opération est essentiel.

Avec les graines d’un tel conflit solidement plantées dans une iranophobie sans limites, qui se reflète dans la guerre américaine unilatérale menée sous le vocabulaire de « stratégie de pression maximale », sa manifestation lente mais régulière sur le théâtre du conflit irakien est devenue une réalité incontournable.

Enfermés dans une compétition d’influence à somme nulle en Irak, Washington et Téhéran se trouvent maintenant sur une trajectoire de collision et, à moins qu’une diplomatie prudente ne prévale, une possibilité hautement improbable à la lumière de l’assassinat de Soleimani, la situation actuelle va probablement déclencher une nouvelle dimension militaire à la stratégie anti-iranienne de Trump.

Les frappes aériennes américaines de la semaine dernière contre les milices pro-iraniennes en Irak et en Syrie coïncidaient avec un exercice naval conjoint Iran-Russie-Chine dans le golfe d’Oman

Des éléments de contexte sont utiles pour comprendre les événements de cette semaine.

Les frappes aériennes américaines de la semaine dernière contre les milices pro-iraniennes en Irak et en Syrie, qui coïncidaient avec un exercice naval conjoint Iran-Russie-Chine dans le golfe d’Oman, indication claire de l’antipathie de Pékin et de Moscou envers la politique anti-iranienne de Trump, ont été décrites comme des frappes « défensives de précision » de l’armée américaine en réponse à la menace croissante des forces pro-iraniennes dans la région.

Pourtant, il est tout à fait évident que ces frappes ont également des portées géostratégiques, à en croire le coup de téléphone du secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, aux dirigeants d’Israël, des Émirats arabes unis (EAU) et de l’Arabie saoudite immédiatement après le lancement des raids aériens dénoncés par l’Irak et la Syrie comme une violation flagrante de leur souveraineté.

Une vieille stratégie

Alors que les autorités saoudiennes et émiraties accueillent chaudement l’idée d’un dégel dans les relations avec l’Iran, les intentions de Pompeo sont clairement de neutraliser cette possibilité qui va à l’encontre des intérêts hégémoniques américains dans la région.

La dépendance des États arabes du Golfe à l’égard des États-Unis implique qu’ils se retrouvent captifs d’une rivalité soutenue avec l’Iran, qui pousse son propre agenda de paix dans la région tout en augmentant la mise contre la domination américaine.

Mais ce serait une erreur de réduire la somme des intentions du président américain Donald Trump derrière les récentes frappes aériennes – en particulier un risque mal calculé comme l’assassinat de Soleimani – aux seules circonstances extérieures en Irak et dans la région.

Des Iraniens brûlent des drapeaux américains et israéliens lors d’une manifestation anti-américaine après le meurtre de Qasem Soleimani et d’Abou Mahdi al-Mouhandis, à Téhéran, le 4 janvier 2020 (AFP)

Ce serait négliger l’éventualité distincte que Trump s’inspire d’une vieille stratégie qui consiste à déclencher une crise étrangère pour éviter les périls domestiques qui pèsent sur sa présidence. Cela rappelle comment Bill Clinton, en 1998, a ordonné une frappe aérienne contre l’Irak à la veille d’un important vote de destitution.

De même, en cherchant à détourner l’attention du processus de destitution, qui a pris de l’ampleur par la divulgation de preuves plus accablantes suggérant un « donnant-donnant » avec l’Ukraine, Trump et son équipe de politique étrangère escomptent des dividendes politiques pour avoir tenu tête à l’Iran – y compris après l’assaut des Irakiens contre la très fortifiée ambassade américaine à Bagdad.

La presse en mode propagande

Dès lors, toute la presse grand public américaine s’est rangée derrière Trump, lui attribuant le mérite d’utiliser la force avec prudence et le félicitant d’avoir mis de côté ses précédentes réserves quant à l’usage de la force.

Il reste que cette propagande des médias américains acclamant une politique américaine belliqueuse – qui est aussi en violation directe du droit international – va totalement à l’encontre de la réaction de la population dans la région, poussant même le New York Times à reconnaître qu’en Irak, les citoyens de toutes les sensibilités politiques sont unis dans la condamnation des raids américains qui ont tué et blessé des dizaines d’Irakiens.

C’est ainsi que l’impopularité des États-Unis est en pleine envolée : peu importe le nombre de tweets que Trump envoie à l’adresse du peuple irakien pour l’exhorter à diriger sa colère contre l’Iran, les dés sont jetés et le sentiment anti-américain en Irak aujourd’hui atteint des niveaux qui ne risquent pas de retomber de sitôt.

