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La réalité des réfugiés : une sélection au faciès

Les pays des Balkans accueillent désormais uniquement des réfugiés afghans, syriens et irakiens. « La police grecque ne nous laisse pas entrer car nous sommes noirs », explique un migrant
Un migrant originaire du Ghana n’a pas eu le droit de quitter la Serbie pour se rendre en Croatie (MEE / Aleksandar Pavlovic)

SID, Serbie – À la gare de Sid, des centaines de réfugiés s’entassent dans des camps de fortune alors qu’ils attendent les trains qui vont les emmener vers la Croatie. Mais au cours des dernières semaines, seuls quelques réfugiés ont pu embarquer. Suite à une décision des pays des Balkans, visant à n’accepter que des réfugiés syriens, afghans et irakiens, votre pays d’origine détermine votre avenir et, de ce fait, votre couleur ruine tous vos espoirs. 

La soudaine décision de la Slovénie, la Croatie, la Serbie et de la Macédoine la semaine dernière signifie que les réfugiés qui tentent de quitter d’autres pays, comme le Pakistan, le Nigéria et la Somalie, sont désormais coincés dans les pays des Balkans, dans la mesure où ils sont incapables de poursuivre leur route mais souhaitent surtout pas retourner d’où ils viennent. Les réfugiés provenant du Maroc, d’Iran et de Tunisie ont également été interdits de passage, bien que certains d’entre eux aient déjà tenté de franchir les frontières en se glissant parmi les Syriens et les Irakiens. 

Pendant plusieurs mois, l’Europe a prévenu qu’elle pourrait fermer ses frontières face à l’afflux de réfugiés et de migrants à la recherche d’un nouvel endroit où vivre, visant particulièrement les réfugiés économiques, mais personne n’avait pu prévoir la manière dont tout cela allait se finir. Les Nations unies et les groupes de défense des droits de l’homme ont violemment condamné les restrictions, mais ces mesures semblent avoir été mises en place pour une longue période, alors que des intervenants des Balkans estiment qu’une telle décision ne peut avoir été prise sans un minimum de coopération tacite, si ce n’est un soutien inconditionnel, de l’Union européenne, qui souhaite vivement limiter le nombre de nouveaux arrivants. 

Sarki a fui le Ghana afin de mener une vie décente en Europe. Mais il fut confronté à la discrimination à son arrivée à la frontière grecque. 

Après son arrivée Grèce, Sarki et ses amis se sont dirigés vers le Nord afin de rejoindre la frontière macédonienne en bus. Pendant trois jours, ils furent incapables d’avancer et ils expliquèrent que les conditions étaient « extrêmement difficiles ».

« Ils nous ont dit, lorsque nous sommes arrivés en Grèce, que nous étions proches de la frontière, que nous avions beaucoup voyagé et que de ce fait, nous devions continuer », a-t-il dit. « Nos amis, qui ont la peau claire, ont dit être d’origine syrienne et ils ont pu passer, mais la police grecque a précisé qu’elle nous empêcherait de passer car nous avions la peau noire. » 

« Mais nous n’avons jamais créé de problèmes en Europe. C’est l’État islamique qui a organisé les attentats à Paris [le 13 novembre], et pourtant les personnes originaires de leur pays peuvent passer sans problème. Ils se fondent parmi les groupes dont les origines sont acceptées. Nous sommes coincés et personne ne nous vient en aide. »

Les groupes d’aide sont débordés, ce qui obligent les gens à passer des jours entiers dans des camps temporaires bondés, ou à dormir dehors dans un froid insoutenable, suppliant en vain la police locale de les laisser passer.

Les choses vont tellement mal à la frontière entre la Grèce et la Macédoine qu’un groupe de migrants a choisi, la semaine dernière, de se coudre les lèvres en signe de protestation, jurant de ne plus parler ou manger tant qu’ils ne pourront pas franchir la frontière.

De fréquents heurts avec la police sont également à déplorer. Jeudi dernier, plus de 200 migrants ont foncé en direction de la barrière constituée de barbelés installée à la frontière entre la Grèce et la Macédoine. Cinq personnes sont parvenues à franchir la barrière, mais elles ont été reconduites en Grèce après avoir été attrapées.

Au cours du week-end, des échauffourées musclées ont éclaté et 40 personnes, dont 20 policiers, ont été blessées. Les estimations varient, mais il semblerait qu’il y ait entre 800 et 1200 personnes bloquées dans une zone tampon, attendant de pouvoir franchir la frontière.

