Ce que les agressions de Cologne nous apprennent sur l’Europe
Je ne sais pas si vous avez déjà entendu celle-là : il paraît qu’une « invasion islamique » est en cours en Europe et que la population blanche est menacée d’être éradiquée par une armée de jeunes hommes musulmans.
Ces affirmations sont généralement suivies par un appel strident au « réveil » avant qu’une certaine espèce de complot ne permette de justifier un racisme cru et violent, comme ce que nous avons vu dans la ville allemande de Leipzig, où plus de 200 militants d’extrême droite affiliés à Legida, une branche locale du mouvement antimusulman Pegida, ont mené une émeute, cherchant à détruire les commerces tenus par des musulmans et des Arabes et à attiser la peur dans les rues du « nouveau Berlin » du pays. Cela est arrivé quelques jours seulement après quatre agressions racistes qui ont frappé Cologne, blessant deux Pakistanais, deux Syriens et un groupe d’Africains.
Les violences en Allemagne ont suivi les agressions sexuelles commises lors de la Saint-Sylvestre à Cologne et Hambourg. À Cologne, on estime que plus de 350 infractions sexuelles ont eu lieu en quelques heures. Les auteurs des faits étaient des groupes d’hommes, dont beaucoup seraient d’origine nord-africaine ou arabe, qui ont coordonné leurs efforts pour cerner et entourer des femmes qui ont ensuite été molestées. La police allemande, lente à agir et insuffisamment préparée à cette possibilité, a identifié environ 32 personnes à ce jour. Vingt-deux d’entre eux seraient des demandeurs d’asile, tandis que deux sont allemands et l’un d’entre eux est un citoyen américain.
Les autorités en Allemagne tentent de dissocier l’aide apportée par le pays aux réfugiés des crimes de la Saint-Sylvestre, sans réel succès. Les médias du monde entier ont maintenant les yeux rivés sur le pays, cherchant à observer comment l’État de l’UE le plus ouvert aux migrants et aux réfugiés va réagir.
Les changements législatifs
Deux changements législatifs immédiats sont appelés à suivre dans la foulée des agressions de Cologne, dont un est à saluer et un à rejeter. Le ministre allemand de la Justice Heiko Maas a finalement accepté de reformuler les articles 177 à 179 du code pénal allemand, qui stipulent qu’une victime doit prouver avoir résisté à des avances sexuelles afin de pouvoir poursuivre l’auteur des faits pour agression sexuelle. Auparavant, si vous n’aviez pas griffé, mordu, poussé, crié, donné un coup de poing, un coup de pied, un coup de couteau ou tiré sur votre agresseur, vous aviez consenti tacitement à ses avances. Beaucoup d’organisations féministes et de refuges pour femmes en Allemagne font pression depuis plusieurs années pour un tel changement législatif. Il est dommage de constater que les abus sexuels doivent prendre une tournure raciale pour que des mesures soient entreprises.
Le deuxième changement qui doit se produire devrait voir le droit allemand devenir beaucoup moins restrictif en matière d’expulsions, de sorte que tout individu incriminée devant un tribunal allemand puisse risquer d’être renvoyé dans le pays qu’il a fui, ce qui ressemble dans de nombreux cas à une peine de mort et va à l’encontre de la convention de Genève.
Malgré quelques appels formulés par certains législateurs et analystes pour maintenir les lois allemandes sur l’asile afin de garantir une politique de refuge, ces idéaux ont été perdus au milieu de l’hystérie des premiers jours de 2016, laquelle pointe du doigt la culture des nouveaux arrivants en Allemagne qui, affirme-t-on, ne doit pas être tolérée. Plus de 400 agressions contre des demandeurs d’asile ont eu lieu au cours des deux dernières années, dont de nombreux incendies criminels, et pour lesquelles il y a eu très exactement zéro condamnation. Dans la foulée des événements de Cologne, un énorme pic des ventes d’armes à feu et d’autres armes a été constaté. Les limites de la tolérance apparaissent clairement.
Le modèle allemand de multiculturalisme, dû à l’absence d’empire, a été basé sur la politique des travailleurs invités (« Gastarbeiter »), qui se voyaient refuser la citoyenneté et le droit de rester dans le pays sans travail. Transmise de génération en génération jusqu’à la formation de l’UE, cette politique a créé des ghettos dans les villes du pays et entraîné une ségrégation et un détachement au niveau social et politique.
