Cologne, un tournant pour l’Allemagne
COLOGNE, Allemagne – Sur les marches de la cathédrale de Cologne, des fleurs et des messages en plusieurs langues appellent à la défiance suite aux événements horribles dont la place en contrebas a été le théâtre lors du Nouvel An. « Je veux me déplacer librement, sans peur et sans préjugés », « Nous avons encore peur de violences », « Le harcèlement sexuel ne sera pas toléré », indiquaient trois d’entre eux.
Cinq fourgons de police sont stationnés sur la place.
La ville, et l’Allemagne à plus grande échelle, ont largement de quoi réfléchir. Plus de 550 plaintes pénales ont été déposées par des femmes, dont 45 % pour agression sexuelle, suite à une vague d’agressions lors de la fête du Nouvel An où une foule nombreuse s’était rassemblée dans la ville. D’après la police, la majorité de ces agressions ont été commises par des étrangers. Selon des témoins, la plupart d’entre eux étaient « arabes ou moyen-orientaux ».
Il s’agit peut-être d’un tournant pour l’Allemagne moderne, un pays qui a accueilli l’an dernier plus d’un million de réfugiés et dont la chancelière Angela Merkel a été louée pour ses efforts humanitaires.
Des groupes de droite qui avaient toujours fait entendre leur opposition à ses politiques soutiennent que Cologne est la preuve d’une catastrophe en devenir. À gauche, on affirme que la grande majorité des réfugiés respecte la loi et ne recherche que la sécurité pour leur famille et que malgré l’horreur des événements, Cologne ne doit pas être utilisée pour mettre tout le monde dans le même sac.
L’an dernier, la cathédrale de Cologne a éteint ses lumières en signe de protestation symbolique contre une marche antimusulmans organisée dans la ville. Suite aux agressions du Nouvel An, des affiches dénonçant le racisme et la discrimination y sont visibles.
Mais la gare principale de la ville située à proximité a également été le théâtre de protestations de plusieurs milliers de membres de Pegida, un mouvement anti-immigration, appelant à la fin de l’afflux de réfugiés.
Leili Shabani a deux fois plus de raisons de ne pas se sentir en sécurité. Il y a neuf mois, elle a quitté clandestinement l’Iran en traversant la frontière irakienne à pied avec son bébé.
Ses craintes étaient submergées par l’excitation à l’idée de commencer une nouvelle vie à Cologne avec son mari, qui avait fui pour rejoindre cette ville deux ans plus tôt, trois jours seulement après la naissance de leur premier enfant.
Le 31 décembre, Shabani et sa famille se trouvaient dans le centre-ville de Cologne pour célébrer son premier Nouvel An en Allemagne. Ce qu’elle a vu cette nuit-là l’a choquée et l’a désormais plongée dans la peur, face à un sentiment anti-immigrés de plus en plus important.
« Quand je suis arrivée à la cathédrale, c’était quelque chose que je n’avais jamais vu. L’atmosphère était si bruyante et si violente », a-t-elle raconté à Middle East Eye cette semaine.
« Ils ont tiré des feux d’artifice en notre direction, alors même que nous étions là avec notre petit enfant. Ils ne visaient pas le ciel : ils tiraient directement sur la foule », a-t-elle raconté, montrant les brûlures qu’elle a reçues en se penchant pour parer un projectile qui allait toucher son enfant.
« Il y avait beaucoup de policiers dans la zone mais je ne les ai pas vus réagir. Je pense qu’ils étaient tout simplement choqués. »
« Maintenant, ils regardent les gens de très près », a expliqué Shabani en se tournant vers la place de la cathédrale, où cinq fourgons de police étaient stationnés.
Intensifiant leur présence protectrice, les forces de police ont également été très occupées par la réaction violente anti-immigrés qui a suivi les agressions du Nouvel An.
Ce lundi, un groupe de vingt personnes a attaqué six hommes pakistanais à Cologne, dont deux ont dû être hospitalisés. Des membres de l’extrême droite se seraient réunis via Facebook pour une « chasse à l’homme » visant les étrangers.
Mercredi, la police de Cologne a énoncé les lignes directrices juridiques régissant l’usage d’armes tels que les sprays au poivre et les tasers par la population locale.
