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Comment résoudre la crise de Kirkouk

Après la capture de Kirkouk par l’armée irakienne, le statut définitif de la ville exigera des compromis politiques douloureux de la part de Bagdad et d’Erbil

L’épreuve de force autour de la ville irakienne de Kirkouk couve depuis plus de trois ans entre le gouvernement central irakien basé à Bagdad et le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) basé à Erbil.

Alors que l’État islamique (EI) a été expulsé le 5 octobre de son dernier bastion urbain en Irak, Hawija, près de la ville contestée de Kirkouk, ce n’était qu’une question de temps avant que Kirkouk ne devienne le point de départ d’un conflit entre Bagdad et Erbil.

Ce qui est surprenant, c’est que le gouvernement central ait agi si tôt en envoyant les forces armées pour s’emparer de la ville contrôlée par les peshmergas kurdes, les forces militaires du GRK, aggravant les tensions entre les deux camps au vu du récent scrutin pour l’indépendance du Kurdistan irakien du 25 septembre.

Accaparement de terres par les Kurdes

La prise de Kirkouk par le gouvernement irakien a rencontré peu de résistance de la part des peshmergas, bien que des escarmouches aient été signalées. S’il est vrai qu’une confrontation majeure a été évitée sur le plan militaire, une bataille intense s’ensuivra certainement entre Bagdad et Erbil sur le plan politique. La façon dont l’élite politique irakienne gère ce processus tendu déterminera en fin de compte l’avenir de l’Irak en tant que nation unie.

Le différend entre le gouvernement central et les Kurdes au sujet de Kirkouk dure depuis des décennies. Depuis au moins 1970, les Kurdes revendiquent Kirkouk comme une ville kurde et leur capitale. Après la chute de Saddam Hussein en 2003, suite à l’invasion et à l’occupation de l’Irak par les États-Unis, la ville a été disputée par le GRK et Bagdad.

La bataille concernant Kirkouk implique les problèmes complexes du nationalisme des ressources. Si les partis kurdes réussissaient à absorber Kirkouk et son pétrole, ils disposeraient des ressources économiques nécessaires pour devenir indépendants et obtenir la reconnaissance des États voisins et des États-Unis, un fait crucial reconnu tant par les Kurdes que par les dirigeants de l’État irakien.

En juin 2014, quand l’EI a lancé son invasion de l’Irak, les forces kurdes ont sécurisé Kirkouk, qui se trouve toujours en dehors de la juridiction du GRK. Le GRK a empêché l’EI de s’emparer de la ville, mais cette action a amené le gouvernement central et les partis chiites à accuser le GRK d’exploiter le chaos pour initier un accaparement des terres par les Kurdes.

Des gens accrochent un grand drapeau irakien sur un pont à Kirkouk, en Irak, 16 octobre 2017 (Reuters)

Le controversé article 140

Ces tensions ont été mises de côté lorsque les deux parties ont convenu de concentrer leurs énergies sur la lutte contre l’EI. Le vote kurde sur l’indépendance et le déploiement des forces militaires irakiennes à Kirkouk lundi ont servi d’indicateurs précoces des tensions auxquelles l’Irak devra faire face une fois que Bagdad et le GRK n’auront plus d’ennemi commun.

Il y a une question politique que Bagdad et Erbil doivent résoudre pour désamorcer la crise actuelle : définir le futur statut de Kirkouk, tel que stipulé dans l’article 140 de la Constitution irakienne. Le gouvernement central a repoussé cette question pendant plus d’une décennie. Les événements de lundi pourraient enfin donner l’impulsion nécessaire à l’État irakien.

Un statut spécial pour Kirkouk serait un compromis douloureux pour Bagdad et Erbil

L’article 140 de la Constitution irakienne stipule qu’un référendum sur l’avenir de Kirkouk doit être organisé pour déterminer son statut. Les Kurdes espéraient tenir ce vote d’ici la fin de 2007 et ont soutenu Nouri al-Maliki en tant que Premier ministre en supposant qu’il allait faire avancer les choses à ce sujet. En 2007, alors qu’al-Maliki commençait à affirmer son autorité, il a différé la gestion de ce référendum. Le problème a été depuis évité par le gouvernement central.

En 2009, les Nations unies ont suggéré un compromis concernant Kirkouk, accordant à la ville – et à ses environs – un statut administratif spécial comprenant une autonomie vis-à-vis du gouvernement central et du GRK. Un tel plan n’a pas été adopté par la classe politique irakienne, ni à Bagdad ni à Erbil. Aucun politicien arabe ne voulait s’aliéner les électeurs en abandonnant ce territoire irakien, tandis qu’aucun politicien kurde ne voulait être vu comme celui qui aurait abandonné le territoire d’un futur Kurdistan. 

À LIRE : Escalade Irak-Gouvernement régional du Kurdistan : comment en sommes-nous arrivés là ?

Idéalement, le plan de l’ONU devrait être revu car il s’agirait du scénario le plus réaliste pour Kirkouk, une ville pluriethnique composée de Kurdes, ainsi que d’Arabes et de Turkmènes qui hésitent à vivre sous le contrôle du GRK.

Kirkouk et l’avenir de l’Irak

Un statut spécial pour Kirkouk serait un compromis douloureux pour Bagdad et Erbil, et il est peu probable qu’un quelconque politicien en Irak accepte de faire des compromis à l’approche des élections d’avril 2018, de peur de s’aliéner les électeurs. Cependant, une fois qu’un nouveau gouvernement sera formé, un tel plan serait mieux que de laisser Kirkouk dans un statut indéfini, alimentant les griefs politiques des deux côtés.

Comme l’historienne Phebe Marr et moi-même l’avons conclu dans notre volume sur l’histoire moderne de l’Irak (The Modern History of Iraq), notre « scénario le plus optimiste » pour l’avenir de l’Irak serait sa survie en tant qu’ample alliance chiite-kurde, avec l’adhésion politique des Arabes sunnites. Nous avons écrit « optimiste » parce que nous savions que le statut de Kirkouk finirait par compliquer cette alliance. L’optimisme fait défaut en ce qui concerne la politique irakienne, mais la résolution du problème de Kirkouk serait un pas en avant pour atteindre cet objectif.

- Ibrahim al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent Iraq’s Armed Forces: An Analytical History (2008), The Modern History of Iraq (2017), et A Concise History of the Middle East (à paraître).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Photo : un membre des forces de sécurité irakiennes tient un drapeau kurde à Kirkouk, en Irak, le 16 octobre 2017 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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