Les forces de sécurité irakiennes déployées devant l’ambassade américaine à Bagdad, le 1er janvier (AFP)
Les forces de sécurité irakiennes déployées devant l’ambassade américaine à Bagdad, le 1er janvier (AFP)

D’ores et déjà, la puissante faction Sadr a appelé toutes les autres franges chiites à s’unir en vue d’expulser les Américains du territoire irakien.

Alors que l’escalade est enclenchée avec l’assassinat de Soleimani, mais aussi celui du chef adjoint du Hachd al-Chaabi, il est juste de parier que les États-Unis ont mal calculé les conséquences de leur action militaire qui a donné le feu vert à la promesse de représailles et de vengeance du Hachd al-Chaabi.

Les milices pro-iraniennes vont probablement geler, si ce n’est annuler complètement, le processus de leur intégration au sein des forces armées irakiennes, surtout dans le cas où elles considèrent que la réaction de Bagdad au viol de la souveraineté irakienne n’est pas assez ferme.

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Le nouveau coup porté aux relations américano-irakiennes causé par cet événement spectaculaire est aussi dirigé contre les intérêts de sécurité nationale américains même s’il peut servir les intérêts personnels d’un Donald Trump empêtré dans la procédure de destitution.

En substance, cela reflète une bifurcation d’intérêts : là où Trump pourrait finir par causer de graves préjudices aux intérêts américains à l’étranger en créant une crise artificielle dans le but de sauver sa présidence en péril, et ce, en se drapant de la bannière du patriotisme et en puisant dans le réservoir insondable du bellicisme américain.

Une nouvelle guerre au Moyen-Orient ?

Il est difficile d’exagérer la gravité de l’erreur que commettent les États-Unis en perpétrant cet acte de terreur commis par un État et qui déclenchera sans doute un cycle de violence meurtrier qui fera de très nombreuses victimes.

Il est toutefois dans l’intérêt des Américains d’éviter que la crise avec l’Iran s’aggrave, car même s’ils l’ont délibérément enclenchée, ils n’ont pas les moyens de totalement la contenir.

Il est toutefois dans l’intérêt des Américains d’éviter que la crise avec l’Iran s’aggrave, car même s’ils l’ont délibérément enclenchée, ils n’ont pas les moyens de totalement la contenir

C’est en substance une continuation de la crise américano-iranienne qui s'est déroulée en Irak qui peut dégénérer en bien pire que les « guerres de l’ombre » et l’utilisation de proxies, avec des rebondissements imprévisibles présentant un risque évident pour les milliers de militaires américains basés dans la région, sans parler des menaces pour la santé de l’économie mondiale, liée à la libre circulation du pétrole à travers le détroit d'Ormuz

En jouant avec le feu pour consolider sa présidence ébranlée par la procédure de destitution, Donald Trump présente en ce moment tous les symptômes d'un président va-t’en-guerre prêt à déclencher une nouvelle guerre catastrophique au Moyen-Orient, trahissant ainsi sa promesse d'éviter d'impliquer les États-Unis dans un énième conflit.

Malheureusement, comme le montrent clairement ses politiques fourvoyées à l’égard de l’Iran et de l’Irak, Trump n’est pas seulement en train de répéter les stratagèmes anti-destitution de son prédécesseur, il est également sur le point de recycler les erreurs commises durant l’ère des guerres contre le Moyen-Orient de George Bush.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

- Nader Entessar est professeur émérite au Département de science politique et justice criminelle de l’Université de l’Alabama du sud.

- Kaveh Afrasiabi, PhD, a été professeur de science politique à l’Université de Téhéran. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les relations internationales et la politique étrangère iranienne. Ses écrits ont été publiés dans de nombreuses publications, parmi lesquelles UN Chronicle, le New York Times, Der Tagesspiegel, Middle East Journal, Harvard International Review, Bulletin of Atomic Scientists et The Guardian, entre autres.

Traduit de l’anglais (original).

Nader Entessar is a Professor Emeritus in the Department of Political Science and Criminal Justice at the University of South Alabama. His forthcoming book is titled Forever Enemies?: Future of US-Iran Relations.
Kaveh Afrasiabi, PhD, is a former political science professor at Tehran University and the author of several books on international affairs and Iran’s foreign policy. His writings have appeared on several online and print publications, including UN Chronicle, New York Times, Der Tagesspiegel, Middle East Journal, Harvard International Review, Bulletin of Atomic Scientists and The Guardian among others. His forthcoming book is titled Forever Enemies?: Future of US-Iran Relations.
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