La Macédoine est également le dernier État européen à avoir entrepris la construction d’une grande barrière à la frontière afin d’empêcher les migrants d’entrer dans le pays.

Sarki et ses amis estiment faire partie des plus chanceux. À la tombée de la nuit, ils sont parvenus à entrer illégalement dans le pays, et à emprunter une route les menant vers la Serbie. Une fois arrivés dans le pays, ils se sont dirigés vers le nord pendant plusieurs jours afin d’atteindre la frontière avec la Croatie dans l’espoir de rejoindre la Slovénie puis l’Allemagne et la Belgique, mais à Sid, la couleur de la peau fut à nouveau un obstacle. 

« Ceux dont la peau était la plus claire peuvent passer, mais certains d’entre nous ont essayé de se mêler à la foule et ont immédiatement été interpelés », a dit Sarki. 

« Existe-t-il des personnes noires en Afghanistan ? Peut-être que si nous tentons de passer la nuit, ils penseront que nous sommes des personnes à la peau noire venues de ce pays » a-t-il ajouté, tout en passant en revue les meilleurs moyens de franchir la frontière, faisant fi des nouvelles règles. 

Sarki est originaire du Ghana et il voyage depuis des mois pour rejoindre la Turquie. Il dit que rien ne l’empêchera de mener une vie meilleure en Europe (MEE / Aleksandar Pavlovic)

Après avoir passé trois nuits dans un camp, mis en place par le gouvernement serbe en tant que mesure provisoire pour l’accueil des migrants pour quelques heures, et non quelques jours, le groupe décida de traverser la frontière illégalement pour la seconde fois. Ils sont partis sous une pluie battante, par un froid glacial, sans lampe ni carte et sachant pertinemment que plusieurs champs de mines se trouvaient entre eux et leur future destination.

Ils ne seront probablement pas les seuls. 

Jimoh, du Nigéria, a simplement passé trois nuits à Sid avec sa fiancée. Il a expliqué que les conditions de vie étaient extrêmement difficiles pour les femmes dans la mesure où il n’existe aucune pièce séparée pour les couples, que l’eau chaude est rare et que le froid est insupportable.

« Non, il n’y a plus de guerre au Nigéria, mais la situation est difficile et nous avons peur pour notre sécurité », a dit Jimoh, qui ne souhaite pas mentionner son nom de famille. « J’ai décidé de quitter le pays pour plusieurs raisons, et c’est une longue histoire que je ne peux pas raconter à un journaliste, mais si je le pouvais, alors les gens comprendraient pourquoi d’autres nationalités, et pas seulement les Syriens, doivent être admises en Europe. »

Le couple souhaitait se rendre on Hongrie, pays dans lequel Jimoh prétend que son frère a trouvé refuge il y a quelques années, mais les deux jeunes gens sont effrayés et ne savent pas ce que l’avenir leur réserve. 

Les migrants qui n’ont pu franchir la frontière doivent désormais faire face à un choix difficile  - être renvoyés vers un camp en Serbie ou en Macédoine pour demander l’asile – ce que peu de migrants souhaitent faire, essayer de franchir la frontière illégalement ou abandonner et rentrer chez eux.

Alors la police qui a considérablement renforcé la surveillance des frontières, le grillage de barbelés qui s’étend sur l’ensemble de la frontière hongroise et la police hongroise qui arrête et emprisonne quiconque tente d’entrer illégalement dans le pays, la poursuite du voyage s’annonce périlleuse. Les passeurs existent, mais leurs itinéraires ont également été limités et alors qu’auparavant, ils pouvaient agir en toute impunité dans certaines régions de la Serbie, ils doivent désormais se montrer discrets.

Vladimir, qui travaille au sein de la Commission pour les réfugiés de Serbie, a dit qu’après la divulgation de la décision visant à bloquer les accès à certaines nationalités, il a vu des centaines de personnes être soudainement forcées de remonter à bord des bateaux avant d’être largement envoyées dans des centres d’asile en Serbie, où les réfugiés sont hébergés et reçoivent des services de base de la part de l’État.

« Les centres sont ouverts à tous. Les personnes peuvent venir et partir à leur guise, dont je ne sais pas ce qu’elles deviennent une fois parties », a-t-il dit.