Les classes politiques en Allemagne sont conscientes de leurs erreurs passées. Elles ont promis de les corriger en intégrant les nouveaux arrivants dans le pays, contrairement à ce qu’il se faisait auparavant. En raison de la croyance largement répandue selon laquelle « le multiculturalisme a échoué », une politique de naturalisation et d’assimilation forcée fait maintenant partie de la pratique courante, où la Belgique innove en enseignant comment « respecter les femmes ».
La culture européenne du viol
L’« autre » est toujours utile pour détourner l’attention au lieu d’aborder les questions fondamentales qui sont en jeu. Prenez par exemple l’Oktoberfest de Munich, où 200 agressions sexuelles ont lieu chaque année selon les estimations, et où les étrangères sont particulièrement vulnérables. En moyenne, quatre à six viols par an ont été rapportés. Toutefois, en raison de la législation allemande nécessitant de prouver une résistance, qui intimide la victime et permet aux agresseurs de partir et de recommencer, les poursuites sont rares.
La violence sexuelle n’est pas spécifique à une origine ethnique en particulier, et en dehors des avancées législatives et d’un débat ouvert, on ne peut faire beaucoup plus pour remédier à ce problème que faire la lumière sur les cultures qui créent les conditions pour que le viol soit normalisé et accepté, ce que nous appelons maintenant la culture du viol.
Venus du Royaume-Uni, les héros de l’enfance sont devenus de méchants agresseurs sexuels qui passent à l’acte sur une base quasi mensuelle, éclairés (de manière sélective) par les faisceaux élevés de la justice. Des juges, des députés, des stars des médias, des stars de la pop, des seigneurs et même certains membres de la famille royale sont concernés. Mais remettons-nous en question la perversion de la sexualité des élites ? Est-ce que les abus systématiques commis contre des enfants à l’Elm House et au Dolphin Square de Londres suscitent la même attention mondiale ? Bien sûr que non. Il n’y a pas de capital politique à y gagner. Cependant, en identifiant les musulmans comme des prédateurs sexuels, on peut faire apparaître une image positive de soi-même, comme l’avance Arun Kundnani : « l’islam est simplement l’"autre" absolu qui permet de construire une image positive de soi. »
La stigmatisation des musulmans
L’islamophobie et le racisme antimusulman ont une utilité. Bien que l’islam soit un système de croyance riche et diversifié fait de nombreuses manifestations différentes, les musulmans en Occident sont homogénéisés et assignés à une nature particulière qui permet de désavouer et de rejeter les traits culturels et les questions auxquelles nous ne pouvons pas faire face pour voir en nous-mêmes.
Internet est inondé d’affirmations selon lesquelles l’immigration et le multiculturalisme, en particulier en relation avec des individus issus de milieux islamiques, entraînent une augmentation de la criminalité et une baisse des salaires. Cela n’a aucun sens. En ce qui concerne la contribution des migrants en termes économiques, « les immigrés sont moins payés que la valeur de la production à laquelle ils contribuent, générant ainsi un excédent ».
Quant à la criminalité, malgré les affirmations selon lesquelles des hommes musulmans réprimés sexuellement et dangereux traqueraient des femmes blanches apeurées, les recherches empiriques illustrent une fois de plus que l’augmentation du taux d’immigration, en particulier liée à l’asile, n’entraîne pas une recrudescence des crimes violents, bien qu’elle puisse être à l’origine d’une légère hausse de la criminalité contre les biens si l’accès au travail et le droit de gagner sa vie est refusé aux nouveaux arrivants.
L’Europe n’est pas envahie, pas plus qu’elle n’accueille des réfugiés parce qu’elle aurait développé tout d’un coup une conscience. Le continent est au cœur d’une crise démographique qui ne peut tout simplement pas être résolue uniquement par des mesures à l’échelle nationale. La combinaison d’un taux de natalité en baisse et d’une espérance de vie plus longue a entraîné un gonflement des engagements de retraite qui menace la stabilité même de l’État tel qu’il est conçu. L’Allemagne, par exemple, est sous la menace d’un déclin démographique tel que d’ici 2050, la population nationale passerait selon les estimations de 81 millions d’habitants à 67 millions d’habitants. Pour inverser cette tendance, on estime que l’Allemagne doit accueillir 2 millions de migrants et de réfugiés par an.
L’Europe a autant besoin des migrants et des réfugiés que les migrants et les réfugiés ont besoin de l’Europe, et l’on ne peut échapper à ce fait.
- Daniel Renwick est journaliste et éducateur auprès des jeunes. Il a vécu trois ans en Allemagne avant de retourner à Londres.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des réfugiés syriens présentent des fleurs aux passants lors d’une manifestation contre les violences sexuelles à proximité de la gare principale de Cologne, dans l’ouest de l’Allemagne, le 16 janvier 2016 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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