« Dès le départ, cela a été une bonne excuse pour les membres de l’extrême droite », a déploré Leili Shabani.
En effet, les tabloïds allemands n’ont pas tardé à s’emparer des événements. Ce mardi, Express a promis d’établir une « Horror-Liste » répertoriant tous les crimes signalés à Cologne. Le magazine hebdomadaire Focus s’est demandé : « Sommes-nous tolérants ou tout simplement aveugles ? »
La pression publique monte pour que des mesures soient prises : lundi, près de 2 000 manifestants anti-islam ont pris d’assaut les rues de Leipzig pour exiger la démission de la chancelière Angela Merkel, lors d’une manifestation violente qui s’est terminée avec plus de 200 arrestations.
Merkel a déjà promis de limiter le nombre d’arrivées cette année, même si elle a évité de donner des objectifs chiffrés.
Mardi, le gouvernement est allé plus loin en promettant de déchoir de leur statut de réfugié les personnes reconnues coupables de certaines infractions, dont les agressions sexuelles.
L’Allemagne va également durcir ses propres lois sur les agressions sexuelles, qui stipulent actuellement que les poursuites ne peuvent aboutir s’il n’y a pas de preuve que la victime s’est défendue. Avec ces lois mises à jour, l’Allemagne espère pouvoir expulser les ressortissants étrangers reconnus coupables d’avoir participé aux agressions de Cologne.
Le ministère de l’Intérieur a annoncé qu’il cherchera à obtenir des accords contraignants avec les pays d’origine des délinquants pour leur permettre de les y renvoyer, mais n’a pas précisé comment les demandeurs d’asile pourraient être expulsés vers les États ne souhaitant pas coopérer, tels que la Syrie et l’Afghanistan, qui s’opposent aux expulsions forcées.
Selon Orkan Kösemen, expert en matière d’immigration au think tank Bertelsmann Stiftung, les événements de Cologne ont bouleversé le débat en Allemagne.
« La situation est très volatile, les choses changent rapidement. L’été dernier, les gens ont été choqués de constater que le gouvernement avait accepté autant de réfugiés », a-t-il expliqué.
« C’était la première fois que l’Allemagne était perçue comme un fer de lance dans ce domaine, mais même si nous ne les avions pas acceptés, les gens seraient quand même venus. Cependant, la rhétorique autour de cette décision a été très positive. »
« L’automne dernier, le débat est devenu plus négatif, mais Cologne a été le véritable tournant. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de savoir comment aider les réfugiés, mais si les migrants sont des criminels. Le pendule a oscillé du tout au tout. »
S’exprimant pour Russia Today, Tatjana Festerling, porte-parole de Pegida, a déclaré que ces événements justifiaient l’appel du groupe à l’interruption de l’entrée de migrants dans le pays. Ces agressions sont « exactement ce contre quoi [Pegida] met en garde depuis plus d’un an », a-t-elle soutenu.
Selon Festerling, ces agressions contribueraient à attiser les sentiments anti-immigrés, dans la mesure où « l’on ne peut pas reprocher aux gens de devenir plus radicaux face à cette attaque contre notre ordre libéral », a-t-elle argumenté.
Dans le même temps, les militants antiracistes sont également descendus dans les rues pour s’opposer à Pegida et aux autres groupes de droite. « Nous sommes ici pour leur dire de se taire. Il est inacceptable que Pegida exploite ces violences sexuelles horribles perpétrées au Nouvel An et diffuse ses bêtises racistes », a déclaré Emily Michels, 28 ans, s’exprimant pour le site The Local.
La question de savoir comment exactement vivre ensemble est loin d’être nouvelle pour l’Allemagne, selon Orkan Kösemen, mais la vitesse et l’ampleur du dernier afflux de migrants soulèvent des inquiétudes dans certains milieux.
« L’Allemagne a toujours accueilli l’immigration : les "travailleurs invités" en provenance de Turquie dans les années 1950, les réfugiés des guerres des Balkans dans les années 1990, puis les migrants de l’UE. Un Allemand sur cinq est issu de l’immigration. »
« Cependant, certaines personnes craignent que les choses échappent à tout contrôle. Et avec les agressions de Cologne, il est impossible de déterminer jusqu’où le sentiment anti-immigrés grimpera. Pour l’instant, les gens sont encore sous le choc. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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