La semaine dernière, près de 300 Marocains ont été arrêtés à Sid, alors qu’ils tentaient de se rendre en Croatie. Ils ont d’abord été conduits vers des centres gouvernementaux situés à proximité de la frontière avant d’être emmenés par bateau vers un grand centre d’asile près de Belgrade. En 24 heures, le groupe avait disparu, tentant probablement de franchir la frontière par d’autres moyens.

Face aux nouvelles mesures, de nombreux migrants ont choisi de mentir sur leur nationalité.

Un jeune homme du centre de Sid a dit être originaire du Pakistan avant de rapidement modifier ses propos, affirmant venir d’Afghanistan. Il a ajouté qu’il ne possédait pas de passeport, mais qu’il avait obtenu des documents de demande d’asile en Serbie justifiant de sa nationalité afghane.

Deux hommes qui se disent originaires d’Afghanistan se réchauffant les mains près d’un poêle à Sid (MEE / Aleksandar Pavlovic)

Les réfugiés originaires du Maroc, d’Iran, de Tunisie et de Palestine ont tous affirmé venir de Syrie. Les bénévoles sur le terrain ont rapporté à MEE que les Tunisiens, qui peuvent se rendre en Serbie sans visa, sont tout particulièrement soupçonnés d’embarquer pour Belgrade avant de tenter de se rendre dans des pays comme l’Allemagne sous de faux prétextes.

D’après les rapports des médias locaux, certains diplomates étrangers ont vendu des visas à de riches migrants originaires de Palestine, de Syrie, d’Irak et de Jordanie pour une somme allant de 3 000 $ à 5 000 $, bien que les représentants officiels nient fermement ces allégations.

L’écart entre ceux qui peuvent fuir leur pays et ceux qui en sont incapables ne cesse de se creuser du fait de la relative efficacité avec laquelle les gouvernements de Macédoine, Serbie et Croatie – des pays situés sur la route migratoire de l’Ouest des Balkans – guident désormais les réfugiés vers le Nord.

Alors qu’en Serbie, de nombreux retards sont à déplorer et que des rapports font état de réfugiés devant attendre plus de 12 heures pour recevoir les bons documents de la part des services des douanes, ceux qui prétendre avoir la « bonne » nationalité sont pour la plupart enregistrés par la police avant d’être autorisés à franchir la frontière.

Les documents leur offrent un certain niveau de protection dont le droit d’utiliser les transports publics, de dormir dans des hôtels et de recevoir un traitement médical.

Certaines images ont choqué le monde en septembre et octobre. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants arpentaient les voies de chemin de fer à pied ou tentaient de franchir anonymement la frontière entre la Serbie et la Croatie. Ces images appartiennent au passé. 


Mohammed, âgé de 21 ans et prétendant être originaire de la province d’Hassaké au nord-est de la Syrie, se trouvait avec un groupe d’amis et a précisé que le périple était « aisé » et qu’il ne lui a fallu que deux jours pour rejoindre la Turquie, bien qu’il ait ajouté être « extrêmement soulagé » que la traversée touche à sa fin et qu’il était impatient de commencer une nouvelle vie en Allemagne.

Un Syrien, qui ne souhaite pas donner son nom, se trouvant à Sid (MEE / Aleksandar Pavlovic)

Le voyage reste périlleux – dans la mesure où de nombreuses personnes sont toujours en proie aux passeurs et autres formes d’abus – mais la majorité des migrants ayant prétendu avoir la « bonne » nationalité sont placés dans des bus spéciaux près de l’une des frontières afin de traverser cette dernière et de se rendre dans le pays voisin.

Dans la capitale serbe, où les réfugiés et les migrants ont campé dehors par milliers cet été, les parcs ont été nettoyés et les tentes ont disparu. Plus tôt cette année, la majorité des refugiés et des migrants en Serbie – pays ayant vu près de 500 000 personnes franchir ses frontières cette année – ont affirmé qu’il leur a fallu plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour se rendre dans le pays. Plus récemment, certains ont expliqué que le voyage ne leur avait pris que quelques jours.

Il est impossible d’en dire autant pour ceux qui ont été brusquement exclus.

« Oui, je me rends en Europe à la recherche d’une vie meilleure, ce que tout le monde a le droit de faire », a dit Sarki.« Mais, mon ami, qui voyageait avec moi, est originaire de Somalie. Dîtes-moi s’il vous plait pourquoi vous refusez qu’il franchisse la frontière ? C’est du racisme pur et simple. »

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